FONCTION
PUBLIQUE CAMEROUNAISE:
Un statut inconstitutionnel.
le statut de la Fonction publique est
l’objet du décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 ; c’est donc un acte
réglementaire, ce qui constitue une exception, lorsqu’on le compare avec les
textes équivalents dans les autres pays africains francophones, ou même avec
celui de la France. Ce
sont des lois ou des ordonnances dans tous ces pays, sauf donc au Cameroun et
au Burundi. Il n’en a pas toujours été ainsi ; lorsqu’on remonte dans
l’histoire, on tombe tout de même sur l’ordonnance n° 59/70 du 27 novembre
1959, qui régissait la
Fonction publique au Cameroun oriental. Mais au niveau
fédéral, on avait le décret n° 66/DF/53 du 13 février 1966, qui a été remplacé
plus tard par le décret n° 74/138 du 18 février 1974.
D’après le Pr
Lekene Donfack, dans l’article intitulé Réflexions
sur le nouveau statut de la
Fonction publique, publié par la revue Juridis Info n°
20, ce statut qui devrait être au moins une ordonnance à défaut d’être une
loi, est par conséquent inconstitutionnel, puisqu’il renferme en son sein des
droits et obligations du fonctionnaire – citoyen, qui aux termes de l’article
26 de la constitution sont du
domaine de la loi. Dans son article, le Pr Lekene Donfack renvoyait à l’article
21 de la Constitution
de 1972, qui était en vigueur au moment de la rédaction de l’article, en 1994.
Plus loin dans l’article, l’auteur
remarque que la procédure devant le Conseil supérieur de la Fonction publique est
d’une longueur susceptible de remettre en cause les délais prévus par
l’ordonnance 72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême.
ce statut a été imposé par la Banque Mondiale comme une
urgente nécessité pour faire aboutir le troisième Plan d’Ajustement structurel (PAS), selon le Pr Maurice
Kamto dans l’article intitulé Regard sur
le nouveau statut de la
Fonction publique publié dans la revue Lex Lata du
28 octobre 1994. la deuxième
partie du texte est intitulée : « un texte quelque fois ambigu aux
relents répressifs ». le
caractère répressif de ce statut est illustré par les dispositions de l’article
106 qui mettent le fonctionnaire dont la solde est suspendue pour absence
irrégulière ou détention, dans une situation plus qu’inconfortable ; en
effet un fonctionnaire qui se trouverait dans cette situation par suite d’un
abus d’autorité ou d’une erreur serait contraint de saisir le juge
administratif, puisque la phase précontentieuse qui consiste à adresser un
recours gracieux aux autorités compétentes, dans l’espoir d’un règlement
administratif du litige a été rendue inopérante. Ce qui contredit l’ordonnance
72/6 dont l’article 12 exige en substance que la saisine du juge administratif
soit précédée d’une tentative de conciliation. Et l’Administration attend, pour
rétablir la solde, une « décision passée en force de la chose
jugée », c’est-à-dire un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour Suprême statuant en
matière administrative, qui est l’instance d’appel ; or la procédure à la
juridiction administrative ne se distingue pas par sa célérité ; elle peut
durer 8, voire 10 ans. Que fait la victime pendant tout ce temps ?
Il a conclu
son article en soulignant « l’urgence qu’il y avait à relire de façon plus
administrative le nouveau statut d’une part, et à édicter un décret modificatif
le mettant en conformité avec d’autres textes et principes hiérarchiquement
supérieurs de notre ordonnancement juridique. » En d’autres termes,
l’inconstitutionnalité du statut de la fonction publique se double
d’illégalité, parce qu’il existe des ordonnances et des lois camerounaises
auxquelles il n’est pas conforme.
Ce statut a
été ainsi publié alors que l’ancien statut (décret n° 74/138 du 18 février
1974) n’était pas appliqué dans toutes ses dispositions, notamment en ce qui
concerne les organes consultatifs suivants, prévus à l’article 17 : le conseil supérieur de la fonction
publique, les commissions administratives paritaires, les conseils de santé. Le
conseil de discipline qui devait être une émanation de la commission
administrative et paritaire, d’après les dispositions de l’article 26 de l’ancien
statut, n’a jamais été mis en place, non plus. Dans son ouvrage intitulé Droit administratif spécial de la République du Cameroun,
EDICEF, 1984, le Pr Joseph Owona, citant M Eyebe Ayissi à la P.31, dit que le Conseil
supérieur n’a jamais fonctionné ; il compare cet organe prévu, mais jamais
mis en place à l’organe semblable en France, qui est « présidé par le
Premier ministre, et qui jouit d’une très grande autorité morale de par les
compétences représentées, en association avec l’effectivité de la représentativité
des délégués syndicaux. »
Pourquoi
n’a-t-il jamais pesé pour leur mise en place du haut des positions stratégiques
qu’il a occupées dans notre Administration ? Ou alors, faut-il comprendre
que son avis n’a pas été pris en compte ? Il faut rappeler que M. Joseph
Owona a été entre autres, secrétaire
général de la Présidence. Il
se faisait appeler « Président technique ». Pourquoi prévoir des
organes que l’on ne se préoccupe point ensuite de faire fonctionner ?
L’article 19 de l’ancien statut dispose : « le conseil supérieur de
la fonction publique est saisi pour avis ou suggestion des problèmes d’intérêt
général concernant la fonction publique et les fonctionnaires. Il émet éventuellement son avis sur les réformes
du statut général et des statuts particuliers. » ce qui signifie que l’avis du conseil supérieur n’est pas
obligatoire, en cas de réforme du statut ; comme si cette précaution ne
suffisait pas, l’organe en question n’a jamais vu le jour. Les autorités se donnent ainsi la latitude de
prendre des décisions importantes, pouvant avoir une influence déterminante sur
la vie des travailleurs sans les y associer, sans négocier avec eux, qui sont
les principaux concernés, que dis-je les principales victimes des errements d’une
Administration dont le souci pour l’intérêt général reste à prouver. Pour
obtenir l’adhésion de ceux qui vont mettre une mesure en application, il faut
les associer à son élaboration ; c’est fort de ce constat que
l’Organisation internationale du Travail a adopté en 1949, la Convention n° 98 sur le
droit d’organisation et de négociation collective, que le Cameroun a ratifiée
le 03 septembre 1962.
Joseph owona, Lekene Donfack et Maurice Kamto
tous d’éminents juristes, ont été des membres du gouvernement ; ont-ils été associés à l’élaboration de
ce statut qu’ils ont trouvé par la suite inconstitutionnel, pour ce qui est des
deux derniers cités ? sans
doute faut-il comprendre que les pesanteurs et l’inertie du système ne leur
permettent pas d’impulser les adaptations, les innovations et les changements
qu’ils souhaiteraient.
Jean-Claude
TCHASSE
Syndicaliste
PLEG
Hors Echelle
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