FONCTION
PUBLIQUE CAMEROUNAISE :
Un statut très partiellement appliqué.
Le
Gouvernement ne semble pas pressé d’appliquer le statut de la Fonction
publique ; en effet, il a fallu attendre septembre 2000 pour la publication
d’une partie des décrets d’application prévus, et mars 2001 pour la publication
de la deuxième partie. à ce jour,
soit 21 ans après la signature du nouveau statut, d’autres textes d’application
sont encore attendus. Nous allons citer, sans être exhaustif, les décrets qui
ont été publiés, mais qui ne sont pas appliqués, et tirer quelques conséquences
de cette situation déplorable.
Le décret n°
2000/694/PM du 13 septembre 2000 fixant les modalités d’exercice du droit à la
participation des fonctionnaires. La non application de ce décret qui découle
de l’article 34 du statut général traduit la condescendance des pouvoirs
publics qui pensent que la relative stabilité d’emploi du fonctionnaire dans un
environnement économique dégradé, marqué par un taux de chômage élevé, est une
faveur, et que le fonctionnaire qui en bénéficie, même s’il est mal payé, ne
devrait pas être exigeant ; le fonctionnaire camerounais subit toutes les
décisions importantes qui engagent son sort : baisse de salaire, gel des
avancements, gestion controversée de la dette salariale et d’autres arriérés,
pour n’en citer que quelques uns. Les dispositions de l’article 2 de ce décret
non appliqué précisent : « (1) les fonctionnaires participent à
l’élaboration des règles statutaires relatives à leur carrière ou au fonctionnement
des services publics, et notamment lorsqu’il s’agit :
−
de tout projet de texte relatif à la situation des
fonctionnaires ;
−
des questions relatives aux droits et obligations des
fonctionnaires ;
−
des orientations de la politique de formation professionnelle
continue dans la fonction publique ;
−
de tout projet de réorganisation de la fonction
publique entraînant un accroissement des effectifs ou ayant pour conséquence
une suppression d’emplois ;
−
de toute politique de révision de la rémunération des
fonctionnaires et des avantages sociaux dont ils sont bénéficiaires ;
−
de tout projet de modification du statut général de la
fonction publique de l’état et
des statuts particuliers ou spéciaux qui en découlent ;
−
de l’avancement des fonctionnaires ;
−
de l’octroi des récompenses ;
−
de la discipline des fonctionnaires ;
(2) la participation des fonctionnaires se
fait par l’intermédiaire de leurs représentants élus et siégeant au sein des
organismes suivants des gestion de la fonction publique : le Conseil
supérieur de la Fonction
publique, les Commissions administratives et paritaires, le Conseil permanent
de discipline de la fonction publique.
(3) la
participation des fonctionnaires s’exerce aussi par l’intermédiaire des
syndicats professionnels légalement reconnus. »
Pourquoi les
autorités s’obstinent-elles dans leur refus d’impliquer les fonctionnaires dans
la gestion de la Fonction
publique ? Est-ce par peur d’affronter dans un cadre légal l’opposition
aux décisions impopulaires, injustifiées, imposées depuis 1994? en effet le prétexte du manque d’argent
brandi comme une antienne au gel des salaires et des avancements, au refus de
payer les arriérés, au refus d’appliquer les statuts particuliers, ne résiste
pas à l’analyse ; les milliards de Francs CFA payés en salaires aux
milliers d’agents fictifs pendant des années, auraient pu être redistribuées
aux agents en poste.
Le Président
de la République
endosse seul la responsabilité de la situation actuelle, lui de qui dépend
finalement tout, lui qui détient tous les pouvoirs, dans notre système
hypercentralisé, pour ne pas dire autocratique. L’agent public doit ainsi subir
l’arbitraire d’une Administration peu préoccupée de légalité, de transparence
et d’équité, qui excelle dans l’arrogance, abuse du pouvoir discrétionnaire, et
dont les différentes actions manquent de lisibilité et de cohérence.
Inexistence des organes de gestion.
Le décret n°
2000/684/PM du 13 septembre 2000 portant organisation et fonctionnement du
Conseil permanent de Discipline de la fonction publique et fixant les règles de
la procédure disciplinaire. Le conseil de discipline institué par le décret n°
2000/694/PM du 13 septembre 2000 fixant les modalités d’exercice du droit à la
participation des fonctionnaires, et dont il est question dans ce décret n°
2000/684/PM, est présidé par le ministre chargé de la fonction publique ou son
représentant ; il comprend parmi ses cinq membres un seul représentant du
personnel choisi parmi les délégués du personnel élus aux commissions administratives
et paritaires.
les élections des délégués du personnel
n’ont jamais été organisées ; ce qui signifie que le conseil de discipline
n’existe pas ; s’il en existe un, il est illégal, puisque sa composition
n’est pas conforme aux dispositions de ce décret dont nous décrions
l’inapplication ; par conséquent, les sanctions autres que celles du
premier groupe, définies à l’article 94 du statut général, et qui ne peuvent,
aux termes des dispositions de l’article 102 dudit statut, être valablement
infligées aux fonctionnaires relevant du statut général sans l’avis du conseil
de discipline, ne peuvent être appliquées, tant il est vrai que c’est devant
cette instance que s’exerce le droit à la défense, qui est sacré ; il est
vrai que d’après l’article 3 du décret non appliqué, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire
n’est pas liée par l’avis du Conseil. Cette disposition liberticide donne un
pouvoir extraordinaire à l’autorité en question et rend même inutile la
procédure devant le conseil.
Parmi les
sanctions ainsi désactivées, on peut citer l’abaissement de d’échelon,
l’abaissement de grade, la révocation. C’est le règne de l’impunité ;
voilà l’une des causes de l’improductivité et du manque de compétitivité de
notre Administration ; qu’est ce qui peut dans ces conditions dissuader
les fonctionnaires d’afficher les comportements et attitudes antipatriotiques observés ? De fait, à
cause de cette permissivité, nous évoluons dans un capharnaüm, où chacun fait
ce qu’il veut ; retards fréquents, courtes absences répétées et
injustifiées, longues absences non sanctionnées, affairisme, corruption, prévarication, concussion, voilà
le lot de notre fonction publique ; on sait que des fonctionnaires
camerounais sont installés au Gabon, aux Etats-Unis, en Europe et dans d’autres
pays sans autorisation, mais ne sont pas inquiétés. Les poursuites judiciaires
contre les fonctionnaires véreux et indélicats qui pullulent dans notre
Administration sont rares. On a plutôt à faire à des règlements de comptes,
sans aucun souci de justice ; pour Titus Edzoa par exemple, il a été
condamné non pour détournement de fonds, mais pour avoir commis un crime
impardonnable de lèse-majesté et d’ingratitude, en convoitant le siège de celui
qui l’avait fait roi.
Affectation disciplinaire.
Si le conseil
de discipline de la Fonction
publique n’existe pas, comment sont alors sanctionnés les fonctionnaires
fautifs, ou mieux, comment sont traités les présumés fautifs ? Il faut
distinguer plusieurs cas : ceux qui sont nommés sont relevés de leurs fonctions
quand on estime que c’est grave, ou quand c’est moins grave, « appelés à
d’autres fonctions ». on ne
précise jamais qu’il s’agit d’une sanction, pas plus qu’il n’est mentionné ce
qui est reproché à la victime ; or la sanction doit avoir valeur
d’exemple, elle doit être dissuasive, cela doit être un message clair à
l’intention de ceux qui seraient tentés de commettre des méfaits.
A ceux qui ne
sont pas nommés, on inflige l’affectation disciplinaire ; cette sanction
pose plusieurs problèmes, dont nous pouvons citer trois :
·
d’abord, elle n’est pas prévue dans le statut de
la fonction publique qui énumère de manière exhaustive les sanctions
possibles;
·
ensuite, celui qui la subit ne bénéficie pas de
la présomption d’innocence, puisqu’il ne lui est pas donné la possibilité de
faire valoir les droits de la défense ; l’autorité peut ainsi sanctionner
sans suivre la procédure disciplinaire, ce qui a donné lieu à de nombreux
abus ;
·
enfin, cette sanction ne tient pas compte de la
nécessite de répartir rationnellement le personnel sur le territoire
national ; celui qui est affecté se retrouve en sureffectif, et sous
employé, le seul objectif étant de l’éloigner autant que possible des
zones urbaines.
En effet,
notre pays est divisé depuis l’époque coloniale en deux principales
zones ; ce que les administrateurs coloniaux français ont appelé le
Cameroun utile, et le reste. Il faut reconnaître que certaines parties du pays
sont plus attrayantes que d’autres : disponibilité des denrées
alimentaires, facilité de communication avec des routes bitumées ou à tout le
moins entretenues, couverture en réseau SONEL, SNEC et téléphone
cellulaire; d’autres sont par contre désavantagées par leur enclavement,
l’hostilité de leur environnement naturel, etc. quand vous êtes « sage » vous êtes maintenu dans la
première zone, sinon vous êtes affecté disciplinairement dans la seconde.
L’affectation peut se faire soit pas décision, soit par simple note de
service ; dans le deuxième cas vous n’avez pas droit à l’indemnité de
déplacement ; la sanction non-dite consiste à obliger le fonctionnaire à
financer son déplacement, qui implique un déménagement, de ses propres poches;
il convient de noter que même affecté par décision, l’Administration peut
refuser de vous payer les frais de déplacement ; « pierre qui
roule n’amasse pas mousse », dit le proverbe ; par ces temps
difficiles, avec les salaires réduits, personne ne veut être muté, si ce n’est
pas pour aller dans la zone utile. dans tous les cas l’affectation
disciplinaire est présentée comme une
affectation pour « nécessité de service » ; on ne fait pas ce
qu’on dit, et on ne dit pas ce qu’on fait ; on peut traduire par cette
formule la prépondérance des règles non écrites, des non-dits, qui dépendent de
l’humeur des individus, et qui sont sources d’injustices et d’arbitraire, sur
les règles écrites.
Le décret n°
2000/698/PM du 13 septembre 2000 fixant les modalités d’organisation et de fonctionnement
du Conseil Supérieur de la
Fonction publique. La non application de ce décret signifie
que le Conseil supérieur de la
Fonction publique n’existe pas ; nous avons cité Joseph
Owona (cf. supra) qui relevait déjà
que cet organe, qui existait déjà dans les textes, ne fonctionnait pas non plus
avec l’ancien statut ; pourquoi ce conseil
n’a-t-il jamais été mis en place ? D’après les articles 2, 4 et 6 de ce décret non appliqué, ce conseil, présidé par le premier ministre, et qui comprend 12
représentants des fonctionnaires à raison de 3 par catégorie, élus parmi les
délégués du personnel aux commissions administratives paritaires a deux rôles
principaux : il connaît de toute question
d’ordre général concernant la Fonction publique, et il est l’instance d’appel
en matière disciplinaire.
Le décret n°
2001/115/PM du 27 mars 2001 portant organisation et fonctionnement des
commissions administratives et paritaires. Une commission administrative paritaire
est instituée au sein de chaque cadre ; elle comprend deux représentants
du personnel, dont les modalités d’élection sont prévues aux articles 9 à 29 de
ce décret non appliqué ; ces élections n’ont jamais été organisée dans ce
pays ; pourquoi ? Qui a peur des délégués du personnel dans ce
pays ? cet état de fait est
d’autant plus surprenant que l’avis de la commission administrative paritaire
est requise pour certaines sanctions et certaines récompenses d’une part, et
d’autre part, les membres d’autres organes tels que le Conseil supérieur de la fonction publique
et le conseil permanent de discipline sont élus parmi les délégués du personnel
à ces commissions administratives paritaires; la décision d’organiser ces
élections dépend du bon vouloir d’une personne haut placée dans la
hiérarchie ; en est-elle consciente ? Certainement. Qu’est-ce qui
fait problème ? Voilà une situation illégale qui est imposée, au détriment
de tous et que personne ne voudrait endosser. En effet personne dans la haute
hiérarchie ne s’est jamais cru obligée de justifier cette situation. S’ils sont
interpellés, ils vous diront qu’on attend les textes d’application, ou que
sais-je encore, les textes particuliers ; c’est une technique bien connue
qui cache mal la réticence du gouvernement à appliquer un texte, ou pour
renvoyer sine die sa mise en œuvre.
Le décret n°
2001/108/PM du 20 mars 2001 fixant les modalités d’évaluation des performances
professionnelles des fonctionnaires.
Cette opération se fait encore sur des formulaires se référant à
l’ancien statut. Telle qu’elle se passe, la notation est une occasion pour les
chefs de sanctionner leurs collaborateurs peu accommodants ; ils en
profitent donc pour porter des appréciations souvent farfelues et mensongères
sur les bulletins, quand ils ne les font pas disparaître carrément. Voici ce
qu’en dit le Pr Lekene Donfack dans son article : « ….en effet, la
notation était routinière et empreinte de subjectivité. Les concepts utilisés
tels que ‘’ dévouement, esprit d’initiative, sens de l’organisation,
serviabilité’’ n’avaient pas la même signification pour les autorités chargées
de noter leurs subalternes. Par ailleurs, aucun critère et aucune norme
objective n’induisaient des comparaisons pertinentes entre deux fonctionnaires
ayant la même note. Enfin, souligne M. MOMO Bernard, le système de
notation chiffré est davantage axé sur l’individu au détriment de l’activité ou
de la tâche, toutes choses qui ne permettent pas d’apprécier les contributions
individuelles des personnels dans la réalisation des objectifs de
l’organisation. » Ce décret non appliqué est une innovation majeure ;
on y parle d’évaluation et non de plus notation ; elle se fait désormais à
l’initiative du supérieur hiérarchique direct, avec les objectifs fixés en
accord avec le fonctionnaire concerné, en fonction des moyens disponibles et
des conditions de travail, entre autres. Le fonctionnaire doit approuver
l’évaluation faite par son supérieur hiérarchique direct, avant transmission au
supérieur hiérarchique au second degré. Des dates butoirs sont fixées, pour
éviter les retentions et les disparitions de bulletins de notes dans le but de
nuire, qui étaient monnaie courante.
RÉCOMPENSES PRÉVUES JAMAIS DÉCERNÉES.
Le décret n°
2001/114/PM du 27 mars 2001 portant statut du fonctionnaire honoraire. L’honorariat,
auquel ne peut prétendre un fonctionnaire s’il n’a obtenu au moins soit la
mention honorable, soit le diplôme d’excellence, est conféré par décret
présidentiel après avis, entre autres de la commission administrative
compétente, d’après es dispositions des articles 3, 4, 5 de ce décret non
appliqué. Cette distinction est la plus importante des récompenses prévues à
l’article 111 du statut de la fonction publique, mais dont les plus
importantes, à savoir, la mention honorable, le diplôme d’excellence,
l’honorariat, ne peuvent être attribuées sans l’avis de la commission
administrative paritaire qui n’existe pas encore. Aucun fonctionnaire n’a
encore reçu ni cette distinction, ni les autres récompenses. Pourquoi ?
Est-ce possible qu’aucun fonctionnaire ne se soit jamais démarqué, au point
d’être pressenti pour ces récompenses ? Les nominations qui restent donc
les seules motivations, sont malheureusement transformées en fonds de commerce
et sont détournées de leur objectif
noble, pour embrigader notre
Administration comme nous l’avons dit plus haut. Qu’est-ce qui peut donc
encourager, en fin de compte l’agent public par ailleurs mal payé, à consentir
les sacrifices nécessaires pour être efficace et avoir le bon rendement
souhaité ? Surtout dans un environnement où ne foisonnent pas les exemples
de probité et d’intégrité, où il est question quotidiennement d’actes impunis
de concussion et de prévarication. il
ne lui reste plus que sa conscience, ses convictions religieuses et
philosophiques, qui doivent être par ailleurs bien ancrées, pour le convaincre
de faire preuve de patriotisme et d’abnégation dans de telles conditions.
Le régime des
pensions civiles attend d’être adapté au nouveau statut qui prévoit la retraite
anticipée après 15 ans de service.
Jean-Claude
TCHASSE
Syndicaliste
PLEG
Hors Echelle
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