FONCTION
PUBLIQUE CAMEROUNAISE:
Recrutement discriminatoire.
Comment
devient-on fonctionnaire au Cameroun ? le
recrutement se fait en principe par concours d’entrée dans une école de
formation à la sortie de laquelle on est intégré dans les cadres de la Fonction publique. Il y a
des cas où on est fonctionnaire dès
l’entrée à l’école de formation.
Le recrutement dans la fonction publique reste marqué par le favoritisme et le
népotisme, le tribalisme, la corruption ; il faut tout de même distinguer deux
grandes phases ; la première est celle qui a immédiatement suivi
l’indépendance : l’on recrutait alors à tour de bras, pour remplacer les cadres de l’administration coloniale qui
devaient regagner leurs pays ; ici
le pays est scindé en deux zones : le grand Sud, par où est arrivé le
colonisateur, plus scolarisé, et le grand Nord, moins avancé sur le plan
scolaire ; on a donc défini les quotas en fonction de cette situation,
pour favoriser l’accès à la fonction publique des camerounais originaires du
grand Nord ; il y a eu ensuite l’équilibre régional pour paraît-il encourager
la représentation de toutes les provinces. Les textes relatifs à ces actions,
cités par le Pr Joseph Owona dans son ouvrage Droit administratif spécial de la République du Cameroun, EDICEF, 1984, que
d’aucuns pourraient qualifier de discrimination positive, sont :
·
l’ordonnance n° 59/70 du 27 novembre 1959
portant statut général des fonctionnaires où l’on évoquait déjà la notion de régions
insuffisamment scolarisée ;
·
le décret n° 61/100 du 21 juin 1961 fixant les
modalités d’application de l’ordonnance sus citée ;
·
l’arrêté n° 1054 du 30 août 1961 désignant les
départements reconnus insuffisamment scolarisés (Adamaoua, Bénoué, Diamaré,
Logone et Chari, Margui Wandala, Mayo Danaï, Lom et Kadey, Haut Nyong, Boumba
et Ngoko, le département du Bamoun ajouté par l’additif n° 556 du 11 octobre
1962) ;
·
l’arrêté n° 177 du 8 avril 1964 ne retient comme
départements sous scolarisé que ceux du Nord exclusivement ;
·
le décret n° 66/DF/339 du 23 juillet 1966 crée
une liste A réservée aux ressortissants des régions insuffisamment scolarisés ;
·
le décret n° 75/496 du 3 juillet 75 est venu
confirmer ces places réservées ;
·
l’arrêté n° 4107 du 4 octobre 1982 sur
l’équilibre régional précise les pourcentages ainsi qu’il suit :
provinces
|
pourcentage
|
provinces
|
pourcentage
|
|
Centre-Sud
|
Centre
|
19%
|
Est
|
4%
|
Sud
|
Ouest
|
13%
|
||
Nord
|
Adamaoua
|
30%
|
Littoral
|
12%
|
Extrême-Nord
|
Sud-Ouest
|
8 %
|
||
Nord
|
Nord-Ouest
|
12%
|
L’on remarque
d’abord que le total des pourcentages est inférieur à 100. Comment est gérée la
différence ? Il est précisé que la province d’origine du candidat est
celle des parents légitimes. Sur quoi se sont basées les autorités pour
attribuer tel pourcentage à telle province comme il ressort de l’arrêté
ci-dessus ? on peut supposer
que ce sont les chiffres d’un recensement qui ont servi à déterminer le poids
démographique de chaque province.
Le problème se
pose lorsqu’on est compté dans la population d’une province où l’on réside,
mais dont on n’est pas originaire, ou pour parler comme l’autorise la Constitution de la République, lorsqu’on contribue
à grossir le pourcentage d’une province sans être un autochtone. Voilà qui
ouvre la voie à la surreprésentation de certaines provinces, qui sont les
destinations des migrations des populations. L’on se demande si ces chiffres
sont même respectés aujourd’hui, avec la corruption qui s’en est mêlée. On n’a
jamais vu les résultats d’un concours où l’on précise dans quelle mesure les
dispositions de l’arrêté 4107 ci-dessus ont été respectées.
Cet arsenal réglementaire,
où l’on recherche vainement la volonté d’évoluer vers une rationalisation de
cette discrimination devrait être complété par un décret du Premier Ministre,
annoncé par l’article 60 du décret n° 2000/696/PM du septembre 2000 fixant le
régime général des concours administratifs. Ce décret existe-t-il ?
Il faut dire
que la transparence, qui devrait se traduire par une publication systématique
des actes législatifs et réglementaires n’est pas la première préoccupation des
pouvoirs publics. Le Journal Officiel paraît sporadiquement. Quant au site Internet
(www.spm.gov.cm) du premier ministère son indigence en
matière de textes laisse pantois, et surtout, trahit mal cette réticence du
gouvernement à communiquer, d’une façon générale.
Il semble que
les listes A qui permettaient d’admettre les ressortissants de certaines
provinces titulaires du Brevet d’études
du Premier Cycle (BEPC) comme candidats à des concours ouverts normalement aux
seuls détenteurs du Baccalauréat,
n’existent plus ; les officiers sémi-lettrés, ou au « confort
intellectuel » douteux, comme dirait l’autre, qui pullulaient dans l’armée
camerounaise à une certaine époque, non plus. Notre propos n’est pas de condamner
cette discrimination positive dans un contexte où le mérite, érigé en critère absolu
de sélection semblerait pénaliser certains. L’équilibre régional devrait
conduire à sélectionner les meilleurs de chaque province dans la limite des
quotas définis, ce qui n’est pas toujours le cas.
On se souvient
des démêlés de l’ancien ministre de la fonction publique, Benjamin Amama avec
sa hiérarchie ; il déclarait notamment que l’accès à l’ENAM ne devrait pas
être réservé aux seuls enfants des hautes personnalités, qui n’hésitent pas à abuser de leurs positions, en donnant
dans le trafic d’influence, au détriment de fils de paysans, sans soutien. L’on
se souvient également de la liste des admis à la filière médecine de la Faculté des sciences de la
santé de l’université de Buéa,
publiée par le recteur, puis «corrigée » par le Ministre de l’enseignement
supérieur, Jacques Fame Ndongo, qui l’a rallongée, en faisant passer le nombre
d’admis de 60 initialement annoncé au lancement du concours, à 85. Cet exemple
illustre à souhait comment la politique d’équilibre régional, telle qu’elle est
appliquée actuellement ne se préoccupe pas de la conformité à la réglementation en vigueur.
Du reste,
quand on y regarde de près on constate que certaines régions sont davantage orientées
vers certaines formations, telles que celles dispensées à l’Ecole Nationale d’Administration
et de Magistrature (ENAM), où l’on forme les administrateurs qui seront les Sous-Préfet,
Préfets et Gouverneurs, les magistrats et les cadres des régies financières
(Douane, Impôts, Trésor, etc.), l’Ecole Militaire InterArmes (EMIA), l’Ecole de Police. Ces écoles comptent parmi
les rares dont les étudiants en fin de formation sont directement recrutés à la Fonction publique. Les
diplômés de l’Ecole Polytechnique, de l’ecole
des Travaux Publics, de l’Ecole des postes
et Télécommunications, au niveau Supérieur, ceux des Ecoles Normales
d’Instituteurs, des Ecoles d’Infirmiers ne sont plus recrutés automatiquement.
Répression des subsversifs, puis des opposants.
Il convient également de signaler
le cas de ces camerounais pourtant bien formés, tenus à l’écart du service
public en raison de leurs idées et de leurs convictions, surtout pendant
la première décennie qui a suivi l’indépendance; ils étaient considérés comme
des subversifs, comme une menace au pouvoir d’Ahmadou Ahidjo ; il s’agit
des militants et sympathisants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC),
des anciens militants de l’UNEK (Union des étudiants Kamerounais) ; on
peut citer par exemple Moukoko Priso, Anicet Ekané, et bien d’autres ; ceux
qui tenaient à rentrer au Cameroun devaient renoncer à leurs idées et devenir
membres du parti unique, ou militer dans la clandestinité, au péril de leurs
vies ; dans un pays quadrillé par la tristement célèbre Direction de la documentation
(DIRDOC), police sécrète du régime dirigée d’une main de fer par le sinistre Jean Fochivé. Ceux
qui ont essayé de déroger à cette règle l’ont fait à leurs dépens ; on
peut citer par exemple, Henri Moukouri, Emmanuel Bityeky, Ebelle Tobbo, Mouen
Gaspard, Ambroise Mendjiadeu ; ils ont goûté aux rigueurs des prisons de la BMM, de Yoko, de Mantoum et de
Tcholliré, sans avoir été jugés. Certains d’entre eux n’ont été libérés qu’avec
l’arrivée de Paul Biya au pouvoir.
le régime autocratique qui a imposé le
parti unique en violation de la
Constitution a privé notre pays de précieuses ressources qui
auraient certainement contribué à le propulser à un niveau de développement
supérieur à celui que nous observons aujourd’hui. Si la police mettait autant
d’ardeur pour pourchasser les bandits, que Fochivé en usait pour traquer les « subversifs »,
sûr que le grand banditisme serait réduit à sa plus simple expression.
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