mercredi 16 septembre 2015

HOMMAGE A RUBEN UM NYOBE. De la nécessité de passer d’une mémoire conflictuelle à une mémoire consensuelle.



HOMMAGE A RUBEN UM NYOBE.
De la nécessité de passer d’une mémoire conflictuelle à une mémoire consensuelle.

Dans le cadre de la commémoration de l’assassinat de Ruben Um Nyobé, Chef de la résistance camerounaise à l’oppression coloniale, l’UPC « âme immortelle » du peuple camerounais a organisé une semaine des martyrs qui s’est achevée le 13 septembre 2015 par deux activités en salle ; un spectacle et une conférence, dans la salle de conférences de la CAPLAMI à Bafoussam.
Le spectacle mis en scène par Kouam Tawa et joué par le comédien Armstrong de la compagnie Feugham portait sur une pièce intitulée « Je n’aime pas l’Afrique », écrit par Albert Béville, d’origine guadeloupéenne, plus connu sous le nom de Paul Niger, lequel était un ancien administrateur de colonies en Afrique, membre fondateur de la maison d’édition Présence Africaine et membre du parti RDA.
Le panel de la conférence dont le modérateur était Charly Gabriel Mbock, était composé des universitaires suivants :
·         Jacob Tatsita, Historien, auteur avec Thomas Deltombe du volumineux ouvrage Kamerun, une guerre oubliée
·         Faustin Kenne, Historien
·         Mathias Eric Owona Nguini Professeur de Sciences Politiques
·         Sindjoun Pokam, Philosophe et Polémologue
Jacob Tatsita a parlé de quelques combattants qu’il a appelés les oubliés de l’Histoire. Il a commencé par Fogang Viali qui était l’un des fondateurs de la branche de l’Ouest du CNO, bras armé de l’UPC dont le but était le boycott actif des élections de 1956. Cette branche armée a été fondée au village Kaa à Baham. L’administration coloniale informée, a bloqué la troupe de choc mise sur pied à cet effet au niveau du fleuve Nkam. Il a ensuite parlé de Nzofou Ahmed agent de police et membre de l’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC) dont Um Nyobé était le Secrétaire Général. Ce policier syndicaliste avait été radié de la police à la suite de la grève de 1945 ; il est devenu membre du Kumze qui a signé une alliance avec l’UPC en 1948. Seulement cette société qui comprenait les chefs traditionnels et qui était présidée par Djoumessi Mathias, Chef Foreké s’est retrouvé en butte à la désapprobation et aux pressions subséquentes de l’administration pour casser cette alliance. Ce qui est effectivement arrivé avec l’annonce de la démission de l’UPC de Nzofou en 1950 et de Djoumessi Mathias en 1951. Nzofou sera repris dans la police et affecté au Nord, puis à l’Est. Seulement l’annonce de sa démission de l’UPC s’est avérée être trompeuse puisqu’il a continué à militer dans l’UPC en créant de nouvelles bases dans les villes où il était affecté. Il a finalement demandé et obtenu d’être ramené à l’Ouest où il est resté très actif dans l’UPC. Le troisième personnage dont a parlé Jacob Tatsita s’appelait Markus Mondi, planteur dans la région du Mungo et originaire de Babadjou. Il a créé le comité de base de Babadjou en 1955 ; il est finalement arrêté en 1959.
L’historien Faustin Kenne a commencé par replacer la répression dans son cadre général. Il a reparlé de l’alliance entre le Kumze de Djoumessi Mathias et l‘UPC à la suite du congrès de l’UPC tenu à Dschang en 1950, et qui faisait des membres du Kumze ceux de l’UPC. L’UPC demandait la généralisation de la caféiculture qui procurait de l’argent, mais qui malheureusement était la chasse gardée des chefs traditionnels et de certains notables. L’autre problème qui se posait à l’Ouest et qui aurait favorisé l’adhésion des populations était que les terres étaient la propriété des chefs. Les populations ont dû migrer très tôt vers le Mbam, le Littoral et le Mungo voisin à la recherche de l’espace vital. L’activisme des upécistes dans la partie Sud du pays a poussé l’administration coloniale à disséminer à travers le territoire, ces militants décidément trop entreprenants. Le remède s’est avéré pire que le mal puisque les concernés en ont profité pour implanter le parti partout où ils étaient affectés. Ce qui a obligé l’administration à faire machine arrière et à les regrouper à Douala afin de mieux les contrôler. Malheureusement, dans un contexte de crise sociale généralisée avec les bas salaires et l’inflation entre autres, cela conduit aux émeutes de mai 1955. L’UPC est interdite en juillet 1955. Ceux des chefs traditionnels qui étaient hostiles à ce parti vont se livrer à la chasse à ses militants. Cette interdiction et cette chasse ont poussé ce parti à la rébellion armée, alors qu’il n’y était pas préparé. Le Comité National d’Organisation (CNO) branche militaire de l’UPC, est créé en 1956. Ce Comité opérait en pays Bassa et a été affaiblie après l’assassinat de Um Nyobé. Les autres dirigeants de l’UPC (Félix Moumié, Ernest Ouandié, Ossendé Afana) se sont retrouvés en exil. Ceux de l’intérieur ont continué la résistance avec la création du Sinistre de la Défense Nationale du Kamerun (SDNK) le 10 octobre  1957 par le Chef Baham Kamdem Ninyim Pierre et Singap Martin.
L’administration a mis sur pied des unités de répression : le Groupe Tactique Nord (GTN), et le Groupe Tactique Sud (GTS). L’un des « rebelles » dont a parlé l’Historien Kenne s’appelait Jéremie Ndelene originaire de Bamendjo, et né vers 1920. Il est devenu « rebelle » à la suite de démêlés avec un membre de l’administration coloniale qui avait enlevé la veuve de son père. Jérémie s’est plaint et n’ayant pas obtenu satisfaction s’est vengé en incendiant la concession de l’agent de l’administration auteur du rapt de la veuve de son père. Il va être condamné et emprisonné à Bangou pour cet acte. Durant son séjour en prison, Jérémie qui voulait déjà se venger va rencontrer des upécistes qui vont le « former » à leurs méthodes. C’est ainsi qu’à sa sortie de prison, il va créer et animer le comité de base UPC de Bamendjo.
Parmi les unités créées par l’administration pour combattre la « rébellion » il y avait en plus des groupes d’autodéfense, la garde civique Bamiléké, inspirée des Harkis d’Algérie. L’administration encore dirigée par les français après l’indépendance de janvier 1960 a continué la répression sauvage par le regroupement forcé des populations dans des camps. Dans le but d’isoler les « rebelles », les villages étaient vidés de leurs populations qui étaient obligées de se rendre dans des camps de regroupement, qui étaient l’équivalent des zones de pacification (ZOPAC) créées en pays Bassa par le sinistre et tristement célèbre Colonel Lamberton, et qui avait été affecté en Région Bamiléké pour continuer sa sale besogne. En plus de ce regroupement forcé des populations contraintes d’abandonner leurs villages et leurs champs, il y a eu les opérations de ratissage (autour de 20) que le modérateur Charly Gabriel Mbock considérait comme des opérations de chasse aux rats. Ces opérations, menées par des « tirailleurs » illettrés pour la plupart ( c’est l’un d’eux, le Sarah Abdoulaye Paul qui a tiré sur Um Nyobé qui, surpris essayait de s’enfuir), sous les ordres d’une administration peu scrupuleuse et pour laquelle les droits de l’homme ne pouvaient s’appliquer aux indigènes, ont donné lieu à exactions et à des actes odieux, à la torture et au massacre de « rebelles » qui étaient ensuite décapités et leurs têtes exposées comme des trophées, afin de semer la terreur dans la population. Je me rappelle de ces têtes coupées exposées, dans la bouche desquelles on avait cyniquement placé des cigarettes à l’entrée du marché à Dschang vers la fin des années 1960. Il faut signaler que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948 a été rédigé par un français.
A la suite de la levée de l’interdiction de l’UPC en février 1960, il y a eu des négociations pour mettre fin à la « rébellion ». Les upécistes exigeaient la libération inconditionnelle de leurs camarades arrêtés. L’administration ayant refusé de céder à cette exigence la « rébellion» a continué. On a évoqué le cas de Momo Paul qui en plus demandait sont intégration dans l’armée au grade de capitaine dont il se prévalait déjà dans la « rébellion». La répression qui s’est intensifiée entre mai et novembre 1960 selon les rapports de la sûreté, a conduit à la mort des principaux chefs d’unité de l’UPC.
On a évoqué les dissensions internes à l’UPC. C’est ainsi que entre Momo Paul, secrétaire de l’état major et Singap Martin le Chef du sinistre de défense nationale, il y a eu des problèmes parce que le premier avait décidé sans son aval de remplacer Simo Pierre qui avait été arrêté, au poste de « capitaine général » et commandant de la compagnie SDNK de la subdivision de Bafoussam. De plus, après la levée de l’interdiction de l’UPC en février 1960 Momo Paul négociait sans l’aval de son chef politique et militaire Singap Martin. Simo Pierre ressortissant Bayangam banni de son village, avait été arrêté le 03 octobre 1958. La rivalité meurtrière entre Momo Paul et Singap Martin, et la création de bandes incontrôlées a conduit au remplacement en mai 1959 du SNDK par l’Armée Nationale de Libération du Kamerun (ALNK).
On a également évoqué les manouvres de l’administration qui commettait des crimes qu’elle imputait à l’UPC. Elle assassinait des religieux, des handicapés, des personnes connues et célèbres et en attribuait la responsabilité à l’UPC. Ces actes avaient pour but de dresser les populations contre les upécistes, de semer les troubles et la zizanie au sein de la population ; et de fait il y a eu des dénonciations et des règlements de compte résultant de ces agissements.
Le Politologue Mathias Eric Owona Nguini a répondu à la question de savoir pourquoi il fallait une guerre d’indépendance au Cameroun. L’UPC a opposé aux colons blancs un discours élaboré, structuré, raisonné et solide, ce qui constituait aux yeux de l’administration coloniale un crime de lèse majesté. Comment des indigènes, fussent-ils évolués pouvaient-ils oser utiliser des concepts réservés aux seul êtres supérieurs qu’ils croyaient être. Le colonisé ne raisonne pas, n’argumente pas. Il ne peut donc pas discuter sur un pied d’égalité avec le blanc. Devant un tel comportement de l’UPC qui n’était pas ce à quoi s’attendait le colon, il ne restait qu’un seul recours, la violence, d’autant plus que sur ce terrain du droit et la logique rationnelle empruntée par l’UPC cette administration n’avait pas d’arguments valables. Le péché de l’UPC est qu’il tenait un discours qui permettait d’entrevoir l’émergence d’un sentiment national au lieu d’évoluer dans l’émotionnel, c’était un parti « détribalisateur », alors que les colons voulaient s’appuyer sur le tribalisme pour diviser les populations. Pour combattre l’UPC l’administration a fait créer des partis tels que l’ESOCAM par exemple qu’elle soutenait et finançait. Et cela n’a pas suffi : les colons ont également fait censurer, calomnier et dénigrer les dirigeants de l’UPC. La France voulait faire fi du statut Cameroun qui était pupille des Nations Unies placée sous sa tutelle, et le traiter comme une vulgaire colonie; c’est ainsi qu’ils voulaient la partie francophone à l’Afrique Équatoriale Française.
Le politologue qui considère l’indépendance de 1960 comme légale, alors que nous avons besoin d’une indépendance substantielle, a ensuite a rappelé la nécessité qu’il y a de bien gérer notre mémoire conflictuelle en vue de réconcilier les tenants de différentes versions, les bourreaux et les victimes. Une façon de dire qu’il y a plusieurs versions de notre Histoire et qu’il faut s’accorder sur une version juste et véridique. Il y a encore des Histoires là où il n’en faudrait qu’une seule. La répression sauvage des nationalistes et les opportunistes qui ont profité des troubles pour régler des comptes sans aucun rapport avec la lutte pour l’indépendance sont à l’origine des rancœurs qui ne sont pas encore dissipées et dont la persistance constitue un danger sérieux pour notre projet national qui demeure inachevé.
Le Philosophe Sindjoun Pokam a dit que l’UPC n’était pas un parti, mais un mouvement et que vu sous cet angle, tous les camerounais, de quelque bord qu’ils se réclament, étaient des upécistes. Il a rappelé les propos de Hegel selon lesquels entre colonisateurs et colonisés, il ne peut y avoir que des rapports de maître à esclave. Les africains avaient comme concept de guerre la résistance armée. Pour revenir à la situation actuelle de notre pays, il a rappelé que l’armistice ne doit pas devenir l’amnésie.
La conférence a été marquée par la présence du patriarche Nicanor NJAWE, un ancien « rebelle », qui fut membre du Comité Révolutionnaire créé par Ernest Ouandié, et qui demandait des clarifications aux historiens présents.
             En 2015, soit 65 ans après les prétendues indépendances, on peut voir la pertinence du combat le l’UPC. Le pouvoir a été remis par la France à ceux qu’elle considérait comme des « modérés », qui n’avaient jamais songé à l’indépendance du Cameroun, par opposition aux « radicaux » de l’UPC. On voit comment ces soit disant modérés et leurs descendants ont géré le pays. Leur bilan est négatif comme on peut le lire par exemple dans le livre « Au Cameroun de Paul Biya » de la journaliste Fanny Pigeaud. Le Cameroun est pris en otage par un régime autocratique, tribaliste, corrompu et incompétent. C’est un pays dont la paix qui servait naguère de bilan est menacée par les terroristes (de vrais ceux-là), et on se demande où sont les français qui ont imposé des accords de défense avec des clauses secrètes à leurs « anciennes » colonies. S’ils déployaient la même ardeur et la même rage que celles qu’on a vues contre les nationalistes dans les années 1960, il est sûr que Boko Haram aurait déjà disparu. Qu’attendent-ils pour soumettre la forêt de Sambissa au Nigéria aux bombardements intensifs comme ils l’ont naguère fait contre les maquis ?

150915
Jean-Claude TCHASSE
PLEG Hors Echelle

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