mardi 15 septembre 2015

FONCTION PUBLIQUE CAMEROUNAISE: Un statut inconstitutionnel.



FONCTION PUBLIQUE CAMEROUNAISE:
Un statut inconstitutionnel.

le statut de la Fonction publique est l’objet du décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 ; c’est donc un acte réglementaire, ce qui constitue une exception, lorsqu’on le compare avec les textes équivalents dans les autres pays africains francophones, ou même avec celui de la France. Ce sont des lois ou des ordonnances dans tous ces pays, sauf donc au Cameroun et au Burundi. Il n’en a pas toujours été ainsi ; lorsqu’on remonte dans l’histoire, on tombe tout de même sur l’ordonnance n° 59/70 du 27 novembre 1959, qui régissait la Fonction publique au Cameroun oriental. Mais au niveau fédéral, on avait le décret n° 66/DF/53 du 13 février 1966, qui a été remplacé plus tard par le décret n° 74/138 du 18 février 1974.
D’après le Pr Lekene Donfack, dans l’article intitulé Réflexions sur le nouveau statut de la Fonction publique, publié par la revue Juridis Info n° 20, ce statut qui devrait être au moins une ordonnance à défaut d’être une loi, est par conséquent inconstitutionnel, puisqu’il renferme en son sein des droits et obligations du fonctionnaire – citoyen, qui aux termes de l’article 26 de la constitution sont du domaine de la loi. Dans son article, le Pr Lekene Donfack renvoyait à l’article 21 de la Constitution de 1972, qui était en vigueur au moment de la rédaction de l’article, en 1994. Plus loin dans l’article, l’auteur  remarque que la procédure devant le Conseil supérieur de la Fonction publique est d’une longueur susceptible de remettre en cause les délais prévus par l’ordonnance 72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême.
ce statut  a été imposé par la Banque Mondiale comme une urgente nécessité pour faire aboutir le troisième Plan d’Ajustement structurel (PAS), selon le Pr Maurice Kamto dans l’article intitulé Regard sur le nouveau statut de la Fonction publique publié dans la revue Lex Lata du 28 octobre 1994. la deuxième partie du texte est intitulée : « un texte quelque fois ambigu aux relents répressifs ». le caractère répressif de ce statut est illustré par les dispositions de l’article 106 qui mettent le fonctionnaire dont la solde est suspendue pour absence irrégulière ou détention, dans une situation plus qu’inconfortable ; en effet un fonctionnaire qui se trouverait dans cette situation par suite d’un abus d’autorité ou d’une erreur serait contraint de saisir le juge administratif, puisque la phase précontentieuse qui consiste à adresser un recours gracieux aux autorités compétentes, dans l’espoir d’un règlement administratif du litige a été rendue inopérante. Ce qui contredit l’ordonnance 72/6 dont l’article 12 exige en substance que la saisine du juge administratif soit précédée d’une tentative de conciliation. Et l’Administration attend, pour rétablir la solde, une « décision passée en force de la chose jugée », c’est-à-dire un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour Suprême statuant en matière administrative, qui est l’instance d’appel ; or la procédure à la juridiction administrative ne se distingue pas par sa célérité ; elle peut durer 8, voire 10 ans. Que fait la victime pendant tout ce temps ?
Il a conclu son article en soulignant « l’urgence qu’il y avait à relire de façon plus administrative le nouveau statut d’une part, et à édicter un décret modificatif le mettant en conformité avec d’autres textes et principes hiérarchiquement supérieurs de notre ordonnancement juridique. » En d’autres termes, l’inconstitutionnalité du statut de la fonction publique se double d’illégalité, parce qu’il existe des ordonnances et des lois camerounaises auxquelles il n’est pas conforme. 
Ce statut a été ainsi publié alors que l’ancien statut (décret n° 74/138 du 18 février 1974) n’était pas appliqué dans toutes ses dispositions, notamment en ce qui concerne les organes consultatifs suivants, prévus à l’article 17 : le conseil supérieur de la fonction publique, les commissions administratives paritaires, les conseils de santé. Le conseil de discipline qui devait être une émanation de la commission administrative et paritaire, d’après les dispositions de l’article 26 de l’ancien statut, n’a jamais été mis en place, non plus. Dans son ouvrage intitulé Droit administratif spécial de la République du Cameroun, EDICEF, 1984, le Pr Joseph Owona, citant M Eyebe Ayissi à la P.31, dit que le Conseil supérieur n’a jamais fonctionné ; il compare cet organe prévu, mais jamais mis en place à l’organe semblable en France, qui est « présidé par le Premier ministre, et qui jouit d’une très grande autorité morale de par les compétences représentées, en association avec l’effectivité de la représentativité des délégués syndicaux. »
Pourquoi n’a-t-il jamais pesé pour leur mise en place du haut des positions stratégiques qu’il a occupées dans notre Administration ? Ou alors, faut-il comprendre que son avis n’a pas été pris en compte ? Il faut rappeler que M. Joseph Owona a été entre autres, secrétaire général de la Présidence. Il se faisait appeler « Président technique ». Pourquoi prévoir des organes que l’on ne se préoccupe point ensuite de faire fonctionner ? L’article 19 de l’ancien statut dispose : « le conseil supérieur de la fonction publique est saisi pour avis ou suggestion des problèmes d’intérêt général concernant la fonction publique et les fonctionnaires. Il émet éventuellement son avis sur les réformes du statut général et des statuts particuliers. » ce qui signifie que l’avis du conseil supérieur n’est pas obligatoire, en cas de réforme du statut ; comme si cette précaution ne suffisait pas, l’organe en question n’a jamais vu le jour.  Les autorités se donnent ainsi la latitude de prendre des décisions importantes, pouvant avoir une influence déterminante sur la vie des travailleurs sans les y associer, sans négocier avec eux, qui sont les principaux concernés, que dis-je les principales victimes des errements d’une Administration dont le souci pour l’intérêt général reste à prouver. Pour obtenir l’adhésion de ceux qui vont mettre une mesure en application, il faut les associer à son élaboration ; c’est fort de ce constat que l’Organisation internationale du Travail a adopté en 1949, la Convention n° 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective, que le Cameroun a ratifiée le 03 septembre 1962.
Joseph owona, Lekene Donfack et Maurice Kamto tous d’éminents juristes, ont été des membres du gouvernement ; ont-ils été associés à l’élaboration de ce statut qu’ils ont trouvé par la suite inconstitutionnel, pour ce qui est des deux derniers cités ? sans doute faut-il comprendre que les pesanteurs et l’inertie du système ne leur permettent pas d’impulser les adaptations, les innovations et les changements qu’ils souhaiteraient.

Jean-Claude TCHASSE
Syndicaliste
PLEG Hors Echelle

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