La justice populaire. (Texte intégral)
La justice populaire se dit de cette situation où les
populations décident d’en découdre elles-mêmes avec une personne surprise en
train de commettre un acte répréhensible comme le vol, l’assassinat,
l’adultère, le viol ou l’enlèvement d’une autre personne, etc. Le malfaiteur
ainsi surpris, ou la personne soupçonnée d’avoir posé l’un des actes ci-dessus
est violemment prise à partie, puis lynchée par une foule en fureur, difficile,
voire impossible à maîtriser.
Généralement cela commence par une dénonciation, un cri
« Au voleur » et immédiatement, un rassemblement spontané se forme
autour du présumé coupable, et les personnes présentes rivalisent d’imagination
pour régler son compte à l’infortuné. C’est comme si ces justiciers d’un autre
genre s’étaient passés le mot. Ils s’arment de gourdins, de barres de fer, de
lattes, de cailloux, d’essence, bref, de tout ce qui peut faire mal. Sans
l’intervention énergique des forces de l’ordre, obligées parfois de tirer des
coups de feu en l’air, c’est la mort assurée du présumé malfaiteur, après
d’atroces souffrances. Mais généralement, les éléments des forces de sécurité
arrivent tard et ne retrouvent que le corps sans vie de la victime, souvent
transformé en méchoui humain après avoir été brûlé vif.
Les images de ces spectacles macabres circulent sur les
réseaux sociaux, et l’on se demande si leurs auteurs ont un cœur. Ne vaut-il
pas mieux alerter la police ? Comment peut-on prendre du plaisir à filmer
ces scènes où l’on voit un être humain se tordre de douleur sous les coups de
gourdins et de lattes, ou en train de brûler ? La diffusion de ces images a
sans doute pour but de dissuader ceux qui seraient tentés de s’adonner à cette
activité nocive. Mais admettons quand même qu’il faut s’armer de beaucoup de
courage pour les enregistrer.
Comme vous le constatez, l’accusé n’a pas l’occasion de se
défendre ; il est ainsi exécuté sommairement, sans avoir été jugé, d’où le
risque d’infliger ce traitement barbare à des innocents. On a signalé récemment
le lynchage d’un officier au Ghana, alors qu’il faisait son jogging ; des
femmes ont aperçu son arme et l’ont pris pour un braqueur. On a également
signalé un enfant de 7 ans, brûlé vif au Nigéria ; il aurait tenté de
voler du tapioca. Manifestement, cette peine était disproportionnée, et en tout
état de cause, un tel comportement est révoltant et injustifiable. Peut-être
que cet enfant avait tout simplement faim.
On peut se demander ce qui peut pousser les populations à
réagir de la sorte. Pourquoi la foule est-elle si prompte à afficher un tel
comportement ? L’une des explications données est la suivante ; les
malfrats arrêtés et conduits aux autorités sont libérés sans être jugés, et
puis reviennent narguer les victimes de leurs méfaits. Il paraît même que quand
ils sont dénoncés aux autorités, ces malfrats parviennent à identifier on ne
sait trop comment les dénonciateurs, qu’ils reviennent ensuite agresser. Ceci
conduit à une situation où les bandits sont connus dans les quartiers de nos
villes, et les populations victimes de leurs exactions ne rêvent de que
l’occasion d’en découdre avec eux. Mais ceci peut-il suffire à justifier la
violence et la barbarie exercées par ces foules en furie ? Une autre
explication possible est la rancune ; en effet, les victimes de braquage
et d’agression dont les auteurs n’ont jamais été identifiés ruminent leur
vengeance. Ils se défoulent sur le premier présumé bandit sur qui ils tombent.
Ils se disent sans doute qu’un malfaiteur en vaut un autre. Il faut dire que
les agresseurs, les voleurs, les braqueurs et autres coupeurs de route dont
certains se droguent avant de passer à l’action, ne font pas de cadeau à leurs
victimes. On rapporte en effet des cas de violence, de viol des épouses devant
leurs maris et des enfants devant leurs parents, et même des assassinats.
Apparemment très peu de cas sont élucidés, et les victimes de ces crimes
restent sut leur faim. Au traumatisme de l’agression parfois sauvage, s’ajoute
la frustration de ne pas voir leurs agresseurs poursuivis, arrêtés, puis
condamnés par la justice. La société vit donc dans la peur. Cette peur des
agressions qui impose de nouvelles habitudes. Il est ainsi déconseillé de
rester hors de chez soi au-delà d’une certaine heure, au risque de tomber sur
les maîtres de l’obscurité.
Les populations pensent donc, à tort ou à raison que les
autorités, que ce soit au niveau des forces de l’ordre ou au niveau de la
justice sont complaisantes, voire complices des malfaiteurs, dans un
environnement où la rectitude morale n’est pas la chose la plus partagée.
Il importe donc que notre administration et notre justice
inspirent véritablement confiance en faisant preuve de plus d’objectivité, de
rigueur et de diligence dans le traitement des présumés coupables. Les victimes
des méfaits qui se plaignent ne devraient pas être soumis à des tracasseries à
la police ou à la gendarmerie. Qu’il ne leur soit pas exigé plus que ce qui est
nécessaire pour engager les actions légales nécessaires. Quel type de rapport
doit-il y avoir entre le plaignant et l’enquêteur désigné ? Le premier
doit-il « motiver » le second ? Est-il possible de connaître les
suites des nombreuses plaintes contre inconnu déposées ?
Les personnes qui participent au lynchage de présumés bandit
doivent savoir qu’on ne se fait pas justice, encore que la plupart des
« procureurs-juges » auto proclamés ne sont pas des victimes directes
du présumé malfrat. Elles doivent savoir qu’elles commettent elles-mêmes un
crime et devront rendre compte, ne serait-ce qu’à leur conscience; c’est un
fardeau qu’ils traîneront toute leur vie. Il y a des autorités compétentes pour
juger et condamner ceux qui commettent des infractions. Les citoyens non
habilités et témoins d’un acte délictueux doivent neutraliser l’auteur et le
remettre aux autorités ; ils ne peuvent le tuer que s’il constitue une
menace claire pour ses victimes et que c’est la seule solution pour préserver
d’autres vies ; ceci n’est généralement pas le cas avec les lynchages où
l’on voit le présumé bandit déjà neutralisé, assommé par les nombreux coups de
gourdins qu’il a reçus, incapable parfois de bouger.
Est-ce que je prends la défense des malfaiteurs ? Est-ce
que je veux les protéger ? Non, évidemment, Pourquoi le ferais-je ?
Je demande que la loi soit respectée par tous, que ce soit les autorités
chargées de la faire appliquer, ou les populations. Ceux qui volent, braquent et
violent doivent être traduits en justice et condamnés s’il s’avère qu’ils ont
effectivement commis les actes qu’ils sont soupçonnés d’avoir commis ; il
y a la présomption d’innocence. Toute personne suspectée d’avoir violé la loi
est considérée comme innocente jusqu’à ce qu’il soit prouvé qu’il est
effectivement coupable. Si l’enfant nigérian de 7 ans ou l’officier ghanéen
avait été livré aux autorités, ils auraient échappé à cette mort cruelle. Et
puis sachez que les malfaiteurs s’attirent des malédictions par leur
comportement. Leurs actes ne sont pas seulement condamnés par la loi des
hommes, ils le sont aussi par la loi de Dieu. Et Dieu est Tout puissant et sa
justice infaillible.
Les populations s’acharnent sur les petits bandits parce
qu’elles se sentent impuissantes devant les personnages haut placés auteurs de
détournements et de malversations autrement plus importantes. Car comment
expliquer autrement qu’un bandit qui vole une chèvre soit puni plus sévèrement
qu’un directeur ou un ministre qui détourne des centaines de millions ?
Pourtant les voleurs ne semblent pas, mais alors pas du tout
découragés par ce traitement inhumain appelé justice populaire. On signale
encore et toujours des cas de vol, d’agression et de braquage.
150717
Jean-Claude TCHASSE
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