HOMMAGE A
RUBEN UM NYOBE.
De la nécessité de passer d’une mémoire conflictuelle à une mémoire
consensuelle.
Dans le cadre de la commémoration de l’assassinat de Ruben Um
Nyobé, Chef de la résistance camerounaise à l’oppression coloniale, l’UPC
« âme immortelle » du peuple camerounais a organisé une semaine des
martyrs qui s’est achevée le 13 septembre 2015 par deux activités en
salle ; un spectacle et une conférence, dans la salle de conférences de la
CAPLAMI à Bafoussam.
Le spectacle mis en scène par Kouam Tawa et joué par le comédien
Armstrong de la compagnie Feugham portait sur une pièce intitulée « Je
n’aime pas l’Afrique », écrit par Albert Béville, d’origine guadeloupéenne,
plus connu sous le nom de Paul Niger, lequel était un ancien administrateur de
colonies en Afrique, membre fondateur de la maison d’édition Présence Africaine
et membre du parti RDA.
Le panel de la conférence dont le modérateur était Charly Gabriel
Mbock, était composé des universitaires suivants :
·
Jacob Tatsita, Historien, auteur avec Thomas Deltombe du
volumineux ouvrage Kamerun, une guerre oubliée
·
Faustin Kenne, Historien
·
Mathias Eric Owona Nguini Professeur de Sciences Politiques
·
Sindjoun Pokam, Philosophe et Polémologue
Jacob Tatsita a parlé de quelques combattants qu’il a appelés les oubliés
de l’Histoire. Il a commencé par Fogang Viali qui était l’un des fondateurs de
la branche de l’Ouest du CNO, bras armé de l’UPC dont le but était le boycott
actif des élections de 1956. Cette branche armée a été fondée au village Kaa à
Baham. L’administration coloniale informée, a bloqué la troupe de choc mise sur
pied à cet effet au niveau du fleuve Nkam. Il a ensuite parlé de Nzofou Ahmed
agent de police et membre de l’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC)
dont Um Nyobé était le Secrétaire Général. Ce policier syndicaliste avait été radié
de la police à la suite de la grève de 1945 ; il est devenu membre du
Kumze qui a signé une alliance avec l’UPC en 1948. Seulement cette société qui
comprenait les chefs traditionnels et qui était présidée par Djoumessi Mathias,
Chef Foreké s’est retrouvé en butte à la désapprobation et aux pressions subséquentes
de l’administration pour casser cette alliance. Ce qui est effectivement arrivé
avec l’annonce de la démission de l’UPC de Nzofou en 1950 et de Djoumessi
Mathias en 1951. Nzofou sera repris dans la police et affecté au Nord, puis à
l’Est. Seulement l’annonce de sa démission de l’UPC s’est avérée être trompeuse
puisqu’il a continué à militer dans l’UPC en créant de nouvelles bases dans les
villes où il était affecté. Il a finalement demandé et obtenu d’être ramené à
l’Ouest où il est resté très actif dans l’UPC. Le troisième personnage dont a
parlé Jacob Tatsita s’appelait Markus Mondi, planteur dans la région du Mungo
et originaire de Babadjou. Il a créé le comité de base de Babadjou en
1955 ; il est finalement arrêté en 1959.
L’historien Faustin Kenne a commencé par replacer la répression
dans son cadre général. Il a reparlé de l’alliance entre le Kumze de Djoumessi
Mathias et l‘UPC à la suite du congrès de l’UPC tenu à Dschang en 1950, et qui
faisait des membres du Kumze ceux de l’UPC. L’UPC demandait la généralisation
de la caféiculture qui procurait de l’argent, mais qui malheureusement était la
chasse gardée des chefs traditionnels et de certains notables. L’autre problème
qui se posait à l’Ouest et qui aurait favorisé l’adhésion des populations était
que les terres étaient la propriété des chefs. Les populations ont dû migrer
très tôt vers le Mbam, le Littoral et le Mungo voisin à la recherche de
l’espace vital. L’activisme des upécistes dans la partie Sud du pays a poussé
l’administration coloniale à disséminer à travers le territoire, ces militants
décidément trop entreprenants. Le remède s’est avéré pire que le mal puisque
les concernés en ont profité pour implanter le parti partout où ils étaient
affectés. Ce qui a obligé l’administration à faire machine arrière et à les
regrouper à Douala afin de mieux les contrôler. Malheureusement, dans un
contexte de crise sociale généralisée avec les bas salaires et l’inflation
entre autres, cela conduit aux émeutes de mai 1955. L’UPC est interdite en
juillet 1955. Ceux des chefs traditionnels qui étaient hostiles à ce parti vont
se livrer à la chasse à ses militants. Cette interdiction et cette chasse ont
poussé ce parti à la rébellion armée, alors qu’il n’y était pas préparé. Le
Comité National d’Organisation (CNO) branche militaire de l’UPC, est créé en
1956. Ce Comité opérait en pays Bassa et a été affaiblie après l’assassinat de
Um Nyobé. Les autres dirigeants de l’UPC (Félix Moumié, Ernest Ouandié, Ossendé
Afana) se sont retrouvés en exil. Ceux de l’intérieur ont continué la
résistance avec la création du Sinistre de la Défense Nationale du Kamerun
(SDNK) le 10 octobre 1957 par le Chef
Baham Kamdem Ninyim Pierre et Singap Martin.
L’administration a mis sur pied des unités de répression : le
Groupe Tactique Nord (GTN), et le Groupe Tactique Sud (GTS). L’un des
« rebelles » dont a parlé l’Historien Kenne s’appelait Jéremie Ndelene
originaire de Bamendjo, et né vers 1920. Il est devenu « rebelle » à
la suite de démêlés avec un membre de l’administration coloniale qui avait
enlevé la veuve de son père. Jérémie s’est plaint et n’ayant pas obtenu
satisfaction s’est vengé en incendiant la concession de l’agent de
l’administration auteur du rapt de la veuve de son père. Il va être condamné et
emprisonné à Bangou pour cet acte. Durant son séjour en prison, Jérémie qui
voulait déjà se venger va rencontrer des upécistes qui vont le
« former » à leurs méthodes. C’est ainsi qu’à sa sortie de prison, il
va créer et animer le comité de base UPC de Bamendjo.
Parmi les unités créées par l’administration pour combattre la
« rébellion » il y avait en plus des groupes d’autodéfense, la garde
civique Bamiléké, inspirée des Harkis d’Algérie. L’administration encore
dirigée par les français après l’indépendance de janvier 1960 a continué la répression
sauvage par le regroupement forcé des populations dans des camps. Dans le but
d’isoler les « rebelles », les villages étaient vidés de leurs populations
qui étaient obligées de se rendre dans des camps de regroupement, qui étaient
l’équivalent des zones de pacification (ZOPAC) créées en pays Bassa par le sinistre
et tristement célèbre Colonel Lamberton, et qui avait été affecté en Région
Bamiléké pour continuer sa sale besogne. En plus de ce regroupement forcé des
populations contraintes d’abandonner leurs villages et leurs champs, il y a eu
les opérations de ratissage (autour de 20) que le modérateur Charly Gabriel
Mbock considérait comme des opérations de chasse aux rats. Ces opérations,
menées par des « tirailleurs » illettrés pour la plupart ( c’est l’un
d’eux, le Sarah Abdoulaye Paul qui a tiré sur Um Nyobé qui, surpris essayait de
s’enfuir), sous les ordres d’une administration peu scrupuleuse et pour
laquelle les droits de l’homme ne pouvaient s’appliquer aux indigènes, ont
donné lieu à exactions et à des actes odieux, à la torture et au massacre de
« rebelles » qui étaient ensuite décapités et leurs têtes exposées
comme des trophées, afin de semer la terreur dans la population. Je me rappelle
de ces têtes coupées exposées, dans la bouche desquelles on avait cyniquement placé
des cigarettes à l’entrée du marché à Dschang vers la fin des années 1960. Il
faut signaler que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée le
10 décembre 1948 a été rédigé par un français.
A la suite de la levée de l’interdiction de l’UPC en février 1960,
il y a eu des négociations pour mettre fin à la « rébellion ». Les
upécistes exigeaient la libération inconditionnelle de leurs camarades arrêtés.
L’administration ayant refusé de céder à cette exigence la « rébellion» a
continué. On a évoqué le cas de Momo Paul qui en plus demandait sont
intégration dans l’armée au grade de capitaine dont il se prévalait déjà dans
la « rébellion». La répression qui s’est intensifiée entre mai et novembre
1960 selon les rapports de la sûreté, a conduit à la mort des principaux chefs
d’unité de l’UPC.
On a évoqué les dissensions internes à l’UPC. C’est ainsi que
entre Momo Paul, secrétaire de l’état major et Singap Martin le Chef du
sinistre de défense nationale, il y a eu des problèmes parce que le premier
avait décidé sans son aval de remplacer Simo Pierre qui avait été arrêté, au poste
de « capitaine général » et commandant de la compagnie SDNK de la
subdivision de Bafoussam. De plus, après la levée de l’interdiction de l’UPC en
février 1960 Momo Paul négociait sans l’aval de son chef politique et militaire
Singap Martin. Simo Pierre ressortissant Bayangam banni de son village, avait
été arrêté le 03 octobre 1958. La rivalité meurtrière entre Momo Paul et Singap
Martin, et la création de bandes incontrôlées a conduit au remplacement en mai
1959 du SNDK par l’Armée Nationale de Libération du Kamerun (ALNK).
On a également évoqué les manouvres de l’administration qui
commettait des crimes qu’elle imputait à l’UPC. Elle assassinait des religieux,
des handicapés, des personnes connues et célèbres et en attribuait la
responsabilité à l’UPC. Ces actes avaient pour but de dresser les populations
contre les upécistes, de semer les troubles et la zizanie au sein de la
population ; et de fait il y a eu des dénonciations et des règlements de
compte résultant de ces agissements.
Le Politologue Mathias Eric Owona Nguini a répondu à la question
de savoir pourquoi il fallait une guerre d’indépendance au Cameroun. L’UPC a
opposé aux colons blancs un discours élaboré, structuré, raisonné et solide, ce
qui constituait aux yeux de l’administration coloniale un crime de lèse majesté.
Comment des indigènes, fussent-ils évolués pouvaient-ils oser utiliser des
concepts réservés aux seul êtres supérieurs qu’ils croyaient être. Le colonisé
ne raisonne pas, n’argumente pas. Il ne peut donc pas discuter sur un pied
d’égalité avec le blanc. Devant un tel comportement de l’UPC qui n’était pas ce
à quoi s’attendait le colon, il ne restait qu’un seul recours, la violence,
d’autant plus que sur ce terrain du droit et la logique rationnelle empruntée
par l’UPC cette administration n’avait pas d’arguments valables. Le péché de
l’UPC est qu’il tenait un discours qui permettait d’entrevoir l’émergence d’un
sentiment national au lieu d’évoluer dans l’émotionnel, c’était un parti
« détribalisateur », alors que les colons voulaient s’appuyer sur le
tribalisme pour diviser les populations. Pour combattre l’UPC l’administration
a fait créer des partis tels que l’ESOCAM par exemple qu’elle soutenait et
finançait. Et cela n’a pas suffi : les colons ont également fait censurer,
calomnier et dénigrer les dirigeants de l’UPC. La France voulait faire fi du
statut Cameroun qui était pupille des Nations Unies placée sous sa tutelle, et
le traiter comme une vulgaire colonie; c’est ainsi qu’ils voulaient la
partie francophone à l’Afrique Équatoriale Française.
Le politologue qui considère l’indépendance de 1960 comme légale,
alors que nous avons besoin d’une indépendance substantielle, a ensuite a
rappelé la nécessité qu’il y a de bien gérer notre mémoire conflictuelle en vue
de réconcilier les tenants de différentes versions, les bourreaux et les
victimes. Une façon de dire qu’il y a plusieurs versions de notre Histoire et
qu’il faut s’accorder sur une version juste et véridique. Il y a encore des
Histoires là où il n’en faudrait qu’une seule. La répression sauvage des
nationalistes et les opportunistes qui ont profité des troubles pour régler des
comptes sans aucun rapport avec la lutte pour l’indépendance sont à l’origine
des rancœurs qui ne sont pas encore dissipées et dont la persistance constitue
un danger sérieux pour notre projet national qui demeure inachevé.
Le Philosophe Sindjoun Pokam a dit que l’UPC n’était pas un parti,
mais un mouvement et que vu sous cet angle, tous les camerounais, de quelque
bord qu’ils se réclament, étaient des upécistes. Il a rappelé les propos de
Hegel selon lesquels entre colonisateurs et colonisés, il ne peut y avoir que
des rapports de maître à esclave. Les africains avaient comme concept de guerre
la résistance armée. Pour revenir à la situation actuelle de notre pays, il a
rappelé que l’armistice ne doit pas devenir l’amnésie.
La conférence a été marquée par la présence du patriarche Nicanor
NJAWE, un ancien « rebelle », qui fut membre du Comité
Révolutionnaire créé par Ernest Ouandié, et qui demandait des clarifications
aux historiens présents.
En 2015, soit 65 ans après les prétendues
indépendances, on peut voir la pertinence du combat le l’UPC. Le pouvoir a été
remis par la France à ceux qu’elle considérait comme des « modérés »,
qui n’avaient jamais songé à l’indépendance du Cameroun, par opposition aux
« radicaux » de l’UPC. On voit comment ces soit disant modérés et
leurs descendants ont géré le pays. Leur bilan est négatif comme on peut le lire
par exemple dans le livre « Au
Cameroun de Paul Biya » de la journaliste Fanny Pigeaud. Le Cameroun
est pris en otage par un régime autocratique, tribaliste, corrompu et
incompétent. C’est un pays dont la paix qui servait naguère de bilan est
menacée par les terroristes (de vrais ceux-là), et on se demande où sont les
français qui ont imposé des accords de défense avec des clauses secrètes à
leurs « anciennes » colonies. S’ils déployaient la même ardeur et la
même rage que celles qu’on a vues contre les nationalistes dans les années
1960, il est sûr que Boko Haram aurait déjà disparu. Qu’attendent-ils pour
soumettre la forêt de Sambissa au Nigéria aux bombardements intensifs comme ils
l’ont naguère fait contre les maquis ?
150915
Jean-Claude
TCHASSE
PLEG Hors
Echelle
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