mercredi 23 septembre 2015

Note de lecture de l’ouvrage: Au Cameroun de Paul Biya de Fanny Pigeaud





Note de lecture de l’ouvrage Au Cameroun de Paul Biya de Fanny Pigeaud éditions Karthala, 2011

Après avoir relevé la méconnaissance du Cameroun à l’extérieur et le peu d’intérêt que ce pays suscite chez les journalistes étrangers, l’auteure revient sur les indicateurs économiques et les classements peu flatteurs de notre pays. Jugez en vous-mêmes : malgré ses richesses exceptionnelles, ce pays de 20 million d’habitants présentait en 2010 un taux de croissance de 3,2%, inférieur à la moyenne mondiale (4,8%), africaine (5%), et sous-régionale (4%). Notre pays était en retard par rapport aux Objectifs Millénaires de Développement (OMD). Par ailleurs l’indice de perception des affaires de « Doing Business » le classait au 168è rang sur 183 pays en 2011. Au classement des pays les plus compétitifs du Global Competiveness Index du World Economic Forum (WEF) il occupait le 111è rang sur 133. Au classement selon l’Indice de Développement Humain (IDH) le pays est 131è sur 169, inférieur à la moyenne réalisée par l’Afrique Subsaharienne. Selon l’auteure, ces mauvaises performances s’expliquent par « les conditions désastreuses d’accession à l’indépendance et à la très faible qualité du leadership qui en a résulté. »  Les dirigeants font tout pour rester au pouvoir sans pour autant gouverner.
Pour comprendre ce qui se passe l’auteure plonge dans l’Histoire du Cameroun et commence avec l’installation en 1860 des firmes allemandes Woermann et Jantzen und Thormählen, et la signature des traités les 11 et 12 juillet 1884 entre les Rois Deïdo, Akwa et Bell d’une part, et les compagnies allemandes d’autre part. Les allemands étaient à la recherche de territoires à exploiter, et ils n’ont pas fait de cadeaux aux autochtones ; expropriations, travaux forcés, tel était le lot des habitants du territoire à  cette époque-là. A partir de la Côte, les allemands ont progressé vers l’intérieur, ce qu’ils appelaient « hinterland », mais cela n’a pas été facile. Ils ont eu à faire face à la résistance des peuples auxquels ils ne se sont imposés que par la force et la collaboration de quelques indigènes comme par exemple Charles Atangana et Mebenga Ebono (Martin Paul Samba), avant sa révolte pour des raisons purement personnelles. Parmi les résistants à l’expansion allemande, on note Rudolf Douala Manga Bell et son secrétaire Adolphe Ngosso Din pendus le 08 août 1914.
La présence allemande s’est achevée dès 1916, avant la fin de la 1ère  guerre mondiale perdue par l’Allemagne en 1918, et le territoire délimité à la fameuse conférence de Berlin, a été partagé en deux, entre la France qui aura la partie orientale la plus grande, et la Grande Bretagne à qui reviendra la partie occidentale. Ces territoires sont sous mandat de la Société Des Nations (SDN). L’auteure note que malgré ce statut, les puissances occupantes géraient les territoires comme des colonies. La France a ainsi fait appliquer le Code de l’indigénat au Cameroun Oriental. Le mauvais traitement des travailleurs, les injustices contre les autochtones, sont à l’origine de la grève des cheminots de septembre 1945 qui a fourni un prétexte aux colons, réunis au sein de l’association des Colons du Cameroun (ASCOCAM) et aux « forces de l’ordre », pour massacrer les grévistes et les autres passants. Entre temps, l’instituteur Gaston Donnat, avec Etienne Lalaurie et Maurice Soulier, militants de la Confédération Générale du Travail (CGT) française avaient déjà semé la graine de la résistance par l’action syndicale, qui allait grandir. Après la deuxième guerre mondiale, avec le remplacement de la SDN par l’ONU, les deux portions du Cameroun ont vu leur statut évoluer de territoire sous mandat à territoire sous tutelle. Mais pour Paris et Londres, cela ne faisait pas de différence, puisque ces puissances continuaient à se comporter comme en colonie.
A la suite de la création de l’Assemblée Représentative du Cameroun (ARCAM) en 1947 avec ses deux chambres, il fallait que les populations, séparées en deux collèges d’électeurs, désignent leurs représentants dans les proportions suivantes : 16 pour 3000 colons et 24 pour 3 millions d’indigènes ; remarquez la disproportion. Les locaux étaient largement sous représentés. Ce qui est étonnant c’est que jusqu’en 2015, il y a des régions qui sont mieux représentées que d’autres à l’Assemblée Nationale (la Région du Sud avec 698227 habitants en 2010 a 11 députés, alors que le Nord, avec 2089924, soit presque le triple, n’a que 12 députés ; le Sud-Ouest avec 1395931 habitants, donc moins peuplé que le Nord, a 15 députés). Revenons à Fanny Pigeaud. L’année 1948 est marquée par la création, le 10 avril de l’Union des populations du Cameroun (UPC) qui sera dirigée plus tard par Ruben Um Nyobé. Ce parti réclamait, en s’appuyant sur les accords de tutelle, l’indépendance et la réunification du Cameroun au moment où la puissance colonisatrice n’y pensait pas. Ce parti peu docile et qui entend affirmer son indépendance va mettre l’administration coloniale mal à l’aise par son discours, ses méthodes et sa capacité de mobilisation. A partir de ce moment ce sera la confrontation. Les émeutes de mai 1955 vont fournir à cette administration le prétexte qu’elle cherchait. L’UPC, déjà combattue, sera interdite en juillet 1955. Et l’administration va lui préférer des partis plus accommodants et plus dociles, qu’elle considère comme « modérés » par opposition aux « radicaux » de l’UPC. La France contrôle le processus d’accession du pays à l’indépendance, et par des manœuvres et des fraudes, l’UPC, pourtant le parti le plus populaire de l’époque sera écarté des différentes Assemblées qui seront élues. Elle veut donner le pouvoir à des hommes malléables qui se prêtent à leur jeu, et qui vont sauvegarder leurs intérêts, en leur permettant l’accès aux richesses dont regorge le pays. Voilà l’origine de la guerre d’indépendance au Cameroun.
Ahidjo est installé au pouvoir à la suite de ces manigances de la France. Il est passé de Premier Ministre d’un état autonome à Président de la République du Cameroun par des manipulations dont seuls ses maîtres français ont le secret. N’eût-il pas été logique de mettre en place de nouvelles institutions pour le nouvel Etat indépendant, après dissolution pure et simple de celles qui étaient prévues pour l’Etat autonome ? Au lieu d’élire une Assemblée Constituante qui devait adopter un projet de Constitution à soumettre par référendum à la population, c’est l’Assemblée législative qui a continué, avec l’aide des français à faire des manigances qui ont fait d’eux des députés et de M. Ahidjo le Président de la République. La répression des rebelles et des opposants, taxés de subversifs (ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962 contre la subversion), va se poursuivre avec la police secrète, la fameuse Direction de la Documentation (DIRDOC) de Fochivé, qui va se livrer à d’innombrables abus, comme par exemple, l’incendie du marché Congo à Douala en janvier 1960,  le train de la mort en février 1962, l’exécution après une parodie de procès, de Ernest Ouandié le 15 janvier 1970. On dénombrait environ 200 prisonniers politiques en 1980.
En 1977 le Cameroun devient producteur de pétrole il commence à 50000 barils cette année-là pour se retrouver à 6 millions de barils en 1982. Le taux de croissance a atteint 13% en 1981 et les fonctionnaires étaient bien payés avec des augmentations régulières de salaires. Mais côté droits de l’homme ce n’était pas fameux comme signalé ci-dessus. Le Cameroun est dirigé par un régime autoritaire, avec le parti unique UNC.
M. Biya prend le pouvoir en 1982 à la suite de la démission de Ahidjo pour des raisons qui restent mystérieuses. Son arrivée au pouvoir suscite un immense espoir, avec ses promesses d’ouverture démocratique et son discours sur la rigueur et la moralisation. Cette transition n’a pas été pacifique puisque Ahidjo qui a traité plus tard Biya de faible et fourbe a voulu reprendre son pouvoir. Mal lui en a pris ; il a dû quitter le Cameroun précipitamment pour un exil en France d’abord, puis au Sénégal où il est resté jusqu’à sa mort en 1989. Entre temps il y a eu tentative de coup d’état le 06 avril 1984. Cela a fourni un prétexte aux faucons du régime pour se débarrasser de la Garde Républicaine et des nombreux officiers nordistes que comptait l’armée camerounaise. D’autres cadres civils, originaires du Grand Nord n’ont pas échappé à cet arbitraire. Détentions sans jugements, confiscation des biens, exécutions sommaires, fosses communes. Voilà le sort qui leur était réservé. La Garde Républicaine de Ahidjo a été remplacée par la Garde Présidentielle, véritable Armée dans l’Armée, couverte de privilèges et dotée de moyens colossaux, sans aucune commune mesure avec sa mission officielle qui est de protéger M. Biya. C’est rien de moins qu’une garde prétorienne financée par le contribuable, au service d’un individu.
La crise économique arrive en 1986 avec la chute du dollar et la baisse drastique des recettes pétrolières qui sont passées de 722 milliards en 1984/1985 à 233 milliards en 1987/1988. Il y a également eu la chute des prix du cacao et d’autres facteurs externes qui ont conduit à la crise. Mais comme l’auteure le précise les facteurs internes ont été tout aussi déterminants. La gestion des finances publiques est loin d’être exempte de reproches, tant s’en faut. On signale dans ce cadre l’augmentation des dépenses de l’état, les recrutements massifs dans la Fonction publique (le nombre de fonctionnaires passe de 80000 à 180000 entre 1982 et 1986), les crédits complaisants, finalement non remboursés, accordés par les banques aux pontes du régime et aux hommes d’affaires du Nord et de l’Ouest. M. Biya va se « rattraper » en accordant aussi de tels crédits à des « hommes d’affaires » du Centre et du Sud. Le Gouvernement a continué dans sa lancée dispendieuse et M. Biya s’est même permis de déclarer le 20 juin 1987 devant l’Assemblée Nationale : « nous n’irons pas au FMI », alors que la croissance était devenue négative (-6,4% en 1987, -13,3% en 1988). Avec l’aggravation de la crise le Cameroun est finalement allé au FMI en 1988, et a obtenu en 1989 un premier prêt d’ajustement structurel contre la promesse d’abandonner les secteurs sociaux, de liquider des entreprises publiques, de réduire les effectifs et/ou les salaires, etc. Le Cameroun qui était un pays à revenu intermédiaire est devenu un pays pauvre très endetté. On note que c’est le pays d’Afrique qui a connu la plus forte régression. La dette est passée de 17% du PIB en 1975 à 53% du PIB en 1991. Le revenu par habitant a baissé de 50% entre 1986 et 1993.
C’est dans ce contexte de crise économique et sociale qu’interviennent les années de braise, marquées par la revendication pour le pluralisme politique et une Conférence nationale souveraine, alors que le pouvoir n’en voulait pas. C’est sous la contrainte, avec les villes mortes notamment, que M. Biya cède en faisant organiser une tripartite qui s’est révélé être de la poudre aux yeux. Le débat promis sur la Constitution n’a pas eu lieu. Il n’y a donc pas eu de consensus autour de la Constitution de 1996, présentée comme une simple loi modifiant la Constitution de 1972.  C’est cette constitution, qui limitait en son article 6.2, le nombre de mandats présidentiels, qui a été modifiée en 2008 pour permettre une autre candidature de M. Biya, sans quoi il était inéligible. Le pouvoir a organisé des élections en 1992. D’abord les législatives en février : le RDPC est minoritaire et doit conclure des alliances pour avoir une majorité à l’Assemblée. A l’élection présidentielle en octobre M. Biya est battu par John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF) comme l’avouent aujourd’hui certains pontes du régime, mais il s’accroche au pouvoir grâce à la complicité de l’administration qui trafique les PV et inversent les chiffres d’une part, et le soutien actif de la France d’autre part. Voilà un Monsieur nommé Président de la république et qui perd la première élection libre qu’il organise. C’est bien la preuve que la nomination ne confère pas la compétence. Les déplacements de M. Biya à l’intérieur du Cameroun sont rares ; il passe le plus clair de son temps à l’extérieur dans des hôtels luxueux au frais du contribuable. Il n’est préoccupé que par sa sécurité et l’armée qui peut être une menace est choyée. Elle a été épargnée des baisses drastiques de salaires de 1993, et les généraux couverts de privilèges, restent en service à des âges très avancés.
La domination par le RDPC de la scène politique n’est pas due à une large adhésion des populations à ses idéaux. Grâce à son pouvoir de nomination, le Président du RDPC contrôle l’administration qui est à son service. C’est ainsi que pour évoluer, le fonctionnaire doit adhérer au RDPC. Ce parti peut formater l’esprit des étudiants de l’ENAM, cette école qui forme les hauts fonctionnaires et les magistrats. Ce parti utilise les moyens de l’état et contraint les entreprises privées à le financer. Les récalcitrants sont tenus à l’écart des marchés publics ou sont accablés d’impôts. Voilà comment tous les hauts fonctionnaires et les grands hommes d’affaires du pays sont membres de ce parti. Les chefs traditionnels n’échappent pas à la règle ; ils ont tous les alliés du pouvoir et ceux qui résistent sont remplacés. Le pouvoir ferme les yeux sur les exactions de ces chefs qui sont ses alliés. Malgré ses abus, le redoutable lamido de Rey Bouba n’a jamais été inquiété. Pas plus que le fon de Bali Kumbat.
Aucune des élections organisées au Cameroun n’a jamais été transparente ; il y  a toujours eu des fraudes et des tripatouillages : inexistence ou non respect du calendrier électoral, refus d’inscrire des électeurs, charters d’électeurs, votes multiples, bureaux de vote furtifs et fictifs, trafic des PV, inversion des chiffres, suffrages exprimés supérieur au nombre de votants, vol des urnes, manque de matériel électoral, achat des bulletins des opposants, vote d’électeurs absents, expulsion des représentants des partis d’opposition, pression sur les électeurs, etc. Les différents organes de contrôle d’élection créés sous la pression des bailleurs sont contrôlés par les membres du parti au pouvoir. Et l’administration, principale responsable des fraudes électorales, qui devait être écartée du processus électoral y a été maintenue par un amendement de la loi portant organisation de l’organe électoral.
Une grande partie de militants adhèrent au RDPC pour protéger leurs carrières et leurs affaires, d’autres par contre sont à la recherche des postes hauts placés et des mandats électifs, source de privilèges. Beaucoup d’appelés et peu d’élus. Pour chaque poste, il y a de nombreux postulants. Il y a donc une concurrence et une rivalité féroces entre les membres de ce parti, et certains usent de toutes sortes de moyens pour atteindre leurs objectifs ; corruption, trafic d’influence, intrigues, manipulations, magie, sorcellerie, trafic et manducation des organes humains, adhésion aux sectes ésotériques, crimes rituels sont ainsi mis à contribution. M. Biya a fait verser de grosses sommes à ces sectes ; Rose Croix, ordre du temple solaire, etc. La presse privée par exemple est utilisée pour dénigrer des adversaires ou à contrario pour se donner une bonne image. On peut même faire présenter un adversaire comme un prétendant au pouvoir, sachant que cela va en faire un ennemi du Président qui n’aime pas que l’on convoite ouvertement son pouvoir. C’est ainsi que les principales victimes de l’opération « épervier » sont les animateurs du G11, groupe mis en place pour réfléchir sur une possible alternance en 2011. Pour empêcher des alliances contre lui, M. Biya encourage la rivalité, ou la crée quand elle n’existe pas encore, entre les membres de son entourage proche. C’est l’impossibilité de se fier à son mérite et à sa compétence pour avoir des postes de responsabilité, et le fonctionnement arbitraire et incompréhensible du système Biya  qui encourage les pratiques irrationnelles. L’homosexualité utilisée dans les cercles du pouvoir depuis les années 1950 fait partie des pratiques mystiques pour accéder au pouvoir ou pour s’y maintenir.
Le tribalisme est une arme dangereuse que M. Biya manie pour conserver son pouvoir. C’est ainsi qu’il a toujours favorisé les camerounais originaires du Centre et du Sud dans les nominations et lors de la sélection  pour l’entée dans les grandes écoles comme l’ENAM, l’EMIA ; l’Ecole de Police. Le Ministre de la Défense, Le Chef d’Etat Major de l’Armée Camerounaise, le Délégué Général à la Sûreté Nationale sont tous des Bulus, ethnie du Président. M. Joseph Owona a déclaré que si cela ne dépendait que d’eux un Bamiléké n’arriverait jamais au pouvoir au Cameroun. Après avoir vainement essayé se susciter des hommes d’affaires Bétis avec notamment des crédits non remboursés et des exonérations fiscales de toutes sortes, ils ont fait venir des indo pakistanais pour concurrencer les camerounais non Bétis.
Les émeutes de 2008 ont donné le prétexte à André Mama Fouda, Ministre de la Santé, et Gilbert Tsimi Evouna, Délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé,  de signer une déclaration demandant en substance aux prédateurs venus d’ailleurs de quitter rapidement leur sol où ils sont désormais en insécurité. Ces « prédateurs » sont les camerounais non bétis qui habitent à Yaoundé. En 1992, suite aux élections perdues par M. Biya, les Bamilékés de certaines villes du Centre (Akonolinga notamment) avaient été agressés et chassés à l’instigation des pontes du régime originaires de ces régions. Leurs biens ont été pillées et leurs maisons incendiées. Les auteurs de ces actes et de ces déclarations, qui dans d’autres pays ont provoqué la guerre civile, n’ont jamais été inquiétés. Pire, un Ministre Bamiléké, célèbre pour ses mensonges et appelé pour cela « zéro mort » s’est permis de déclarer à la télé « ce sont mes frères, je les connais ; ils incendient eux-mêmes leurs maisons après avoir mis leurs effets en sécurité.» Comme quoi, certains camerounais sont prêts à vendre père et mère pour un poste au Gouvernement. Le pouvoir a toujours financé des milices ethniques pour le soutenir contre les autres camerounais. Ceux des camerounais Bétis ou Boulous qui ne soutiennent pas le pouvoir sont menacés, comme le sociologue et prêtre Jean-Marc Ela qui a dû s’exiler, et même assassinés comme le Père Engelbert Mveng. Et d’autre part les faucons du régime originaires du Centre et du Sud s’organisent pour rester au pouvoir après le départ de M. Biya, qu’ils ont du reste essayé de renverser. Celui-ci n’a d’ailleurs échappé au coup en préparation que grâce à la France qui l’avait averti. A quoi vont servir les fortes sommes détournées, si ce n’est à la constitution et à l’équipement des milices tribales en vue de la conservation du pouvoir ?
La corruption et les détournements de deniers publics sont des pratiques tolérées, voire encouragées au Cameroun. Ces pratiques font partie du fondement du système. Loïc le Floch-Prigent, ancien directeur de la Compagnie Elf a déclaré au cours de son procès en France qu’il a donné à M. Biya un pourcentage sur chaque baril de pétrole quand ils ont obtenu une concession. En 1992, M. Biya avait besoin de 45 millions de dollars pour sa campagne électorale, et d’après Alfred Sirven, ancien Directeur des Affaires Générales de Elf, Elf a accordé ce prêt, gagé sur la production future de notre pétrole. Le journal le Messager avait dénoncé la vente par anticipation de notre pétrole. Une partie de ces 45 millions de dollars a été détournée vers une société off shore située dans les îles Vierges. Selon les estimations, seulement 46% des recettes pétrolières ont été intégrés au budget entre 1977 et 2006. Le montant des recettes disparues entre 2000 et 2006 est estimé à 2,6 milliards de dollars. Le secteur de la foresterie est également concerné par la corruption et les montants en jeu donnent le tournis. Toujours la corruption ; selon la CONAC, 2,8 milliards d’euros de recettes publiques ont été détournés entre 1998 et 2004, et d’après un responsable en 2006, la corruption soustrayait jusqu’à 50% des recettes de l’Etat. 500 milliards, soit 5% du PIB finissent chaque année dans les poches d’individus. Des enquêtes du Contrôle Supérieur de l’Etat ont montré qu’au moins 1845 milliards F CFA avaient été volés entre 1998 et 2004. P.158.
Autrefois autosuffisant, le pays est devenu importateur de produits alimentaires pour 500 milliards par an.
A cause de cette mauvaise gouvernance, les taux de croissance (3,2% en 2010) ne suffisent pas pour rattraper le taux de croissance démographique (3,5%). Et pourtant la dette du Cameroun a fortement été réduite dans le cadre l’initiative de l’allègement de la dette multilatérale des PPTE ; cette dette est passée de 45% à 5% du PIB. Il n’est pas surprenant dans ces conditions que les camerounais continuent de souffrir. Les dépenses de santé représentent seulement 8% du budget au lieu de 15% adoptés à Abuja par l’Union africaine.
Au Cameroun, la vertu est devenue un vice. La rectitude morale, la conscience professionnelle et l’assiduité au travail sont regardés avec mépris.
Conscient de tous ces manquements, de ces défaillances et de son déficit de légitimité, le pouvoir n’autorise que les manifestations non culturelles de ses partisans ; toutes les autres qui n’ont pas pour but de soutenir M. Biya et de chanter ses louanges sont interdites. Le régime a profité de la guerre contre Boko Haram pour faire adopter une loi antiterroriste qui permet traiter les participants à des manifestations pacifiques hostiles au pouvoir, de terroriste. L’esprit de la répression demeure avec les dispositions de l’ordonnance de 1962 contre la subversion qui ont été reversées dans le code pénal aux articles 113, 154 al. 2 et 157 al. 1a. Ce ne sont pas les 253 partis enregistrés au Ministère de l’Administration et de la décentralisation, et une relative liberté d’expression qui font de notre pays une démocratie. Ceux qui veulent braver l’interdiction doivent faire face à une répression sauvage des forces de l’ordre, comme cela s’est vu en février 2008.
Ce pouvoir tient en place grâce au soutien jamais démenti de la France. Après avoir violé les termes du mandat, soutenu Ahidjo en l’aidant à massacrer ses opposants, la France a soutenu un tel régime prédateur qui dure indéfiniment. Les autres puissances occidentales, pourtant conscientes de ce qui se passe restent passifs. C’est à peine si de temps en temps elles expriment leurs réserves avec mille précautions et dans le langage diplomatique de surcroît. Une telle attitude n’est pas de nature à pousser le régime de Yaoundé à s’amender.

180915
Jean-Claude TCHASSE
PLEG Hors Echelle

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