jeudi 29 décembre 2016

Note de lecture de l’ouvrage « Le secrétaire général de la Présidence de la République du Cameroun ; entre mythes, textes et réalités. » de Jean-Marie Atangana Mebara.



Note de lecture de l’ouvrage « Le secrétaire général de la Présidence de la République du Cameroun ; entre mythes, textes et réalités. » de Jean-Marie Atangana Mebara.

Préfacé par Eric Chinje, cet ouvrage de 326 pages, publié en 2016 par Harmattan, est divisé en deux grandes parties : dans la première, l’auteur parle de ses prédécesseurs depuis 1960, année de création du poste, et dans la deuxième, il parle de son séjour à ce poste. L’auteur de cet ouvrage se trouve derrière les barreaux, vraisemblablement victime d’un abus. Il a été acquitté en mai 2012, mais est resté en détention jusqu’à janvier 2015, quand il est condamné à 15 ans de prison par la cour suprême, qui confirmait ainsi une décision de la cour d’appel. Il déclare qu’il n’a rien fait contre son pays, contre la société ou contre ceux qui gouvernent ; il se dit donc innocent et se croyait capable de le prouver aisément devant les tribunaux. Mais sa situation actuelle prouve qu’il s’est trompé. En admettant qu’il dise la vérité comme il le prétend, on ne peut manquer d’être perplexe devant cette attitude que certains assimilent à de la naïveté, et par la méconnaissance du système, en dépit des hautes fonctions qu’il a occupées. On est quand même surpris de nombreuses coquilles qui parsèment ce livre.
La fameuse opération épervier est contrôlée de bout en bout par M. Biya. En effet c’est lui-même qui est le destinataire des rapports établis par les institutions et des organes d’audit et de contrôle de gestion.  C’est lui seul qui décide de qui arrêter, de quand l’arrêter, de où et de comment l’arrêter. Et l’on constate qu’il y a des personnalités qui auraient dû être poursuivies, mais qui ne le sont pas. D’autres sont arrêtées, jugées et condamnées à de lourdes peines, mais clament leur innocence. Il n’est pas clair dans les esprits que les auteurs de malversations sont systématiquement poursuivis, et du coup le message est brouillé. Quel est le but réel de cette opération ? Si l’objectif était de susciter du respect pour le bien public, de rendre les camerounais plus consciencieux, plus scrupuleux et plus soucieux de probité et moins corrompus, alors, force est de constater que c’est raté.
L’auteur se présente tout au long de l’ouvrage comme un fervent chrétien catholique (il a même cité St Paul) ayant été très proche de certains prélats, comme par exemple le feu Monseigneur Wouking. Mais on se demande comment un chrétien a pu servir ce régime animé par une personne à l’intégrité morale douteuse, ayant pour livre de chevet les ouvrages de Mazarin et de Machiavel, champions de l’intrigue, du complot, des machinations, et du cynisme. Il a travaillé dans un gouvernement de rapaces et de prédateurs, où les enfants de chœur n’avaient pas leur place. Cet ancien directeur de l’Institut Supérieur de Management Public (ISMP) a évolué dans un environnement où les principes les plus élémentaires du management sont royalement bafoués,  comme il l’avoue lui-même à la page 265 : «  des considérations politiques ont eu le dessus sur des propositions techniques bien ficelées ».
Je trouve que tout au long du livre, l’auteur a ménagé M. Biya, qu’il présente sous ses meilleurs atours, en essayant de minimiser autant que possible ses responsabilités dans la situation désastreuse que traverse ce pays. Il serait travailleur, bilingue et mettrait du soin dans le choix de ses collaborateurs. Le militantisme dans le parti au pouvoir et l’appartenance aux sectes ésotériques ne seraient pas des critères déterminants pour l’accès aux hautes fonctions. Il justifie cette attitude pour le moins étonnante par son double souci de dire la vérité et de préserver la paix. Seulement, il n’a pas dit toute la vérité sur les affaires qu’il a choisi d’évoquer, il a évité de révéler certaines choses qui pouvaient être embarrassantes pour M. Biya, à tout le moins. Ainsi, parlant de l’acquisition ratée d’un avion présidentiel de 40 millions de dollars chez Boeing, il trouve que le Président a fait preuve de courage en renonçant à ce projet. Il oublie de dire que ce projet conçu par le Président en 2001, était inopportun et surtout mal perçu par les bailleurs sollicités, alors que le pays déclaré Pays Pauvre Très Endetté (PPTE), cherchait à atteindre le Point d’achèvement, et qu’à peine un dixième des sommes débloquées (2 millions sur 29 millions de dollars) pour cela par la SNH étaient parvenues à Boeing. Ils ont donc fait croire que c’est la compagnie aérienne qui achetait l’aéronef, pour tromper la vigilance des institutions de Bretton Woods. Le rapport de l’Ambassadeur Mendouga qui insistait sur la nécessité d’informer les bailleurs de fonds pour que l’opération soit menée à son terme a dû être l’élément déterminant qui a poussé M. Biya à renoncer définitivement. Où est donc ce courage dont parle l’auteur ? Les déclarations suivantes, que l’auteur lui prête,  sont donc ridicules et dérisoires « les Camerounais ont accepté de lourds sacrifices pour ce Point d’achèvement, à mon tour je vais continuer à emprunter les avions de location pour mes voyages à l’étranger. » Donc voyager dans les avions de location est considéré par ce Monsieur comme un sacrifice, alors qu’il aurait dû réduire sensiblement le nombre de ces voyages dispendieux et parfaitement inutiles.
            Il présente la baisse drastique et démentielle des salaires des fonctionnaires en 1993 comme un acte politique courageux, visant à redresser la situation économique du pays. Mais M. Atangana Mebara feint d’oublier que le Cameroun se portait bien quand M. Biya arrivait au pouvoir en 1982, et il doit reconnaître qu’au lieu de redresser la situation, cette décision l’a plutôt aggravée. Où en est-on aujourd’hui ? Quel est le taux de croissance le plus élevé atteint par ce gouvernement ?
En application sans doute de l’adage qui veut que toute vérité ne soit pas bonne à dire, l’auteur a préféré garder certaines informations secrètes, même si dans certains cas on pouvait deviner la personnalité en question. On apprend ainsi qu’une personnalité du monde des affaires,  sollicitée pour être Ministre des Finances a décliné l’offre, à la grande surprise de M. Biya, qui ne s’imaginait sans doute pas qu’il puisse exister des camerounais capables de refuser des postes ministériels. On comprend que l’auteur a classé les informations qu’il détient en trois catégories : d’abord celles qui méritaient d’être divulguées tout de suite, ensuite celles qui ne le seront que plus tard, et enfin, celles qu’il emportera dans la tombe. Sur quelles bases a-t-il effectué ce classement ? Il dit vouloir préserver la paix. On peut aussi supposer qu’il a voulu protéger certaines personnalités de qui son sort dépend. Du reste, on n’a pas besoin d’être un sorcier pour deviner qu’un certain nombre d’informations qu’il n’est pas le seul à détenir finiront par être dévoilées si elles ne le sont déjà. On constate de toute façon qu’il n’a pas franchi le rubicon en se déclarant opposant, puis prisonnier politique comme son congénère et compagnon d’infortune, Hamidou Marafa Yaya.
Ce poste de SGPR pourtant très convoité, comme tous les postes au Cameroun du reste, et qui peut être supprimé, comme ce fut le cas entre janvier 1962 et juin 1965, n’est pas prévu dans la constitution ; il a été occupé par des personnalités qui se sont retrouvées par la suite à Kondengui (quartier de Yaoundé qui abrite le célèbre pénitencier) : Titus Edzoa, Hamidou Marafa Yaya et lui-même, Atangana Mebara. Deux anciens SGAPR aussi sont incarcérés : Inoni Ephraïm et Siyam Siewe.
            Le G11, groupe constitué des personnalités du régime qui s’organisaient pour prendre le pouvoir à l’occasion de l’élection présidentielle de 2011, et dont aurait fait partie l’auteur serait-il donc imaginaire ? Il faut dire que le fait de convoiter le pouvoir est un crime impardonnable, et on pense que c’est qui a valu à un autre ancien SGPR, Titus Edzoa des poursuites judiciaires.
Un autre constat qui se dégage de la lecture de ce livre : M. Biya en appliquant les principes de Mazarin, connaît bien les membres de sa cour ; à force de les espionner et de les observer, il connaît leurs petits secrets, il les tient. C’est ainsi qu’il a mis en garde l’auteur contre certaines personnalités qu’il trouvait dangereuses. Comment donc peut-il maintenir en fonction des personnalités dont il sait qu’ils ont commis des malversations ? On comprend donc que M. Biya n’était pas honnête quand il réclamait les preuves des détournements alors que Eric chinje, le préfacier les avait évoqués dans l’une des rares entretiens qu’il ait daigné accorder à un journaliste camerounais.
Il y a toujours eu des conseillers techniques français à la Présidence, on cite entre autres, MM. Rousseau et Domissy en 1960, M. Bescond en 1962, MM Voillereau et Blanc en 1966, M. Cazes en 1971, etc. En proposant la constitution de 1958 en France, De Gaulle voulait mettre fin au régime parlementaire qui prévalait avant et qui était selon lui, source d’instabilité politique chronique ; il a parlé de régime parlementaire rationnalisé, alors que en fait il préconisait un régime présidentiel fort. C’est entre autres ce que nos conseillers toxiques français nous ont fortement recommandé et l’auteur a répété que le Cameroun est un état centralisé, sous un régime présidentiel fort ; Le PR cumule d’énormes pouvoirs. Le Pr Godinec parle ainsi de « monocéphalisme du pouvoir exécutif, d’accumulation des compétences entre les mains du chef de l’État au détriment des autres organes de l’État ». Les plaintes actuelles de nos compatriotes à l’Ouest du Moungo trouvent leur source dans ce jacobinisme désuet.
Le changement de la Constitution à l’occasion de du passage de la République fédérale à République unie du Cameroun a été qualifiée par le Pr Lekene Doncfack de coup d’état civil  in « Le renouveau de la question fédérale au Cameroun », Penant, 1998, vol. 108.

La répartition des tâches entre le secrétaire général de la Présidence, le directeur du cabinet civil et le premier ministre est souvent floue et parfois source de conflit. On a pu dire par exemple que le directeur du cabinet civil était un PM sans titre.
            Le Cameroun est un pays où des lois peuvent être adoptées, promulguées par le Président de la République, puis mises dans un tiroir et oubliées ; c’est le cas des lois sur la décentralisation, la déclaration des biens, la création de la Cour constitutionnelle, entre autres. Les évènements du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où les compatriotes anglophones se plaignent de maltraitance et de négligence de la part du pouvoir central de Yaoundé auraient-ils eu lieu si la décentralisation avait été rendue effective ? Pourquoi faire des lois et ensuite refuser de les appliquer ?
Parlant des poursuites engagées contre son prédécesseur Titus Edzoa, et des arguments utilisés par ses avocats,  l’auteur de cet ouvrage nous rappelle que l’article 53 de la constitution a été modifié en 2008, dans le sens d’une exonération judiciaire totale et absolue du Président de la République de tous les faits commis pendant son ou ses mandats, pendant et après celui-ci ou ceux-ci. Dans ces conditions pourquoi M. Biya s’accroche-t-il toujours au pouvoir ? Ceux qui pensaient que c’est la peur de l’après pouvoir qui explique son attitude se tromperaient-ils ?
Pour Titus Edzoa qui avait passé quinze à la Présidence, cet endroit est un enfer. Il se disait soulagé de le quitter suite à sa nomination comme Ministre de la santé.
On apprend que du temps où l’auteur était Ministre de l’enseignement supérieur, le taux de scolarisation au niveau supérieur était à peine de 4% (nombre d'étudiants par rapport à la population des jeunes de 18 à 25 ans); alors que ce taux était de plus de 20% dans les pays à croissance rapide d'Asie, qu'il était de plus de 10% dans certains pays africains. Ceci n’est pas très surprenant. En effet beaucoup de bacheliers ne peuvent aller à l’université, faute de moyens. Les frais universitaires sont extrêmement élevés et les parents capables de faire face sont de moins en moins nombreux.
            Le point d’achèvement pour lequel beaucoup de camerounais ont été sacrifiés et qui devait se traduire par un allègement, à défaut de la fin de la souffrance infligée aux populations, mais néanmoins, dont l’atteinte préoccupait si peu un Président plus soucieux de son confort et de ses voyages, a été atteint ; mais alors qu’a –t-on fait des retombées, dont notamment l’allègement substantiel de la dette camerounaise ? Les salaires dans la Fonction publique restent bas, les services publics en général et les formations hospitalières demeurent sous-équipés, l’école est financée par les parents du primaire au supérieur.
            La SNH qui commercialise notre pétrole, a des comptes bancaires au Cameroun et à l’extérieur où est conservée une partie des recettes pétrolières. Bien qu’étant le Président du conseil d’administration de la SNH, le SGPR ne connait pas le montant de ces réserves. C’est le PR qui est le juge d’opportunités et l’ordonnateur  des dépenses.
            Le Conseil économique et social prévu à l’article 54 de la constitution, et régie par la loi du 05 juillet 1986 modifiée et complétée par la loi du 23 juillet 2001, est une institution qui selon l’auteur « peut être utile au pays, en permettant notamment un dialogue régulier entre les forces vives économiques et sociales de la Nation, dialogue qui permettrait l’émergence de consensus sur différents problèmes économiques et sociétaux. » Seulement, ce Conseil ne joue pas son rôle, et pour cause ! Les 150 membres de ce Conseil, dont le Président est l’une des plus hautes personnalités de l’Etat, n’ont jamais été nommés. C’est une coquille vide.
            Peut-on prendre M. Atangana Mebara au sérieux, quand il prétend dire la vérité sur ce régime sans émettre des réserves, à défaut de les dénoncer, sur les malversations, l’incurie, la gabegie auxquelles ce régime nous a habitués, et dont il a eu connaissance, de la position privilégiée qu’il a occupée ? La situation de l’auteur est un symptomatique de l’incohérence, de l’inconsistance et de l’inconstance de ces nombreux cadres qualifiés qui se disent chrétiens, mais qui paradoxalement mettent leurs compétences au service d’un régime autocratique et dont les principaux ressorts sont la corruption, la tricherie, l’achat des consciences, le tribalisme. Les résultats traduisent de façon assez éloquente l’échec prévisible et retentissant d’un tel système. Quel est donc le raisonnement qui aboutit à la nécessité de collaborer avec un tel système lorsqu’on se dit soucieux de rectitude morale et de probité ? Que peut-on véritablement obtenir dans un environnement pollué comme celui qui règne dans notre pays ? Essayer de changer le système de l’intérieur ? L’histoire récente de notre pays prouve à suffisance que ceux qui s’y sont frottés se sont piqués, ils ont été changés alors qu’ils prétendaient changer. Ce qui arrive à M. Atangana Mebara peut sans doute être considéré comme la justice immanente dont on parle souvent sans trop y croire. Oui, on ne joue pas avec le diable, autant qu’il est dangereux de jouer avec le nom du Christ. Tu ne prononceras pas le nom de ton Dieu en vain, n’est-ce pas ?

181216
Jean-Claude TCHASSE
PLEG Hors Echelle
Auteur, Essayiste, Speaker, Bloggeur
jctchasse.blogspot.com

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