jeudi 29 septembre 2016

Les palmes académiques : de la poudre aux yeux ?

Les palmes académiques : de la poudre aux yeux ?
Le 05 octobre prochain, à l’occasion de la 22è Journée Mondiale des Enseignants (JME), les enseignants sélectionnés parmi ceux qui en ont fait la demande avec les dossiers complets se verront attribuer ces palmes. Ce sera la deuxième cuvée de récipiendaires de ce qu’on veut bien nous présenter comme une distinction honorifique. Mais ces palmes académiques constituent-elles une bonne réponse aux problèmes et autres revendications légitimes de l’enseignant au Cameroun ? Peut-on prétendre qu’avec l’attribution de ces palmes, la situation de l’enseignant s’en est trouvée un tant soit peu améliorée ? Ces médailles ont-elles contribué à changer la perception que la société a de l’enseignant au Cameroun ?

Il faut dire que ces palmes font partie, avec le nouvel échelonnement indiciaire, le profil de carrière, la revalorisation des primes,  le congé sabbatique, des promesses faites dans le décret 2000/359 du 05 décembre 2000 portant statut des enseignants. Cela va faire bientôt 16 ans que les concernés attendent vainement leur concrétisation. Des décrets qui « promettent », c’est-à-dire avec des dispositions avantageuses, mais dont l’application est renvoyée sine die sont une spécificité bien camerounaise, traduisant une mode de gouvernance qui n’hésite pas à recourir à la roublardise, à la tromperie, à la morgue et à la condescendance.  Force est de constater qu’à ce jour, les autres promesses sont tombées dans les oubliettes. Les syndicats d’enseignants ont été tournés en bourrique dans des échanges qui se sont terminés en queue de poisson, et pour cause ! Ce n’était que du dilatoire. Le Gouvernement n’avait qu’une seule préoccupation : donner le change, faire croire à l’opinion internationale surtout, qu’on « négocie » avec les syndicats. Cela fait bonne presse, non ? L’on ne peut s’empêcher néanmoins de s’étonner que des méthodes aussi peu honorables aient pu être employées. En fin de compte, c’est la respectabilité et l’autorité des gouvernants qui en prend un sacré coup.
Ainsi, à la place de solutions négociées et durables aux vrais problèmes,  le Gouvernement préfère attribuer des palmes sans substance, parce qu’elles se réduisent à une médaille (vous avez dit la médaille de Meka ?) que l’on accroche à la poitrine des récipiendaires le 05 octobre, et puis, c’est tout. Cela s’arrête là. Aucune incidence financière n’est signalée. Dans les entreprises, les médailles du travail sont accompagnées d’allocations financières conséquentes. Dans ce cas, ce sont les récipiendaires qui doivent encore se saigner pour organiser des fêtes. Le décret 2014/003 du 16 janvier 2014 fixant les modalités d’attribution des palmes académiques « promet » en son article 4.2 un arrêté du Premier Ministre qui va définir les caractéristiques de ces palmes académiques. Ces caractéristiques comprennent certainement les « vrais » avantages liés aux palmes. Cet arrêté existe-t-il ? Le diplôme prévu à l’article 14 attend un texte particulier qui va préciser ses formes et ses caractéristiques. C’est le stratagème éculé et bien connu des textes d’application qu’on attend et qui n’arrivent jamais, mais que l’on tente maladroitement d’invoquer pour justifier le refus d’appliquer les dispositions avantageuses des textes pourtant en vigueur. On dirait qu’il existe une autorité supérieure au tout puissant Président de la République capable de le faire attendre quand il s’agit d’octroyer les maigres avantages prévus aux enseignants ! On se demande comment cela se passe dans l’Armée avec ces nombreuses médailles qu’arborent fièrement et avec ostentation nos officiers lors des cérémonies. Il faut se le dire, toutes ces manœuvres sont de vaines et risibles tentatives pour dissimuler une réalité évidente pour tout esprit lucide et objectif : l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants est la dernière des préoccupations de ce Gouvernement. Ils ont été les agneaux du sacrifice : principale cible des mesures draconiennes imposées par les institutions de Bretton Woods dans le cadre du Plan d’ajustement structurel, ils ont été oubliés quand notre pays a atteint le point d’achèvement, qui a eu pour conséquence l’allègement substantiel de notre dette extérieure.
D’autre part, ces palmes, auxquelles on ne peut prétendre avant d’avoir fait 15 ans de service effectif, comportent trois grades : le grade de chevalier, celui d’officier auquel ne peut prétendre le titulaire du grade de chevalier qu’après cinq ans, et le grade de commandeur qui ne peut être attribué à l’officier qu’après 25 ans de service. Que feront donc les chevaliers proches de la retraite ? Seront-ils jamais élevés au grade de commandeur ? Une dérogation ne devrait-elle pas être accordée au personnel ayant déjà fait plus de 25 ans de service, pour leur permettre d’atteindre les grades de d’officier et de commandeur avant d’aller en retraite ? Pourquoi a-t-il fallu attendre 15 ans pour commencer à attribuer ces palmes ? Vous avez dit condescendance ?
L’on est surpris dans ces conditions de voir l’engouement manifesté par certains enseignants pour ces palmes réduites à une breloque.  Le nombre de demandes est passé de 1539 en 2015 à 2467 en 2016. La médaille exercerait un effet magique sur certains et ils seraient heureux de l’afficher sur leur poitrine. Seraient-ils éblouis par les circonstances de l’attribution de la médaille ? Est-ce un moment d’évasion où l’on oublie les avanies habituelles ? Certains y tiennent et se croient même obligés de donner dans du trafic d’influence en se faisant pistonner pour ce colifichet.
D’autre part on se demande si tous les récipiendaires remplissent effectivement les conditions énoncées dans l’article 6 du décret 2014/0003 du 16 janvier 2014. Je ne serais pas surpris qu’il y ait une certaine complaisance : le Conseil National d’Attribution ne serait pas trop regardant sur les conditions, puisqu’il s’agit de mener les enseignants en bateau en leur faisant oublier leur triste condition, l’instant d’une cérémonie.
Faut-il rappeler ces autres problèmes sérieux, obstacles rédhibitoires à l’exercice de la profession, mais qui restent royalement ignorés, et sans promesse de solution dans un avenir immédiat ? Sans être exhaustif, on peut citer :
Le faible niveau de traitement salarial des enseignants : en effet un bas niveau de salaire est imposé, en violation des textes en vigueur et des conventions internationales. En fin de carrière, l’enseignant, haut cadre ayant gravi tous les échelons et qui n’a pas été nommé, est confronté à de nombreuses difficultés. La nomination apparaît dans ces conditions comme une planche de salut. D’où tous les trafics observés : corruption, achat de consciences, compromissions, favoritisme, népotisme, clientélisme, etc. Vous entendrez beaucoup déclarer qu’il faut « chercher » les postes de proviseurs, de grands lycées de préférence, pour entre autres, « placer » les enfants dans les grandes écoles, grâce aux  avantages que ces postes procurent. Et si l’actuel Ministre des Enseignements Secondaires veut réellement mettre fin aux pratiques détestables qui ont fait leur lit dans ce département, il doit faire revoir par sa hiérarchie à la hausse ces salaires, en impliquant les représentants des enseignants dans la démarche.
La discrimination salariale : à indice égal, l’enseignant a un salaire inférieur à celui du magistrat ou du militaire.  Et l’écart est grand ; il dépasse cent mille francs pour certaines catégories. Cette différence de traitement, cette inégalité devant les charges et les sacrifices est inadmissible, puisqu’elle n’a aucune justification, aucun fondement légal. Mais à qui le dites-vous, à des autorités imbues de leur invulnérabilité, et qui appliquent la loi de manière fantaisiste, capricieuse et imprévisible? Elles n’en ont cure.
L’extrême lenteur des procédures judiciaires : les recours peuvent faire jusqu’à 15 (je dis bien quinze) ans sans être enrôlés. C’est un déni de justice de fait, qui encourage les abus d’autorité et les excès de pouvoir de toutes sortes.
Les enseignants du primaire ne sont pas intégrés dans la Fonction publique ; ils sont contractualisés, ce qui les pénalise énormément sur le plan salarial. Il n’existe pas de convention collective dans le privé, et les titulaires de CAPIEMP ont parfois des salaires qui atteignent à peine le SMIG.
Les conditions de travail ne sont pas négociées : qu’il s’agisse des affectations ou des nominations, on leur brandit le pouvoir discrétionnaire qui sert de prétexte à toute sorte d’abus et d’exactions. La mauvaise gestion du personnel avec de nombreux enseignants fictifs, qui perçoivent des salaires et des avantages qui auraient pu être redistribués aux actifs.
La politisation de l’école : certains élus et autres membres des instances dirigeantes d’un certain parti sont très actifs, pour soutenir des personnels au profil douteux et surtout non conforme, qui sont promus à des fonctions qui les dépassent manifestement, pour faire créer des établissements scolaires sans aucun respect des spécifications techniques, et qui s’avèrent peu viables par la suite, pour faire recruter par dizaines des élèves dans les établissements. Ce qui est curieux, c’est que ces malversations sont restées sans conséquences négatives pour leurs auteurs ; toute cette engeance peut continuer, en toute impunité, à nuire à notre école, à saper les efforts des personnes qui veulent bien faire, sans inquiétude. Les organes de gestions de la Fonction publique, par lesquelles doivent passer les sanctions sérieuses n’existent pas. La procédure disciplinaire a été pour ainsi dire désactivée. On est véritablement dans une cour du Roi Pétaud où tout est permis.
Les enseignants frais émoulus de l’Ecole Normale doivent attendre jusqu’à trois ans pour certains d’entre eux pour avoir leur traitement salarial, en dépit d’une « promesse » faite dans le décret 88/1328 du 28 septembre 1988 portant organisation, régime des études et statut de l’École Normale Supérieure dont l’article 54 prévoyait l’institution d’une bourse indiciaire pour les étudiants. Voilà bientôt 30 ans que cette promesse est ignorée. Comment peut-on priver un travailleur de son salaire, tout en exigeant qu’il soit assidu et ponctuel ? De telles absurdités ne peuvent être possibles qu’au Cameroun.
Les autres primes et avantages sont arbitrairement retenus ; on peut citer pêle-mêle, les primes d’Animateur pédagogique, les dépenses de santé non remboursées, les allocations familiales, les frais de déplacement, les frais de mission, les indemnités aux examens officiels, etc.
Les avancements sont bloqués sans raison valable.

Le journal L’œil du sahel du 26 septembre signale que 538 enseignants du secteur public sont portés disparus dans l’Extrême-Nord et que le déficit en enseignants pour cette région est de 4200. Ce problème qui semble éternel ne se poserait pas si les problèmes ci-dessus étaient résolus. En outre si l’on reconnaissait l’existence des zones d’éducation difficile (ZED), les mesures incitatives suivantes seraient prises : séjour obligatoire, et pour une durée déterminée (3 ans par exemple) pour tous les enseignants dans ces zones, une prime ZED, ajoutée dès la prise de service sans démarches particulières, le paiement effectif des frais de relève pour les déplacements temporaires (congés) et les déplacements définitifs. Malheureusement, ceux qui y sont affectés sont abandonnés et oubliés, et l’arme de l’affectation disciplinaire, bien qu’illégale, continue d’être suspendue, telle une épée de Damoclès sur la tête des indociles et autres récalcitrants.

Mais faut-il plaindre l’enseignant outre mesure ? N’a-t-il pas sa responsabilité dans ce qui lui arrive ? C’est en effet une victime consentante, qui va à l’abattoir tel un agneau alors qu’il a un avantage inestimable : le nombre. Voilà une foule qui ne sait pas faire foule. Les enseignants boudent l’action syndicale, qui bien menée aurait pu contribuer de façon significative à améliorer sa situation. Le jeune enseignant sorti d’Ecole n’a qu’une seule ambition : se faire nommer au plus vite. C’est une mauvaise solution à un vrai problème et ce ne sont pas les festivités du 05 octobre qui vont faire évoluer positivement la situation.

250916
Jean-Claude TCHASSE
PLESG Hors Echelle
jctchasse.blogspot.com

2 commentaires:

  1. Sacréé chronique du doyen. Tous les maillons de la chaîne en prennent pour leur grade. Seulement, je retiens que le véritable problème c'est l'enseignant c'est cette victime qui est complice de son bourreau.

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    1. Oui cher collègue, les enseignants ne savent pas faire foule.

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