Note de lecture de
l’ouvrage Au Cameroun de Paul Biya de
Fanny Pigeaud éditions Karthala, 2011
Après
avoir relevé la méconnaissance du Cameroun à l’extérieur et le peu d’intérêt
que ce pays suscite chez les journalistes étrangers, l’auteure revient sur les
indicateurs économiques et les classements peu flatteurs de notre pays. Jugez
en vous-mêmes : malgré ses richesses exceptionnelles, ce pays de 20
million d’habitants présentait en 2010 un taux de croissance de 3,2%, inférieur
à la moyenne mondiale (4,8%), africaine (5%), et sous-régionale (4%). Notre
pays était en retard par rapport aux Objectifs Millénaires de Développement
(OMD). Par ailleurs l’indice de perception des affaires de « Doing
Business » le classait au 168è rang sur 183 pays en 2011. Au classement
des pays les plus compétitifs du Global Competiveness Index du World Economic
Forum (WEF) il occupait le 111è rang sur 133. Au classement selon l’Indice de
Développement Humain (IDH) le pays est 131è sur 169, inférieur à la moyenne réalisée
par l’Afrique Subsaharienne. Selon l’auteure, ces mauvaises performances
s’expliquent par « les conditions désastreuses d’accession à
l’indépendance et à la très faible qualité du leadership qui en a
résulté. » Les dirigeants font tout
pour rester au pouvoir sans pour autant gouverner.
Pour
comprendre ce qui se passe l’auteure plonge dans l’Histoire du Cameroun et
commence avec l’installation en 1860 des firmes allemandes Woermann et Jantzen
und Thormählen, et la signature des traités les 11 et 12 juillet 1884 entre les
Rois Deïdo, Akwa et Bell d’une part, et les compagnies allemandes d’autre part.
Les allemands étaient à la recherche de territoires à exploiter, et ils n’ont
pas fait de cadeaux aux autochtones ; expropriations, travaux forcés, tel
était le lot des habitants du territoire à
cette époque-là. A partir de la Côte, les allemands ont progressé vers
l’intérieur, ce qu’ils appelaient « hinterland », mais cela n’a pas
été facile. Ils ont eu à faire face à la résistance des peuples auxquels ils ne
se sont imposés que par la force et la collaboration de quelques indigènes
comme par exemple Charles Atangana et Mebenga Ebono (Martin Paul Samba),
avant sa révolte pour des raisons purement personnelles. Parmi les résistants à
l’expansion allemande, on note Rudolf Douala Manga Bell et son secrétaire
Adolphe Ngosso Din pendus le 08 août 1914.
La
présence allemande s’est achevée dès 1916, avant la fin de la 1ère guerre mondiale perdue par l’Allemagne en 1918,
et le territoire délimité à la fameuse conférence de Berlin, a été partagé en
deux, entre la France qui aura la partie orientale la plus grande, et la Grande
Bretagne à qui reviendra la partie occidentale. Ces territoires sont sous
mandat de la Société Des Nations (SDN). L’auteure note que malgré ce statut,
les puissances occupantes géraient les territoires comme des colonies. La
France a ainsi fait appliquer le Code de l’indigénat au Cameroun Oriental. Le
mauvais traitement des travailleurs, les injustices contre les autochtones,
sont à l’origine de la grève des cheminots de septembre 1945 qui a fourni un
prétexte aux colons, réunis au sein de l’association des Colons du Cameroun
(ASCOCAM) et aux « forces de l’ordre », pour massacrer les grévistes
et les autres passants. Entre temps, l’instituteur Gaston Donnat, avec Etienne
Lalaurie et Maurice Soulier, militants de la Confédération Générale du Travail
(CGT) française avaient déjà semé la graine de la résistance par l’action
syndicale, qui allait grandir. Après la deuxième guerre mondiale, avec le
remplacement de la SDN par l’ONU, les deux portions du Cameroun ont vu leur
statut évoluer de territoire sous mandat à territoire sous tutelle. Mais pour
Paris et Londres, cela ne faisait pas de différence, puisque ces puissances
continuaient à se comporter comme en colonie.
A
la suite de la création de l’Assemblée Représentative du Cameroun (ARCAM) en
1947 avec ses deux chambres, il fallait que les populations, séparées en deux
collèges d’électeurs, désignent leurs représentants dans les proportions
suivantes : 16 pour 3000 colons et 24 pour 3 millions d’indigènes ;
remarquez la disproportion. Les locaux étaient largement sous représentés. Ce
qui est étonnant c’est que jusqu’en 2015, il y a des régions qui sont mieux
représentées que d’autres à l’Assemblée Nationale (la Région du Sud avec 698227 habitants en 2010 a 11 députés, alors
que le Nord, avec 2089924, soit presque le triple, n’a que 12
députés ; le Sud-Ouest avec 1395931 habitants, donc moins peuplé que le Nord, a 15 députés). Revenons à Fanny
Pigeaud. L’année 1948 est marquée par la création, le 10 avril de l’Union des
populations du Cameroun (UPC) qui sera dirigée plus tard par Ruben Um Nyobé. Ce
parti réclamait, en s’appuyant sur les accords de tutelle, l’indépendance et la
réunification du Cameroun au moment où la puissance colonisatrice n’y pensait
pas. Ce parti peu docile et qui entend affirmer son indépendance va mettre
l’administration coloniale mal à l’aise par son discours, ses méthodes et sa
capacité de mobilisation. A partir de ce moment ce sera la confrontation. Les émeutes
de mai 1955 vont fournir à cette administration le prétexte qu’elle cherchait.
L’UPC, déjà combattue, sera interdite en juillet 1955. Et l’administration va
lui préférer des partis plus accommodants et plus dociles, qu’elle considère
comme « modérés » par opposition aux « radicaux » de l’UPC.
La France contrôle le processus d’accession du pays à l’indépendance, et par
des manœuvres et des fraudes, l’UPC, pourtant le parti le plus populaire de
l’époque sera écarté des différentes Assemblées qui seront élues. Elle veut
donner le pouvoir à des hommes malléables qui se prêtent à leur jeu, et qui
vont sauvegarder leurs intérêts, en leur permettant l’accès aux richesses dont
regorge le pays. Voilà l’origine de la guerre d’indépendance au Cameroun.
Ahidjo
est installé au pouvoir à la suite de ces manigances de la France. Il est passé
de Premier Ministre d’un état autonome à Président de la République du Cameroun
par des manipulations dont seuls ses maîtres français ont le secret. N’eût-il
pas été logique de mettre en place de nouvelles institutions pour le nouvel
Etat indépendant, après dissolution pure et simple de celles qui étaient
prévues pour l’Etat autonome ? Au lieu d’élire une Assemblée Constituante
qui devait adopter un projet de Constitution à soumettre par référendum à la
population, c’est l’Assemblée législative qui a continué, avec l’aide des
français à faire des manigances qui ont fait d’eux des députés et de M. Ahidjo
le Président de la République. La répression des rebelles et des opposants,
taxés de subversifs (ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962 contre la
subversion), va se poursuivre avec la police secrète, la fameuse Direction de
la Documentation (DIRDOC) de Fochivé, qui va se livrer à d’innombrables abus,
comme par exemple, l’incendie du marché Congo à Douala en janvier 1960, le train de la mort en février 1962,
l’exécution après une parodie de procès, de Ernest Ouandié le 15 janvier 1970.
On dénombrait environ 200 prisonniers politiques en 1980.
En
1977 le Cameroun devient producteur de pétrole il commence à 50000 barils cette
année-là pour se retrouver à 6 millions de barils en 1982. Le taux de
croissance a atteint 13% en 1981 et les fonctionnaires étaient bien payés avec
des augmentations régulières de salaires. Mais côté droits de l’homme ce
n’était pas fameux comme signalé ci-dessus. Le Cameroun est dirigé par un
régime autoritaire, avec le parti unique UNC.
M.
Biya prend le pouvoir en 1982 à la suite de la démission de Ahidjo pour des
raisons qui restent mystérieuses. Son arrivée au pouvoir suscite un immense
espoir, avec ses promesses d’ouverture démocratique et son discours sur la
rigueur et la moralisation. Cette transition n’a pas été pacifique puisque Ahidjo
qui a traité plus tard Biya de faible et fourbe a voulu reprendre son pouvoir.
Mal lui en a pris ; il a dû quitter le Cameroun précipitamment pour un
exil en France d’abord, puis au Sénégal où il est resté jusqu’à sa mort en
1989. Entre temps il y a eu tentative de coup d’état le 06 avril 1984. Cela a
fourni un prétexte aux faucons du régime pour se débarrasser de la Garde
Républicaine et des nombreux officiers nordistes que comptait l’armée
camerounaise. D’autres cadres civils, originaires du Grand Nord n’ont pas
échappé à cet arbitraire. Détentions sans jugements, confiscation des biens, exécutions
sommaires, fosses communes. Voilà le sort qui leur était réservé. La Garde
Républicaine de Ahidjo a été remplacée par la Garde Présidentielle, véritable
Armée dans l’Armée, couverte de privilèges et dotée de moyens colossaux, sans
aucune commune mesure avec sa mission officielle qui est de protéger M. Biya.
C’est rien de moins qu’une garde prétorienne financée par le contribuable, au
service d’un individu.
La
crise économique arrive en 1986 avec la chute du dollar et la baisse drastique
des recettes pétrolières qui sont passées de 722 milliards en 1984/1985 à 233
milliards en 1987/1988. Il y a également eu la chute des prix du cacao et d’autres
facteurs externes qui ont conduit à la crise. Mais comme l’auteure le précise
les facteurs internes ont été tout aussi déterminants. La gestion des finances
publiques est loin d’être exempte de reproches, tant s’en faut. On signale dans
ce cadre l’augmentation des dépenses de l’état, les recrutements massifs dans
la Fonction publique (le nombre de fonctionnaires passe de 80000 à 180000 entre
1982 et 1986), les crédits complaisants, finalement non remboursés, accordés
par les banques aux pontes du régime et aux hommes d’affaires du Nord et de
l’Ouest. M. Biya va se « rattraper » en accordant aussi de tels
crédits à des « hommes d’affaires » du Centre et du Sud. Le
Gouvernement a continué dans sa lancée dispendieuse et M. Biya s’est même
permis de déclarer le 20 juin 1987 devant l’Assemblée Nationale : « nous
n’irons pas au FMI », alors que la croissance était devenue négative
(-6,4% en 1987, -13,3% en 1988). Avec l’aggravation de la crise le Cameroun est
finalement allé au FMI en 1988, et a obtenu en 1989 un premier prêt
d’ajustement structurel contre la promesse d’abandonner les secteurs sociaux,
de liquider des entreprises publiques, de réduire les effectifs et/ou les
salaires, etc. Le Cameroun qui était un pays à revenu intermédiaire est devenu
un pays pauvre très endetté. On note que c’est le pays d’Afrique qui a connu la
plus forte régression. La dette est passée de 17% du PIB en 1975 à 53% du PIB
en 1991. Le revenu par habitant a baissé de 50% entre 1986 et 1993.
C’est
dans ce contexte de crise économique et sociale qu’interviennent les années de
braise, marquées par la revendication pour le pluralisme politique et une
Conférence nationale souveraine, alors que le pouvoir n’en voulait pas. C’est
sous la contrainte, avec les villes mortes notamment, que M. Biya cède en
faisant organiser une tripartite qui s’est révélé être de la poudre aux yeux.
Le débat promis sur la Constitution n’a pas eu lieu. Il n’y a donc pas eu de
consensus autour de la Constitution de 1996, présentée comme une simple loi
modifiant la Constitution de 1972. C’est
cette constitution, qui limitait en son article 6.2, le nombre de mandats
présidentiels, qui a été modifiée en 2008 pour permettre une autre candidature de
M. Biya, sans quoi il était inéligible. Le pouvoir a organisé des élections en
1992. D’abord les législatives en février : le RDPC est minoritaire et
doit conclure des alliances pour avoir une majorité à l’Assemblée. A l’élection
présidentielle en octobre M. Biya est battu par John Fru Ndi du Social
Democratic Front (SDF) comme l’avouent aujourd’hui certains pontes du régime,
mais il s’accroche au pouvoir grâce à la complicité de l’administration qui
trafique les PV et inversent les chiffres d’une part, et le soutien actif de la
France d’autre part. Voilà un Monsieur nommé Président de la république et qui
perd la première élection libre qu’il organise. C’est bien la preuve que la
nomination ne confère pas la compétence. Les déplacements de M. Biya à
l’intérieur du Cameroun sont rares ; il passe le plus clair de son temps à
l’extérieur dans des hôtels luxueux au frais du contribuable. Il n’est préoccupé
que par sa sécurité et l’armée qui peut être une menace est choyée. Elle a été
épargnée des baisses drastiques de salaires de 1993, et les généraux couverts
de privilèges, restent en service à des âges très avancés.
La
domination par le RDPC de la scène politique n’est pas due à une large adhésion
des populations à ses idéaux. Grâce à son pouvoir de nomination, le Président
du RDPC contrôle l’administration qui est à son service. C’est ainsi que pour
évoluer, le fonctionnaire doit adhérer au RDPC. Ce parti peut formater l’esprit
des étudiants de l’ENAM, cette école qui forme les hauts fonctionnaires et les
magistrats. Ce parti utilise les moyens de l’état et contraint les entreprises
privées à le financer. Les récalcitrants sont tenus à l’écart des marchés
publics ou sont accablés d’impôts. Voilà comment tous les hauts fonctionnaires
et les grands hommes d’affaires du pays sont membres de ce parti. Les chefs traditionnels
n’échappent pas à la règle ; ils ont tous les alliés du pouvoir et ceux
qui résistent sont remplacés. Le pouvoir ferme les yeux sur les exactions de
ces chefs qui sont ses alliés. Malgré ses abus, le redoutable lamido de Rey
Bouba n’a jamais été inquiété. Pas plus que le fon de Bali Kumbat.
Aucune
des élections organisées au Cameroun n’a jamais été transparente ; il
y a toujours eu des fraudes et des
tripatouillages : inexistence ou non respect du calendrier électoral,
refus d’inscrire des électeurs, charters d’électeurs, votes multiples, bureaux
de vote furtifs et fictifs, trafic des PV, inversion des chiffres, suffrages
exprimés supérieur au nombre de votants, vol des urnes, manque de matériel
électoral, achat des bulletins des opposants, vote d’électeurs absents,
expulsion des représentants des partis d’opposition, pression sur les
électeurs, etc. Les différents organes de contrôle d’élection créés sous la
pression des bailleurs sont contrôlés par les membres du parti au pouvoir. Et
l’administration, principale responsable des fraudes électorales, qui devait
être écartée du processus électoral y a été maintenue par un amendement de la
loi portant organisation de l’organe électoral.
Une
grande partie de militants adhèrent au RDPC pour protéger leurs carrières et
leurs affaires, d’autres par contre sont à la recherche des postes hauts placés
et des mandats électifs, source de privilèges. Beaucoup d’appelés et peu
d’élus. Pour chaque poste, il y a de nombreux postulants. Il y a donc une
concurrence et une rivalité féroces entre les membres de ce parti, et certains
usent de toutes sortes de moyens pour atteindre leurs objectifs ; corruption,
trafic d’influence, intrigues, manipulations, magie, sorcellerie, trafic et
manducation des organes humains, adhésion aux sectes ésotériques, crimes
rituels sont ainsi mis à contribution. M. Biya a fait verser de grosses sommes
à ces sectes ; Rose Croix, ordre du temple solaire, etc. La presse privée
par exemple est utilisée pour dénigrer des adversaires ou à contrario pour se
donner une bonne image. On peut même faire présenter un adversaire comme un
prétendant au pouvoir, sachant que cela va en faire un ennemi du Président qui
n’aime pas que l’on convoite ouvertement son pouvoir. C’est ainsi que les
principales victimes de l’opération « épervier » sont les animateurs
du G11, groupe mis en place pour réfléchir sur une possible alternance en 2011.
Pour empêcher des alliances contre lui, M. Biya encourage la rivalité, ou
la crée quand elle n’existe pas encore, entre les membres de son entourage
proche. C’est l’impossibilité de se fier à son mérite et à sa compétence pour
avoir des postes de responsabilité, et le fonctionnement arbitraire et
incompréhensible du système Biya qui
encourage les pratiques irrationnelles. L’homosexualité utilisée dans les
cercles du pouvoir depuis les années 1950 fait partie des pratiques mystiques
pour accéder au pouvoir ou pour s’y maintenir.
Le
tribalisme est une arme dangereuse que M. Biya manie pour conserver son
pouvoir. C’est ainsi qu’il a toujours favorisé les camerounais originaires du
Centre et du Sud dans les nominations et lors de la sélection pour l’entée dans les grandes écoles comme
l’ENAM, l’EMIA ; l’Ecole de Police. Le Ministre de la Défense, Le Chef
d’Etat Major de l’Armée Camerounaise, le Délégué Général à la Sûreté Nationale
sont tous des Bulus, ethnie du Président. M. Joseph Owona a déclaré que si
cela ne dépendait que d’eux un Bamiléké n’arriverait jamais au pouvoir au
Cameroun. Après avoir vainement essayé se susciter des hommes d’affaires Bétis
avec notamment des crédits non remboursés et des exonérations fiscales de
toutes sortes, ils ont fait venir des indo pakistanais pour concurrencer les
camerounais non Bétis.
Les
émeutes de 2008 ont donné le prétexte à André Mama Fouda, Ministre de la Santé,
et Gilbert Tsimi Evouna, Délégué du gouvernement auprès de la Communauté
urbaine de Yaoundé, de signer une
déclaration demandant en substance aux prédateurs venus d’ailleurs de quitter
rapidement leur sol où ils sont désormais en insécurité. Ces
« prédateurs » sont les camerounais non bétis qui habitent à Yaoundé.
En 1992, suite aux élections perdues par M. Biya, les Bamilékés de certaines
villes du Centre (Akonolinga notamment) avaient été agressés et chassés à
l’instigation des pontes du régime originaires de ces régions. Leurs biens ont
été pillées et leurs maisons incendiées. Les auteurs de ces actes et de ces
déclarations, qui dans d’autres pays ont provoqué la guerre civile, n’ont
jamais été inquiétés. Pire, un Ministre Bamiléké, célèbre pour ses mensonges et
appelé pour cela « zéro mort » s’est permis de déclarer à la télé
« ce sont mes frères, je les connais ; ils incendient eux-mêmes leurs
maisons après avoir mis leurs effets en sécurité.» Comme quoi, certains
camerounais sont prêts à vendre père et mère pour un poste au Gouvernement. Le
pouvoir a toujours financé des milices ethniques pour le soutenir contre les
autres camerounais. Ceux des camerounais Bétis ou Boulous qui ne soutiennent
pas le pouvoir sont menacés, comme le sociologue et prêtre Jean-Marc Ela qui a
dû s’exiler, et même assassinés comme le Père Engelbert Mveng. Et d’autre part
les faucons du régime originaires du Centre et du Sud s’organisent pour rester
au pouvoir après le départ de M. Biya, qu’ils ont du reste essayé de renverser.
Celui-ci n’a d’ailleurs échappé au coup en préparation que grâce à la France
qui l’avait averti. A quoi vont servir les fortes sommes détournées, si ce
n’est à la constitution et à l’équipement des milices tribales en vue de la
conservation du pouvoir ?
La
corruption et les détournements de deniers publics sont des pratiques tolérées,
voire encouragées au Cameroun. Ces pratiques font partie du fondement du
système. Loïc le Floch-Prigent, ancien directeur de la Compagnie Elf a déclaré
au cours de son procès en France qu’il a donné à M. Biya un pourcentage
sur chaque baril de pétrole quand ils ont obtenu une concession. En 1992, M.
Biya avait besoin de 45 millions de dollars pour sa campagne électorale, et
d’après Alfred Sirven, ancien Directeur des Affaires Générales de Elf, Elf a
accordé ce prêt, gagé sur la production future de notre pétrole. Le journal le
Messager avait dénoncé la vente par anticipation de notre pétrole. Une partie
de ces 45 millions de dollars a été détournée vers une société off shore située
dans les îles Vierges. Selon les estimations, seulement 46% des recettes pétrolières
ont été intégrés au budget entre 1977 et 2006. Le montant des recettes
disparues entre 2000 et 2006 est estimé à 2,6 milliards de dollars. Le secteur
de la foresterie est également concerné par la corruption et les montants en
jeu donnent le tournis. Toujours la corruption ; selon la CONAC, 2,8
milliards d’euros de recettes publiques ont été détournés entre 1998 et 2004,
et d’après un responsable en 2006, la corruption soustrayait jusqu’à 50% des
recettes de l’Etat. 500 milliards, soit 5% du PIB finissent chaque année dans
les poches d’individus. Des enquêtes du Contrôle Supérieur de l’Etat ont montré
qu’au moins 1845 milliards F CFA avaient été volés entre 1998 et 2004. P.158.
Autrefois
autosuffisant, le pays est devenu importateur de produits alimentaires pour 500
milliards par an.
A
cause de cette mauvaise gouvernance, les taux de croissance (3,2% en 2010) ne
suffisent pas pour rattraper le taux de croissance démographique (3,5%). Et
pourtant la dette du Cameroun a fortement été réduite dans le cadre
l’initiative de l’allègement de la dette multilatérale des PPTE ; cette
dette est passée de 45% à 5% du PIB. Il n’est pas surprenant dans ces
conditions que les camerounais continuent de souffrir. Les dépenses de santé
représentent seulement 8% du budget au lieu de 15% adoptés à Abuja par l’Union
africaine.
Au Cameroun, la vertu
est devenue un vice. La rectitude morale, la conscience professionnelle et
l’assiduité au travail sont regardés avec mépris.
Conscient
de tous ces manquements, de ces défaillances et de son déficit de légitimité,
le pouvoir n’autorise que les manifestations non culturelles de ses
partisans ; toutes les autres qui n’ont pas pour but de soutenir M. Biya
et de chanter ses louanges sont interdites. Le régime a profité de la guerre
contre Boko Haram pour faire adopter une loi antiterroriste qui permet traiter
les participants à des manifestations pacifiques hostiles au pouvoir, de
terroriste. L’esprit de la répression demeure avec les dispositions de
l’ordonnance de 1962 contre la subversion qui ont été reversées dans le code
pénal aux articles 113, 154 al. 2 et 157 al. 1a. Ce ne sont pas les 253 partis
enregistrés au Ministère de l’Administration et de la décentralisation, et une
relative liberté d’expression qui font de notre pays une démocratie. Ceux qui
veulent braver l’interdiction doivent faire face à une répression sauvage des
forces de l’ordre, comme cela s’est vu en février 2008.
Ce
pouvoir tient en place grâce au soutien jamais démenti de la France. Après
avoir violé les termes du mandat, soutenu Ahidjo en l’aidant à massacrer ses
opposants, la France a soutenu un tel régime prédateur qui dure indéfiniment.
Les autres puissances occidentales, pourtant conscientes de ce qui se passe
restent passifs. C’est à peine si de temps en temps elles expriment leurs
réserves avec mille précautions et dans le langage diplomatique de surcroît.
Une telle attitude n’est pas de nature à pousser le régime de Yaoundé à
s’amender.
180915
Jean-Claude TCHASSE
PLEG Hors Echelle
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