lundi 31 août 2015

Le non de Sékou Touré à de Gaulle



Le non de Sékou Touré à de Gaulle

Article écrit en octobre 2008 

2 octobre 1958 – 2 octobre 2008 ; cela fait 50 ans que Sékou Touré a dit non à de Gaulle, ce Général français célèbre pour avoir dit non à l’Allemagne hitlérienne, en dénonçant la collaboration du régime de Vichy, dans son fameux appel de Londres ; la domination qui était mauvaise quand les français en étaient victimes devait être bonne pour les africains, car comment expliquer autrement la quête de l’indépendance par cette même France qui la refusait aux africains
Paradoxe, vous avez dit ? Il en est de l’indépendance comme de la démocratie. Jacques Chirac estimait que la démocratie n’était pas bonne pour les africains, alors qu’en France c’est un acquis inaliénable depuis la prise de la Bastille.


L’idée loufoque de communauté proposée par de Gaulle, était une parade ; ce Monsieur grand pour les français voulait louvoyer et retarder autant que possible l’accès à l’indépendance des colonies, c’est pour cela qu’il a inventé cette histoire pour maintenir ces colonies sous le giron français ; le non de Sékou Touré a été perçu comme un affront ; comme quoi, vous n’êtes pas libre de refuser ce que la France vous « propose ».
Les guinéens, et surtout Sékou Touré ont payé cher leur rejet de la communauté franco africaine ; les français ont créé chez Sékou une psychose des coups d’états, qui l’ont transformé en dictateur sanguinaire ; il faut dire que les coups d’état sont une marque déposée française, qui l’ont inventée pour mieux contrôler les pays africains, en veillant à ce que ceux-ci soient dirigés par des larbins à leur solde ; cela a commencé au Togo et les conditions de l’assassinat de Sylvanus Olympio par le triste Eyadéma Gnassingbé en sont une preuve plus qu’éloquente ; s’ils en avaient eu la possibilité, ils auraient fait assassiner le leader guinéen, comme ils l’on fait au Togo. Dans les autres colonies ce sont les dirigeants nationalistes qui étaient pris pour cibles, combattus et massacrés : le cas du Cameroun avec Um Nyobé lâchement abattu le 13 septembre 1958, c’est-à-dire peu avant le non de Sékou,  est un des nombreux exemples que l’on peut citer.

50 ans plus tard on se demande ce que l’acceptation de cette idée de communauté aura apporté aux autres états ; il serait bien de voir ce que sont devenus aujourd’hui les autres anciennes colonies françaises qui ont adhéré à l’idée de de Gaulle ; d’abord, on remarque qu’ils ont tous accédé à l’indépendance en 1960, soit deux ans plus tard ; c’est dire que l’idée même de la communauté n’a pas prospéré. Sékou Touré avait donc raison.
La Cote d’Ivoire dont le Président Houphouët Boigny était l’un des plus fervents partisans de la France est passée par la guerre civile. Ce pays aurait dû être un exemple de coopération réussie, dans la mesure où il a été pratiquement envahi par les coopérants français dans tous les domaines, et cela pendant plus de dix ans, puisqu’il a fallu attendre les années 70 pour commencer à parler d’ivoirisation des cadres. Ce pays comme les autres a été dirigé par la France : pour quel résultat ? Peut-on se demander en toute légitimité aujourd’hui. Les autres pays n’ont pas connu la guerre, mais leurs économies sont sinistrées par des taux de chômage élevés, par des taux de croissance faibles, par l’inflation. Les pays d’Europe ravagés par la guerre ont été reconstruits en moins de trois décennies ; ceux d’Asie du Sud-Est se sont développés en moins de 40 ans. Qu’a donc apporté la fameuse coopération française ? La Guinée a souffert du non de Sékou, mais les autres pays n’ont tiré aucun profit du oui de leurs dirigeants. Voilà une contradiction bien française.

L’immigration qui est aujourd’hui un grand problème pour la France, est en soi une preuve que la France a échoué ; elle a été efficace quand il s’agissait de réprimer la Guinée et Sékou Touré, mais a été incompétente pour élaborer une politique africaine pouvant promouvoir le développement des pays qui ont adhéré à son projet ; du reste la France souhaite-t-elle le développement des pays africains ? Elle aplus à perdre dans une telle évolution qu’à y gagner. Elle est à l’image de l’administration publique qu’elle a imposé à ses postcolonies ; plus prompte à réprimer, mais incompétente et absente, voire hostile quand il s’agit de soutenir les initiatives et les projets de développement ; nos polices politiques conseillées par les français étaient efficaces pour traquer les « subversifs » et autre opposants, mais inefficace et impuissante devant la montée de l’insécurité et la corruption ; les citoyens peuvent souffrir ; tant que le régime n’est pas inquiété, ce n’est pas un problème.

L’entreprise coloniale européenne en général et française en particulier, qui se poursuit du reste sous d’autres formes en ce XXIè siècle, n’a jamais eu des motivations philanthropiques ; elle est essentiellement intéressée, et vise l’exploitation et l’appropriation des ressources humaines et matérielles des colonies. Sékou avait mille fois raison de dire non à de Gaulle. Aucun pays épris de liberté ne pouvait sérieusement adhérer au projet français.
051008

TCHASSE JEAN-CLAUDE
PLEG, Syndicaliste
blog : http://fr.360.yahoo.com/kimalu2006">http://fr.360.yahoo.com/kimalu2006

Remember Um Nyobé.



Remember Um Nyobé.
Article écrit en septembre 2008. Entre temps, Le Président Français, François Hollande a promis lors de sa visite au Cameroun le 03 juillet 2015, la déclassification des archives de l'armée française. La statue de Leclerc à Bonanjo a été déboulonnée par Essama André Blaise.

13 septembre 1958 – 13 septembre 2008 : 50 ans 50 ans se sont écoulés depuis l’assassinat, que dis – je, le lâche assassinat du Mpodol, du prophète, du visionnaire, leader de l’UPC.  Voilà 50 ans que nous cherchons vainement dans notre pays un leader de sa trempe, à sa hauteur. Oui, visionnaire, prophète, Um Nyobé était tout cela à la fois. L’intégrité, le nationalisme, le dévouement, l’abnégation de cet homme font de lui un surhomme, un super héros, et il mérite d’être célébré, d’être cité en exemple dans notre pays où la jeunesse manque de repères, à un moment où le berceau de nos ancêtres est miné par la corruption, le tribalisme, la gabegie, les détournements massifs de fonds, la fraude électorale, maux entretenus et pratiquement institutionnalisés par la classe politique héritière des aujoulatistes, cautionnée, agréée et imposée par la France. Oui, on peut refuser et rejeter la corruption ce fléau qui nous cause tant de torts n’est pas une fatalité pour notre pays. Il a demandé la réunification et l’indépendance du Cameroun dès le lancement de l’UPC en 1948. C’était l’objectif de ce parti et aucun autre parti n’y a pensé.
Nous avons parlé ci-dessus d’assassinat il serait bon de faire une enquête pour éclairer l’opinion sur les conditions de la mort du Mpodol. Cela permettrait de poursuivre ses assassins, et les traîtres qui ont permis de le localizer. Les autres crimes et exactions perpétrés par l’administration coloniale française, de l’indigénat aux prétendues indépendances devraient être évoquées, et les éclairages porteraient également sur la répression en pays Bassa et en pays Bamiléké. Les archives de l’armée française nous seraient d’une très grande utilité à cet égard.

Les 50 ans qui se sont écoulés ont suffi à certains pays pour améliorer de manière significative leur statut. On parle aujourd’hui de dragons de l’Asie, avec les taux de croissance à deux chiffres, et du côté de l’Amérique latine, bien des pays ont progressé. Nous, pendant ce temps, on piétine, on recule meme; on est passé de pays à revenu intermédiaire à PPTE, à la grande satisfaction de certains, qui ont trouvé là un prétexte pour envoyer une motion de soutien à qui vous savez. Notre économie reste dominée par le secteur primaire, et par son omniprésence, et la voracité de ses agent du fisc, l’état empêche l’émergence d’un secteur privé dynamique. Que serait devenu ce pays s’il avait été dirigé par des hommes tels que Um ?

Notre malheur vient de ce que nos colonisateurs n’ont jamais voulu laisser nos pays libres; ils ont voulu contrôler le processus d’accession à « l’indépendance », maintenir leur main mise sur leurs anciennes colonies. C’est pour cela qu’ils ont veillé à mettre sur la touche le seul parti véritablement nationaliste, dont les leaders n’étaient pas prêts à se laisser acheter, ni à se livrer à des compromissions. Ils ont été combattus, mis à l’écart comme en ont témoigné entre autres, Guy Georgy, Ahidjo a été choisi par la France, qui l’a ensuite aidé à asseoir son pouvoir, en massacrant les leaders nationalistes. Quel intérêt la France avait-elle à s’engager ainsi ? Que gagnait-elle en envoyant les agents de la SDECE, le contre espionnage français devenu DGSE, aux trousses des nationalistes camerounais ? C’est bien le Général de Gaulle qui disait en substance qu’entre les nations, il n’y a pas d’amitié, il n’y a que des interest; autrement dit, ses motivations étaient loin d’être altruistes.

L’UPC est le parti qui a dû engager la lutte armée contre les français, et cette rébellion, unique en Afrique au Sud du Sahara, éclatait alors que les français avaient déjà maille à partir avec les algériens. C’est sans doute ce qui justifie leur riposte démesurée et disproportionnée, qui a causé un traumatisme qui se fait ressentir aujourd’hui encore. Combattre les français nécessitait une audace, un courage qui frisait l’effronterie au vu de l’inégalité des forces en présence, une détermination, et un amour pour la patrie au nom de laquelle on peut aller jusqu’au sacrifice supreme. On peut voir aujourd’hui où nous ont conduit ceux qui ont préféré collaborer et jouer les laquais des colonisateurs après un demi-siècle; le Cameroun malgré ses immenses ressources, demeure un pays sous-développé, qui peine à atteindre un taux de croissance de 4 %, après avoir aliéné notre souveraineté économique.

La situation actuelle du Cameroun, le comportement des français, la lutte acharnée contre l’UPC menée par l’administration coloniale française, sont autant de faits qui prouvent que Um Nyobé avait vu juste. Voir juste, être perspicace, percer en lisant entre les lignes des discours officiels, les intentions véritables du colonisateur, les dévoiler et les dénoncer comme le faisait Um était perçu comme un affront intolerable. Il était devenu un obstacle pour la réalisation des objectifs réels et inavoués des colonisateurs.

Au moment où certains écrivent l’histoire de notre pays comme si elle avait commencé en 1982, il faut revisiter notre histoire officielle, qui est la version des vainqueurs, édulcorée et aménagée pour donner le beau rôle aux méchants, où les bourreaux sont présentés comme des héros, et les victimes comme les méchants. Le mot maquisard doit être débarrassé de ce qu’elle peut encore avoir de péjoratif, pour désigner ce qu’il y a de meilleur, la crème, qui pour notre malheur a été ostracisée, combattue, mise à l’écart. Lorsqu’on parcourt nos villes, on constate que nos places publiques, nos rues, nos avenues et nos boulevards, nos édifices et nos monuments sont dédiés aux français ou à d’illustres inconnus camerounais dont le seul mérite est d’avoir été serviles vis-à-vis de leurs maîtres français. Au français Leclerc, on a dédié tout un Lycée, un monument en plein Bonanjo à Douala et peut-être autre chose que j’ignore. Qu’a-t-il fait pour le Cameroun ? Il convient de rappeler qu’il était en campagne pour la France quand il est passé au Cameroun dans les années 1940. Les héros tels que Um Nyobé sont encore combattus même morts, ils continuent de faire peur. L’une des façons de leur rendre hommage et de les honorer serait de donner leurs noms à nos places, rues et autres boulevards, comme cela se fait ailleurs.
Le corps expéditionnaire français est resté au Cameroun même après nos prétendues indépendances, et l’omniprésence française, son interventionnisme, même discrète est toujours là en ce moment où l’on annonce un remaniement ministériel, M. Paul Biya est allé en France, sans doute pour présenter sa short list au maître avant publication. C’est dire si le combat du Mpodol est d’actualité; sa pertinence et son opportunité se font ressentir aujourd’hui, un demi-siècle après le crime des français. Il restera immortel par ses idées, il est entré dans la postérité il gardera une place de choix dans notre histoire, et occupera une position spéciale dans notre pantheon. Um Nyobé aurait pu être notre De Gaulle, qui pour la France a été un leader historique; c’est malheureusement ce de Gaulle qui par sa politique colonialiste n’a pas permis à Um Nyobé de faire pour le Cameroun, ce qu’il a fait pour la France.

Um Nyobé est de ces dirigeants qu’on ne trouve que dans les pays bénis de Dieu. C’est un privilège pour notre pays que d’avoir vu naître sur son sol une personnalité de cette envergure malheureusement pour nous, les français nous ont privé de ses services. C’est le plus grand crime de la France, au-delà du pillage de ressources dont nous sommes victims; il fallait éliminer les meilleurs d’entre nous, donner le pouvoir aux médiocres et aux incapables, les soutenir dans leurs exactions contre les populations, pour nous prouver que nous sommes incapables de nous prendre en charge, afin de mieux justifier leur entreprise coloniale, qui ne s’est jamais démentie. Oui, la domination et l’exploitation continuent de façon éhontée en plein 21ème siècle. La souveraineté politique, et l’indépendance économique de notre pays restent à conquérir.

DÉCOLONISATION MANQUÉE



DÉCOLONISATION MANQUÉE

DU RÉGIME DE TUTELLE A UNE INDÉPENDANCE FACTICE : LA DÉCOLONISATION MANQUÉE

Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, la France, puissance tutélaire avait du régime de tutelle une conception bien particulière pas tout à fait conforme à la charte des Nations Unies. Celle- ci dispose en effet, en son article 76 : « … les fins essentielles du régime de tutelle sont les suivantes :
A-Affermir la paix et la sécurité internationale.
B-Favoriser le progrès politique, économique et sociale des Populations des territoires sous tutelle ainsi que le développement de leur instruction, favoriser également leur évolution progressive vers la capacité à s’administrer eux même ou l’indépendance compte tenu des conditions particulières à chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement exprimées des populations intéressées et des dispositions qui pourront être prévues dans chaque accord de tutelle ;
C – Encourager le respect des droits de l’homme et des Libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de races, de sexe, de langue ou de religion, et de développer le sentiment d’interdépendance des peuples du monde.
… »

Or la possession par la France s’explique par un seul souci : Faire main basse sur les richesses dont la plus part d’entre elles regorgeaient. Ce souci a été accentué par la deuxième guerre mondiale qui a laissé exsangue les pays européens. Et plan MARSHALL mis sur pied par les Américains pour leur venir en aide ne suffisait pas à combler leurs besoins en ressources. C’est pour cela que l’émergence de mouvements nationalistes a été très mal perçue par les colonisateurs. L’Union des Populations du Cameroun (UPC) créee le 10 avril 1948 a eu maille à partir avec l’administration coloniale dès sa naissance. Celle-ci à multiplié des entraves au développement et à l’implantation de ce parti, qui dès sa création réclamait l’indépendance et l’unification du Cameroun. Une telle orientation nationaliste n’a pas laissé insensible les populations qui ont adhéré en masse au parti, qui était du reste le premier à être créé à cette époque-là.
« 1951 : le Dr Louis Paul Aujoulat, alors député et Secrétaire d’Etat à la France D’outre – mer décide de créer un mouvement politique pour limiter la prépondérance de plus en plus grande de l’UPC, créée trois ans plus tôt et s’opposer à elle. Il choisit comme champ d’action le région de Nyong et Sanaga qu’il connaissait très bien et où il recruta ses premiers adeptes. » P.26.

Parmi les privilèges dont bénéficiait A.M. Mbida au sein du Bloc Démocratique Camerounais de Louis Paul Aujoulat, on comptait l’appui total que l’Administration coloniale et l’Eglise catholique accordaient au BDC. Pour l’administration coloniale en effet, le BDC constituait une solution de rechange dans l’évolution politique du Cameroun par rapport à l’UPC. On peut même dire que c’est le gouvernement français qui avait inspiré la création de ce mouvement politique compte tenu du fait que le Dr Aujoulat, son fondateur, était Secrétaire d’Etat à la France d’Outre – mer depuis janvier 1950. » J.M. Zang Atangana ; Les forces politiques au Cameroun unifié T.1 P.277, cité par Daniel ABWA in A.M.Mbida Premier Premier ministre camerounais PP 30,31.
L’Evolution Sociale Camerounaise (ESOCAM), parti suscité en 1949 pour s’opposer à l’UPC a échoué dans sa mission. Le Bloc Démocratique Camerounais (BDC) de Louis Paul AUJOULAT, qui bénéficiait des faveurs d’une administration qui ne s’est pas de fait de scrupules pour se départir de la neutralité et de l’impartialité qu’elle était censée observer a été fondé en 1951 avec les mêmes motivations qui ont abouti à la création d’ESOCAM. Ce parti représentait certainement l’opposition politique à l’UPC la mieux organisée.

C’est à l’occasion des élections de 1951 que l’Administration coloniale introduit la gangrène qui mine le Cameroun jusqu’aujourd’hui : la fraude électorale. Les candidats de l’UPC sont systématiquement éliminés. Les résultats truqués de ces élections n’entament en rien la vitalité du parti nationaliste qui continue d’envoyer les pétitions et même son Secrétaire Général, Ruben Um Nyobé au siège des Nation Unies à New – York.
Dépassé par les événements, Roland Pré, le Haut commissaire français au Cameroun finit par décréter le 13 juillet 1955 la dissolution de l’UPC. Le mouvement nationaliste est ainsi contraint de gagner le maquis.
En poussant ainsi à la clandestinité, le seul parti politique sérieux et nationaliste de l’époque, l’administration donnait la preuve de ses mauvaises intentions. Et de fait la dissolution de l’UPC créait un vide qu’aucun autre parti ne pouvait combler. Le crime de l’UPC était d’avoir réclamé très tôt l’indépendance qui pourtant l’un des objectifs avoués du régime de tutelle. Alors pourquoi ce parti a t-il d’abord été combattu ; accusé de tous les maux avant d’être dissout ?

L’hostilité de Pierre MESSMER, Haut Commissaire de la république française au Cameroun entre 1956 et 1958 est encore vivace ; plus de 50 ans après, on peut lire dans les extraits de son livre : « les blancs s’en vont. Récit de la décolonisation » publié en 1998, reproduits dans le Messager n°823 du 05 octobre 1998 :
«Contrairement à d’autres territoires francophones où le RDA devient bientôt le premier parti politique, au Cameroun, l’UPC va échouer. Elle peut réunir des manifestants, déclencher des grèves, pousser à des affrontements sanglants, mais elle n’a pas d’élus. Comme toujours, on imputera cet échec aux manœuvres de l’administration coloniale, à l’habilité du haut commissaire Soucadaux à la brutalité de son successeur Roland Pré ». Pour Pierre MESSMER qui a succédé à Roland Pré, il était tout à fait normal qu’un parti de l’envergure de l’UPC n’ait pas d’élus. L’échiquier politique de l’époque ne comptait pas de parti pouvant sérieusement rivaliser avec l’UPC ; et ce parti était implanté dans les zones à forte population du croissant fertile : Alors pourquoi l’UPC n’avait-elle pas d’élus ? Pierre MESSMER qui récuse la fraude électorale et les manœuvres de l’administration coloniale nous la donne : Le tribalisme. Selon lui en effet : « la vérité est simple. L’UPC a été impuissant devant le tribalisme. Le Nord musulman, dominé politiquement par les chefs traditionnels est imperméable à l’influence upéciste, sudiste, communiste, combattue par l’administration. Au Sud, en dehors de Douala et des pays Bassa tout proche, l’UPC s’est heurté à des barrages presque partout. Les Bulus les Ewondos élisent leurs hommes, pas ceux de UM NYOBE. Même dans le pays bamiléké ou l’UPC recrute une grande partie de ses cadres, les chefs traditionnels sont assez forts pour lui résister. » Remarquer l’importance démesurée accordée au facteur tribal et le recours excessif quazi - pathologique aux poncifs : Nord musulman (ce qui est à vérifier, les kirdis non musulmans que l’on retrouve dans les zones à forte concentration sont probablement les plus nombreux ), Sud chrétien, UPC parti communiste, réservé aux ressortissants de l’ethnie de UM NYOBE, les Bassa. Et on veut nous faire croire qu’il existait entre ces populations des closions si étanches que même le programme nationaliste de l’UPC ne pouvait réussir à les unir. Aux chefs traditionnels, Pierre MESSMER accorde une importance démesurée ; En fait ces explications de MESSMER manquent d’originalité et trahissent l’état d’esprit et la stratégie du blanc pour exploiter l’Afrique.
Ladite stratégie est exprimée par Maréchal LYAUTEY : « S’il y a des mœurs et des coutumes, il y a aussi des haines et rivalités qu’il faut démêler et utiliser à notre profit, en opposant les uns aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les autres. » Cité par Daniel TESSUE, Polémique autour du problème Bamiléké dans La Nouvelle Expression du 11/07/95. Il y a ensuite : « La stratégie du maillon le plus fort. » Et, « la chasse aux leaders » utilisées par le pouvoir colonial et dont parle M. FOGUI Jean Pierre « Cette stratégie consiste à phagocyter les ‘’autorités traditionnelles’’ et les ‘’notables’’ qui sont intégrés dans les structures du système politique central. Il s’agit en l’occurrence de s’attirer d’abord le soutien des autorités traditionnelles et au besoin des notables locaux, pour qu’ils apportent avec eux en blocs leur clientèle.
En cela, le pouvoir colonial ne faisait que suivre cette « realpolitiks » qu’en 1913, MEUNIER exprimait en ces termes : « ce n’est point en effet aux masses des populations que l’on peut d’abord amener à admettre le colonisateur-gouvernement, mais à ceux qui la commandent. » Nguemegne Jean Philibert, le Ministre camerounais de la IVè République, plus servant que Seigneur, in Juridis Périodique n°36, octobre, novembre, décembre 1998. On comprend donc l’importance accordée par les colonisateurs aux Chefs traditionnels. C’est ainsi que Djoumessi Mathias, chef Foréké à Dschang, élu Premier Président de l’UPC au Premier congrès de ce parti tenu à Dschang le 13 avril 1950, en a été débauché par toutes sortes de manœuvres.
L’explication des problèmes africains par le tribalisme participe d’un discours que l’on veut nous inculquer et selon lequel les africains sont de grands enfants incapables de se prendre en charge. Sans le blanc, l’Afrique serait réduite à un vaste champ d’affrontements ethniques.
L’UPC a commis le crime impardonnable de ne pas correspondre tout à fait à l’image que les colonisateurs voulaient donner du noir. Ce parti ne rentrait pas dans le moule qu’on lui avait préparé. Alors il fallait le détruire, et c’était d’autant plus urgent que ce parti donnait la preuve que la présence coloniale française ne se justifiait pas. L’UPC donnait la preuve que les noirs étaient capables de s’auto administrer, de gérer leur indépendance, avec bonheur.
L’administration coloniale a donc jeté son dévolu sur des personnages sans ambition nationale, sans programme, sans envergure, qu’elle devait façonner à sa guise. Et c’est à partir de là que les dés ont été pipés ; le jeu a été faussé, et les populations n’ont plus jamais eu la possibilité ni de s’exprimer, ni de faire prendre en compte leurs aspirations. Pendant que des « élus », cooptés sur des bases très contestables et conscients de devoir leur promotion, non pas à leur mérite personnel, mais à la seule volonté de l’administration coloniale, se mettaient résolument au service d’intérêts étrangers.
Le passage du Cameroun du statut de territoire sous tutelle à celui d’état sous tutelle s’est fait en avril 1957, alors que les élections pour la nouvelle Assemblée Territoriale Camerounaise (ATCAM), venaient d’avoir lieu. Ce changement de statut aurait dû justifier la dissolution de l’ATCAM, mais il n’en a rien été. La population aurait dû être associée, mais tout s’est décidé à Paris. Il y a eu un simple changement de nom de l’Assemblée, qui est devenue l’Assemblée Législative du Cameroun (ALCAM). La seule force politique vraiment représentative avait été mise hors jeu par la France depuis juillet 1955. Le changement de statut aurait dû précéder les élections. Que les électeurs sachent qui ils élisaient, en termes notamment de compétence. Quoi de commun entre une assemblée législative, dotée, comme son nom l’indique, d’un pouvoir législatif, pouvant légiférer, et une simple assemblée territoriale ?
Le Cameroun étant devenu un état, il lui fallait un gouvernement, et c’est à partir des élus du 23 décembre 1956 que ce Gouvernement fut constitué. La supercherie se situe à ce niveau. Les électeurs ne se doutaient pas que parmi les élus seraient plus tard choisis des membres d’un futur Gouvernement. Les groupes représentés à l’ALCAM étaient les suivants :
·         « le groupe des huit » de la tendance Mouvement d’Action Nationale, animée par le tandem Soppo – Assalé,
·         le « groupe des démocrates » avec 21 membres conduits par A.M.Mbida,
·         le « groupe des paysans indépendants » de tendance régionaliste, comprenant neuf conseillers d’origine Bamiléké sous la direction de Djoumessi Mathias, le « groupe de l’Union Camerounaise », regroupant les « élus » du Nord, conduit par Ahmadou Ahidjo. Opt. Cit.P.62.

Le premier Premier ministre fut André Marie Mbida, mais il fut aussitôt déposé, ne donnant pas satisfaction à ses parrains français. Le Haut Commissaire Jean Ramadier fut spécialement envoyé pour le déposer et le remplacer par Ahmadou Ahidjo que l’on préparait depuis longtemps pour la tâche. Le choix porté sur Ahmadou Ahidjo pour succéder à André Marie Mbida comme Premier ministre du Cameroun autonome n’était pas fortuit. Il était certes le Vice- Premier ministre et Ministre de l’Intérieur du Gouvernement Mbida. En effet, selon Guy Georgy, ancien Ambassadeur de France, qui fut Chef de Région du Nord Cameroun entre 1951 et 1955, « il (Ahidjo) rêvait de devenir patron des PTT dans sa région et peut-être même du pays, mais il ne voulait surtout pas faire de politique. Mais moi, je l’avais tellement poussé à en faire qu’il m’en a voulu et longtemps. Je l’avais fait élire délégué à l’Assemblée Territoriale du Cameroun. On avait quasiment fait voter pour lui, en mettant des paquets de bulletins dans l’urne. Mais c’était pour la bonne cause. » P. 9. Selon Jacques Foccart, ancien conseiller des Affaires Africaines de Charles de Gaulle, de Georges Pompidou et de Jacques Chirac, « Avec Ahmadou Ahidjo disparaît un des principaux acteurs de la décolonisation de l’Afrique telle que le Général de Gaulle l’avait conçue. Il était profondément attaché à la France, et nous lui devons l’établissement de relations privilégiées dont nous pouvons être fiers de nous prévaloir. » Jeune Afrique n°1510 du 11 décembre 1989. Il a donc été le bénéficiaire des fraudes électorales qui ont eu lieu au Cameroun à partir de 1951, c’est-à-dire après la création de l’UPC. Il appliquait donc la politique du Général de Gaulle, puisque avec lui s’est déroulée la décolonisation telle que conçue par le Général, et non pas telle que conçue par les Nations Unies.

C’est à la fraude qu’il doit son maintien dans les différentes Assemblées qu’a connues le Cameroun. Pouvait-il dans ces conditions se permettre de déplaire à ses parrains ? Dans son discours d’investiture devant l’ALCAM comme Premier Ministre et successeur d’André Marie Mbida, il n’a pas pipé mot de l’indépendance. Cela n’était visiblement pas dans son programme si tant est qu’il en ait jamais eu. Comme l’écrit Philippe Gaillard dans son livre Le Cameroun Harmattan 1989 T.1 P 22 « La décolonisation [du Cameroun] ne fut pas moins atypique. Seul segment de l’Afrique Francophone où surgit un mouvement armé de lutte pour l’indépendance. Le Cameroun est parmi tous les territoires dépendants où se produisit une insurrection au milieu du XXème Siècle, un cas unique : la souveraineté enfin octroyée, y échappa à ceux qui avaient combattu pour elle et fut assumée par une classe dirigeante qui dans l’ensemble, en avait délibérément freiné l’avènement quand elle ne s’y était pas franchement apposée ». A.M. Mbida situait le moment opportun pour l’indépendance vers la fin des années soixante. Adhidjo, lui n’avait pas de projet, si ce n’était de faire plaisir à ses tuteurs français.

Ahidjo n’avait pas encore compris que les intérêts supérieurs de la France commandaient une réorientation de sa politique ( celle de la France) au Cameroun. En effet, la France n’avait pas trouvé mieux à opposer que la violence aux revendications nationalistes dans certaines de ses colonies. Elle avait essuyé une défaite cuisante à Diên Biên Phu le 07 mai 1954 et la guerre d’Algérie avait débuté le 1er Novembre de la même année. L’image de pays de la liberté que voulait alors se donner la France en proie à un véritable syndrome suite au traumatisme causé par la défaite en Indochine, s’en est trouvé sérieusement écornée. L’instabilité consécutive à la mise à l’écart de l’UPC, seul parti nationaliste menaçait de déboucher sur une guerre civile. Selon Jean -Paul Ramadier cité par G. Chaffard, les Carnets secrets de la décolonisation. Calman-Levy T.1 P.311 « La France ne peut se payer le luxe d’une nouvelle situation Nord-Africaine ». Et selon D.Abwa in A.M Mbida, 1er Premier Ministre Camerounais ( 1917.1980 ) l’Harmattan 1993, « Il fallait par ailleurs éviter que l’exemple du Cameroun ne fit tâche d’huile dans les territoires voisins de l’Afrique Equatoriale Française ( AEF) » ( Maroc, Tunisie, Ghana indépendants).

Mais pour la France, changer de politique ne signifiait nullement renoncer à sa main mise sur ses colonies. Il s‘agissait plutôt de continuer la domination et l’exploitation des peuples colonisés sous une forme plus fine, plus subtile, plus insidieuse, ainsi que le montrera l’évolution ultérieure de la situation Camerounaise.

C’est dans cet esprit que Jean Paul Ramadier débarque au Cameroun pour remplacer Pierre Messmer en Février 1958. Pour lui il fallait appliquer le programme de l’UPC sans l’UPC. C’était la meilleure façon selon lui, de briser l’audience de ce parti dans le pays. D. ABWA P.79.

Il faut signaler qu’en 1958 la France venait d’essuyer un autre échec au TOGO qui était, comme le Cameroun, un Territoire Sous-Tutelle. Ce territoire avait connu jusqu’en 1956, année où il est devenu une République autonome, une évolution similaire à celle du Cameroun. Colonisé par l’Allemagne jusqu’à la fin de la première Guerre Mondiale, il a été divisé en deux parties : l’une sous mandant Britannique et l’autre sous-mandat Français. Quand la République autonome du Togo est proclamée cette année-là, c’est Nicolas Grunitsky, pion des français et leader du parti Togolais du Progrès ( PTP) qui en devient le Premier Ministre. Ce qui a provoqué les protestations du Comité de l’Unité Togolaise ( CUT) de Sylvanus Olympio lequel a exigé des élections sous le contrôle de l’ONU ; celles-ci sont organisées en Avril 1958 et conduisent au triomphe du CUT avec 33 sièges, loin devant le PTP avec 3 sièges et l’Union des Chefs et des Populations du Nord avec 10 sièges. C’est donc Sylvanus Olympio qui est devenu 1er Ministre, au grand dam du Haut Commissaire Georges Spenale et de son Administration qui soutenait Grunitsky. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire Hatier, Paris, 1972, P.514.

Instruit de cette expérience Togolaise, la France colonisatrice, comme un chat échaudé, va redouter l’eau camerounaise qui n’était du reste pas froide. Une France honnête et sincère, soucieuse d’appliquer la Charte des Nations Unies, de respecter l’esprit des Accords de tutelle aurait appliqué au Cameroun une politique qui avait si bien réussi au Togo. Mais sans doute le Cameroun était–il déjà le Cameroun puisque selon Charles ASSALE cité par D. ABWA P.63 Opt Cit « Le gouvernement Français s’était appliqué à éviter adroitement, habilement et d’une façon très subtile de nous préparer à la gestion de nos affaires ». In Journal des débats, ATCAM Février 1958, P.98.

La pression sur la France des années 50 s’est accentuée avec la situation qui prévalait au Nigeria, colonie de la Couronne Britannique. La partie du Cameroun Occidentale sous-tutelle Britannique avait été rattachée au Nigeria. Et le Nigeria était déjà sur les chemins de l’indépendance. En 1954, elle était transformée en fédération et en 1957 une charge de Premier Ministre y était créée, selon M. MOURRE Dictionnaire encyclopédique d’Histoire T-6 p .316 Paris Bordas 1982 cité par D. ABWA. La France était donc en droit de penser que l’indépendance du Nigeria était imminente. Le Nigeria pouvait t-il accéder à l’indépendance sans la partie occidentale du Cameroun qui lui était rattachée ? Et cette partie pourrait –elle suivre le Nigeria dans l’indépendance alors que le Cameroun demeurait sous-tutelle ? Il était donc urgent pour la France de songer sérieusement à faire bouger les choses.

La France a donc choisi de jouer au chat et à la souris. Là où il fallait jouer franc jeu pour rester fidèle à son image de pays des libertés et des droits de l’homme. Pour cela, « Elle choisissait avec grand discernement chez ses partenaires des pions susceptibles de l’aider à faire entériner sous couvert de dialogue, les décisions qu’elle avait déjà arrêtées. Tout semblait alors parfait et l’image d’une France généreuse était sauve ». D. ABWA P.93

C’est dans cet ordre d’idées qu’elle s’est servie de A. M. Mbida pour faire passer la loi–Cadre. Elle se servira de la même manière d’Ahmadou Adjidjo pour octroyer au Cameroun l’indépendance de façade promise par M. Jacquet à A. M. Mbida au mois de septembre 1958 à l’Assemblée Nationale Française en présence de Germain Tsalla In document officiels de l’Assemblée Général des Nations Unies, IVème Commission , 13ème session 885ème séance, 27 février 1959 , p. 605 cité par D. ABWA.

Un manège a été monté pour en faire accroire l’opinion que ce n’est qu’après le vote d’une résolution le 24 octobre 1958 dans laquelle l’Assemblée Législative du Cameroun prenait clairement position sur la question que la « généreuse France » s’est prononcée pour l’indépendance du Cameroun le 1er Janvier 1960. L’UPC réclamait pourtant déjà cette indépendance dès sa création en 1948. Si les élections de juin 1951 et de décembre 1956 notamment n’avaient pas été marquées par la fraude, l’UPC aurait eu des représentants dans l’Assemblée Territoriale, devenue Assemblée Législative qui n’aurait alors pas attendu 1958 pour réclamer l’indépendance du Cameroun. En réalité tout était décidé en France.

L’indépendance est donc décidée par une France, sous pression, mais qui entend tout contrôler, pour le 1er Janvier 1960. Cela devait se traduire par un nouveau changement de statut du Cameroun qui devait passer d’Etat sous-tutelle à Etat souverain. Le Cameroun indépendant allait–il fonctionner avec les structures conçues pour l’Etat sous-tutelle ? Surtout que la représentativité des personnes qui animaient ces structures était sujette à caution, suite à la fraude qui avait marqué les élections et la mise à l’écart du parti le plus populaire de l’époque. Les piliers d’une maison en matériaux provisoires sont inadaptés s’il s’agit de construire la même maison en matériaux définitifs. En particulier, le Cameroun indépendant avait besoin d’une Constitution. La procédure normale veut que dans ces conditions une Assemblée constituante soit élue qui fera un projet de Constitution, lequel projet sera soumis à un référendum. A la suite de quoi les institutions prévues sont mises en place selon les modalités prévues par la Constitution adoptée. Par une telle démarche l’on prend en compte effectivement les aspirations de la population et l’on a le plus de chance d’avoir des dirigeants dont l’autorité est fondée sur la volonté du peuple.

Seulement ce cheminement logique n’était pas du goût d’Ahidjo et de ses parrains français. Ils l’on rejetée sans raisons valables et y ont opposé des manœuvres et des intrigues qui avaient pour finalité le maintien du Cameroun dans le giron français, avec au pouvoir un homme sûr.

C’est ainsi que la proposition faite le 28 octobre 1958 à la quatrième commission de la treizième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies par les pétitionnaires de l’UPC ( Félix Roland Moumié, Ndeh Ntoumazah, Michel Doh Kingué et Jean Ngounga) d’organiser un référendum sur la question de l’indépendance, et la réunification, et des élections en vue de la mise sur pied d’une Assemblée Constituante, le tout sous la supervision de l’ONU fut rejetée.

Les circonstances du rejet de ces propositions sont révélatrices de la marge de manœuvre réelle qui était celle d’Ahmadou Ahidjo. En effet, alors que la quatrième Commission attendait encore le retour de la mission de visite de l’ONU, Ahidjo s’est présenté devant elle le 11 novembre 1958 (avant même que la France n’ait déposé le mémorandum annoncé par son Ambassadeur Kosciusko-Morizet le 28 octobre 1958), pour insister sur la volonté des camerounais d’accéder à l’indépendance le 1er janvier 1960. ABEL Eyinga démontre avec pertinence qu’Ahidjo ne lut devant la quatrième Commission qu’une « longue déclaration mise au point par la mission française à son intention ». Après l’avoir lue et ne pouvant valablement répondre aux différentes questions qui lui étaient posées, Kosciusko-Morizet, représentant de la France sollicita un temps de réfection pour préparer ses réponses. Ahidjo ne put répondre que trois jours plus tard et dans sa réponse, il affirma de nouveau l’option à l’indépendance du Cameroun et s’opposa à l’idée d’organiser les élections avant l’indépendance.

Malheureusement pour les nationalistes, la mission de visite de l’ONU qui séjourna au Cameroun du 14 novembre au 06 décembre 1958, induite en erreur par l’Administration coloniale estima inutile l’organisation d’élections avant l’indépendance. L’ONU prit par conséquent la résolution d’accorder l’indépendance au Cameroun sans élection, ni élaboration d’une Constitution préalables.

Les nationalistes ne baissèrent pas les bras et dans un appel lancé à Conakry le 13 Août 1959 par Moumie et Ouandie auxquels s’était joint un Mbida alors prêt à tous les reniements pour étancher sa soif de pouvoir, ils proposèrent la tenue d’une conférence de la table ronde le 20 Août 1959 à Monrovia et la formation d’un Gouvernement de salut public, dont le rôle serait d’organiser les élections sous le contrôle de l’ONU avant le 1er janvier 1960.

L’idée de la Conférence de la table ronde fut favorablement accueillie par l’opinion. Selon Daniel ABWA, de nombreuses personnalités Camerounaises parmi lesquelles certains membres du Gouvernement Ahidjo, des parlementaires et même des simples citoyens se firent violence pour marquer leur désaccord avec Ahidjo qui la rejeta naturellement. Michel Njine, vice premier ministre chargé de l’Education nationale démissionna pour marquer sa désapprobation.

Mais Ahidjo n’en eut cure, il perpétra un coup de force en demandant plutôt à l’Assemblée Législative de lui accorder les pleins pouvoirs. Il demandait ainsi à une Assemblée « élue librement au suffrage universel » selon lui, donc représentative, de le laisser légiférer par décret pendant six mois. Il comptait en profiter pour préparer un texte de Constitution à soumettre à un référendum national. Ce qui est surprenant c’est que l’Alcam a accédé à sa demande renonçant ainsi à jouer son rôle : Ahidjo et son gouvernement ont donc cumulé les pouvoirs Exécutif et Législatif.

Ahidjo en profita pour proposer une Constitution et une loi électorale taillées à sa mesure. Aidé en cela par la France. Il avait l’intention, comme l’histoire le montre, de conserver indéfiniment le pouvoir. C’est donc mû par ses ambitions égoïstes que Ahidjo a choisi de soumettre son projet de référendum à un comité consultatif constitutionnel crée par lui. Ledit Comite comprenait 21 représentants de l’Alcam et 21 personnalités désignées par lui. Est-il besoin de demander pourquoi Ahidjo a mis entre parenthèse l’Alcam ? Il avait déjà rejeté l’idée d’une table ronde regroupant toutes les composantes politiques camerounaises. Ahidjo a préféré choisir les personnes acquises à sa cause pour jouer les faire-valoir. Du moins le croyait-il car des personnalités cooptées telles que Soppo Priso, Mgr Thomas Mongo, Mayi Matip, Inack Njoki, Jacques Ngom, Hans Dissaké et Joseph Mbottey ont refusé de participer à la mascarade. Ils méritent des hommages pour cela. Certes, leur démission du comité consultatif n’a pas empêché Ahidjo de mener son projet jusqu’au bout. Mais au moins a-t-on su que ce qui se passait n’était pas normal.

L’opinion qui n’est décidément pas dupe a en effet rejeté les propositions faites par le gouvernement. Mais la tricherie était là. Comme le dit l’historien D. ABWA dans une note à la page 231 de son livre A. M. Mbida 1er Premier Ministre Camerounais opt.cit « Il est aujourd’hui démontré que les OUI ne l’ont emporté que grâce à une monstrueuse fraude électorale orchestrée pas le Gouvernement Ahidjo avec la complicité active des administrateurs des colonies française encore en place. C’est d’ailleurs face à ce constat ‘’d’échec’’ que Ahidjo fut obligé de prononcer son discours du 25 février 1960 par lequel il annonça non seulement les élections législatives pour le 10 Avril 1960 mais aussi le rétablissement de l’UPC dans la légalité. »

Ahidjo est arrivé au pouvoir porté à bout de bras par la France..