JOURNEE
MONDIALE DES ENSEIGNANTS 2015
Mille raisons de ne pas la fêter au
Cameroun.
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5 octobre de chaque année est une journée instituée par l’UNESCO pour
commémorer l’adoption le 05 octobre 1966 de la Recommandation OIT-UNESCO concernant la condition du personnel
enseignant. C’est normalement un jour où il faut faire le point de la mise
en œuvre de ladite recommandation. Malheureusement, au Cameroun on l’a
transformée en jour de fête ; c’est une fête comme celle célébrée pendant la
Journée Internationale de la Femme. Une compagnie textile de la place en
profite pour se faire du beurre en vendant à tous les enseignants un pagne
spécialement conçu chaque année pour la cause. On organise des beuveries à
l’occasion, mais personne ne peut dire ce que ces célébrations ont apporté de
concret à l’enseignant camerounais, dont la situation est plus que déplorable.
Nul ne peut dire en quoi ces bacchanales ont servi la cause des enseignants.
Qu’il s’agisse des conditions de vie ou de travail, l’enseignant camerounais
est à plaindre, ce qui est à l’origine de la désaffection pour ce corps et de sa
féminisation croissante. Jugez en vous-même.
Les enseignants qui sortent de l’Ecole Normale
Supérieure, et à qui pourtant avait été promise depuis 1988 une bourse
indiciaire, laquelle n’a jamais été payée, sont abandonnés à eux-mêmes et peuvent
faire jusqu’à quatre ans avant de toucher leurs premiers salaires. Ils sont
disséminés à travers la République sans frais de relève. Et certains d’entre
eux tombent sur des chefs revêches qui refusent de leur délivrer le certificat
de prise de service avant qu’ils n’aient travaillé pendant un certain temps.
C’est pourtant une pièce indispensable de leur dossier de prise en charge. Que
peut-on attendre d’un travailleur qui n’a pas son traitement salarial ?
Les conditions de travail sont imposées
par l’employeur, que ce soit dans le public ou dans le privé. C’est ainsi que
par exemple, s’agissant des enseignants de la base, ils ne sont plus des
fonctionnaires titulaires. Leur statut est passé de Instituteur vacataire à
instituteur contractualisé, en passant par maître des parents, etc ; tout
cela jette le trouble et la confusion dans les esprits ; dans tous les cas
la différence entre un contractuel et un fonctionnaire titulaire est énorme.
C’est pour cela que les nombreuses ENIEG qui parsèment la République manquent
de plus en plus de candidats. Les effectifs pléthoriques imposés en violation
de la réglementation, et qui sont l’une de causes principales des taux d’échec
élevés observés, ne sauraient se justifier seulement par la croissance
démographique.
Les organes de gestion de la fonction
publique au sein desquels auraient pu se négocier les conditions de travail
n’existent pas. Il règne sur le terrain un laisser aller et une permissivité
peu propices à la performance. Le
personnel d’appui indispensable au fonctionnement des structures fait l’objet
d’une exploitation honteuse, en violation du Code du Travail. Ils sont pris en
charge par l’APE qui leur paye parfois un salaire inférieur au SMIG et cela 9
mois sur 12 pour certains. Sont-ils affiliés à la CNPS ? J’en doute.
Dans le privé laïc comme confessionnel,
c’est encore plus grave. Il n’existe pas de convention collective dans ce
secteur. Cela fait que certains promoteurs, véritables rapaces, payent des
salaires de misère à des enseignants désabusés. Ne leur parlez ni de SMIG, ni
d’immatriculation à la CNPS. Il faut dire que les privés sont inspirés et
encouragés dans leur conduite par ce qui se passe dans le public. En effet, si
les enseignants du public étaient bien traités, ils n’éprouveraient pas le
besoin de faire des vacations dans le privé, ce qui serait certainement avantageux
pour les permanents du privé.
A indice égal dans le public, le salaire
mensuel d’un enseignant est inférieur à
celui d’un militaire, un policier ou un magistrat par exemple. Ainsi à l’indice
1140, qui est le plafond pour ce corps alors que dans d’autres on avance encore,
la différence en défaveur de l’enseignant est de 172000 FCFA par mois. Il faut
signaler que pendant qu’on baissait les salaires des enseignants de 70% en
1993, les militaires ont été épargnés. Les salaires des magistrats, des
policiers et d’autres corps que j’ignore peut être concernés par ces baisses
ont été rétablis. Les salaires ont été arbitrairement gelés pendant longtemps, et
les faibles augmentations concédées dédaigneusement n’ont pas suffi à rétablir
le pouvoir d’achat sérieusement entamé par les baisses de 1993. Et ce n’est pas
tout : les autres indemnités dues aux enseignants ne sont pas payées. Les
frais de déplacement pour congés, les primes de responsabilité, les vacations
ne leur sont pas payées ou alors ils reçoivent un montant forfaitaire sans
rapport avec les montants prévus. Les dépenses médicales ne sont pas
remboursées. Les primes de rendement payées trimestriellement aux enseignants
dans les établissements sont ridicules et dérisoires quand on les compare à ces
mêmes primes à la justice, dans les formations hospitalières, dans les services
financiers (douanes, impôts, trésor, etc.)
Les avancements qui étaient censés être
automatiques restent un problème. Entre l’arrêté et les effets financiers cela
ne va pas de soi.
La sélection des participants aux
examens officiels se fait sur des bases subjectives.
Les enseignants sont ces hauts cadres
qui ne peuvent pas vivre de leurs salaires, et doivent s’adonner à d’autres
activités pour s’en sortir. Et à la retraite, pour ceux qui y parviennent
encore entiers, leurs pensions suffisent à peine à couvrir leurs dépenses.
Les enseignants ont été sacrifiés et ont
subi de plein fouet les mesures draconiennes imposées dans le cadre du Plan
d’ajustement structurel (PAS) par les institutions de Brenton Woods. Avec
l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE en 2006, il y a eu
allègement substantiel de notre dette extérieure. D’autre part lorsqu’on tient
compte :
·
des sommes colossales détournées par les
personnes poursuivies au TCS,
·
de celles perdues à cause de la
corruption, de la gabegie et de l’impéritie ambiante,
·
des salaires et autres primes payés à des
milliers d’agents et de pensionnaires fictifs,
l’argument
des difficultés de trésorerie pour justifier les bas salaires ne résiste pas à
l’analyse.
Quelle est cette profession où la vertu,
la rectitude et l’intégrité morales, l’abnégation, le sens du sacrifice, le
dévouement au service sont mal perçus ?
Les nominations se font sur des critères
éminemment subjectifs. L’inflation des postes de censeur dans les
établissements participe de ce flou et de cet arbitraire entretenus et qui
causent de sérieux préjudices au corps, et partant à l’éducation de notre
jeunesse. On dirait une armée avec plus de colonels que de capitaines. L’on en
arrive à cette situation cocasse où l’administration est plus nombreuse que le
personnel, dans certains établissements. Le profil de carrière réclamé n’est pas en
vigueur. Ce n’est ni nécessaire, ni suffisant d’être compétent ou de faire
preuve conscience professionnelle. C’est ainsi que vous verrez dans les
établissements beaucoup de cadres proches de la retraite qui n’ont jamais été
nommés et à qui l’on ne reproche absolument rien. Si l’on peut comprendre que
les postes à pourvoir sont limités, rien ne justifie le refus :
·
de leur octroyer l’indemnité
compensatrice proposée d’une part,
·
et de pourvoir à ces postes par des critères
objectifs d’autre part.
Le statut des enseignants adopté depuis
l’an 2000 n’est pas appliqué dans toutes ses dispositions avantageuses. Le
nouvel échelonnement indiciaire prévu n’a jamais été appliqué ; on attend
toujours le congé sabbatique promis.
Les palmes académiques pour lesquelles
il faut constituer un dossier qui va sûrement être traité « à la
camerounaise » sont de la poudre aux yeux, à supposer que ces dossiers
aboutissent. En effet le statut de la Fonction publique prévoit des récompenses
substantielles qui n’ont jamais été attribuées. Le diplôme d’excellence par
exemple est décerné par le Premier Ministre au cours d’une cérémonie
solennelle, et donne droit à des avantages financiers conséquents. L’honorariat
est conféré par le Président de la République et l’on y associe des primes que le
récipiendaire touche pendant la retraite.
A ceux qui pontifient sur le caractère
sacerdotal de notre profession et sur le patriotisme, sans être prêts à
consentir le moindre sacrifice, nous leur demandons de prêcher par l’exemple.
Les lois liberticides restent en vigueur
en matière de liberté syndicale et de droit de grève. Pire, la loi
antiterroriste de décembre 2014 marque un recul net par rapport aux avancées de
1990 ; du reste, la fameuse ordonnance contre la subversion de 1962 a été
fondue dans le Code pénal. Une épée de Damoclès est suspendue sur les libertés
au Cameroun.
La profession enseignante souffre de la
politisation à outrance de la société ; c’est ainsi que les établissements
sont créés et transformés sans étude technique préalable, sans critères
objectifs. De tels établissements, souvent abandonnés aux parents et à l’élite
du coin, manquent les infrastructures et
le personnel nécessaires à leur bon fonctionnement. L’engagement politique pour
le parti au pouvoir est l’un des critères non dits de promotion. L’on observe
des progressions fulgurantes qui ne peuvent s’expliquer que par ces pistons-là.
Beaucoup de chefs sont des protégés d’hommes politiques sans qui, il est plus
difficile, voire impossible d’évoluer dans la profession. C’est pour cela que
certains d’entre eux, sûrs de leurs protecteurs hauts placés peuvent se
permettre de narguer leurs hiérarchies directes et commettre d’autres bourdes
sans être inquiétés.
La tribalisation progressive des
nominations n’est pas le moindre des problèmes rencontrés ; de plus en
plus, les chefs d’établissements et autres responsables sont des autochtones
des lieux d’implantation des établissements. Les élus, les hauts responsables,
les hommes d’affaires et autres « élites » sont mis à contribution. C’est
sans doute ce qui explique la présence des chefs traditionnels lors de
l’installation de leurs fils qui ont arraché de « haute lutte » un
poste de Proviseur dans un grand lycée situé au village.
Certains parmi les enseignants avertis
qui saisissent les instances compétentes pour obtenir justice sont déboutés
pour des motifs fallacieux, cela à l’issue de procédures révoltantes par leur iniquité,
leur cherté et leur longueur. Imaginez des recours qui mettent 15 ans, voire
plus pour être instruits.
Malgré leur vocation pour la
profession beaucoup d’enseignants, démotivés et démoralisés par ce traitement
inique et dévalorisant, lorgnent ailleurs et sont tentés par l’émigration, même
clandestine. Déjà un grand nombre, après avoir obtenu le matricule se font
nommer dans d’autres ministères tels que la culture, le transport, les mines,
le tourisme, etc.
Dans les pays comme le Gabon ou la Côte
d’Ivoire par exemple, les enseignants sont beaucoup mieux traités que dans
notre pays.
Cela dit, après avoir tiré à boulets
rouge sur l’administration et les promoteurs, peut-on prétendre que
l’enseignant est exempt de tout reproche ? Que non ! Il n’est pas
seulement victime de ce qui lui arrive, il est complice et coupable. Oui coupable
de veulerie et d’apathie, coupable d’indifférence, coupable de résignation,
coupable de démission. Ceux qui ont pu obtenir des postes par des moyens peu
honorables s’acharnent sur leurs collègues coupables d’avoir revendiqué des
droits pour tous. Voilà une foule qui ne sait pas faire foule, qui subit sans
réagir, qui se laisse conduire comme des agneaux à l’abattoir.
Le savoir est un pouvoir, dit-on ;
dépositaires et dispensateurs du savoir, mais néanmoins incapables de s’en
servir pour résoudre leurs problèmes, tel est le paradoxe de l’enseignant
camerounais en 2015. Les exemples historiques de catégories sociales victime d’oppression
mais qui ont pu s’en libérer abondent. Pourquoi est-il si difficile pour les
organisations syndicales de mobiliser les enseignants au Cameroun ? Pourquoi
est-ce que la grève ne mord plus ? Si les syndicats existants s’y prennent
mal, que ceux qui les critiquent en créent d’autres !
Seulement devant le manger et le boire,
certains perdent leur lucidité. Tout se passe comme si on disait « mangez,
buvez jusqu’à vous saouler, dansez le 05 octobre, et puis taisez-vous !!»
Et cela a l’air de marcher.
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190915
Jean-Claude
TCHASSE
PLEG
Hors Echelle
Syndicaliste
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