L’alcool (première et deuxième partie)
Nous commençons aujourd’hui une autre série de chroniques
consacrée une véritable calamité sociale, l’alcool.
Les camerounais ont consommé 650 millions de litres de bière
en 2016. En 2015, ils avaient bu 660 millions de litres. Source : le journal
Quotidien de l’économie du 28 juin
2017. 650 millions de litres, cela fait un milliard de bouteilles de 65 cl, et
si on prend les chiffres du Bureau Central des Recensements et des Etudes de
Population (BUCREP), qui estiment la population en 2016 à 22700000 habitants,
on peut supposer que la tranche d’âge supérieure à 20 ans autour de 10500000 habitants,
les personnes de sexe masculin qui sont les plus assidus aux bars sont environ
5 millions, si on soustrait les musulmans, les malades, les abstinents, il reste environ 3800000 buveurs de bière ce qui
fait 263 bouteilles de bière par personne.
Un milliard de bouteilles, c’est une dépense de 600 milliards
FCFA par an, à raison de 600 F la bouteille. Vous comprenez pourquoi les
industries brassicoles, qui se partagent ce pactole se portent bien et défient
la crise pour ainsi dire. Imaginez que la moitié de cette somme soit épargnée
et mise à la disposition des investisseurs. Ces sommes ne tiennent pas compte
des sommes dépensées pour le vin et les liqueurs. J’estime que c’est une déperdition
de ressources plutôt surprenante dans un pays sous-développé comme le nôtre,
qui manque les infrastructures de base. Le Cameroun vient d’être mis pour la
deuxième fois de son histoire sous Plan d’ajustement structurel pour avoir
sollicité et obtenu un emprunt de 390 milliards auprès du FMI. Les camerounais ont
dépensé presque le double de cette somme pour ingurgiter de la bière. Voilà un
pays qui va chercher à l’extérieur des sommes qu’ils pourraient mobiliser en
interne.
L’alcool est un fléau social. C’est sans doute ce qui a
poussé les Etats Unis à instaurer entre 1919 et 1933, la prohibition, qui était
l’interdiction de la fabrication et de la vente de l’alcool. Cela a poussé les
vendeurs et les consommateurs dans la clandestinité, une hausse de la criminalité
avec les bootleggers et les caïds comme Al Capone, et il a fallu y mettre fin.
Les bars et les débits de boisson ne désemplissent pas ;
certains sont ouverts plus de 12 heures par jour. On vend de l’alcool dans les
coins les plus reculés de nos villages. On a l’impression que c’est plus facile
de trouver l’alcool que certaines denrées de première nécessité dans certains
villages.
Le phénomène a été aggravé par l’idée proprement diabolique
de commercialiser du whisky en sachet. Plus besoin d’acheter une bouteille
entière, et ces sachets sont vendus dans les petites échoppes et les kiosques
qui parsèment nos cités et nos villages. L’interdiction de la vente de ces
sachets a été annoncée dans arrêté de septembre 2014 qui devait prendre effet à
partir du 12 septembre 2016, et pourtant cela persiste, ce commerce ne s’est
jamais porté aussi bien. Les consommateurs de cette boisson nocive qui sont
composés de jeunes, de moins jeunes, des femmes ne se privent pas, d’autant
plus que cela ne coûte pas cher. C’est le déjeuner de certains d’entre eux.
Pourquoi les camerounais en consomment-ils
tant ? L’engouement observé pour la bière en particulier et les boissons
alcoolisées en général a de quoi surprendre tout esprit lucide. On dirait qu’une
substance magique est introduite dans ces boissons, et cela expliquerait l’attrait
exercé sur les consommateurs ; les comportements les plus irrationnels
sont observés. Certains se réveillent avec la bière, c’est avec cela qu’ils
déjeunent. Il y en qui peuvent boire jusqu’à un casier de 12 bouteilles. C’est
difficile d’imaginer une réception sans boissons alcoolisées ; ce serait
le bide, les invités repartiraient dépités et mécontents.
A côté de la bière et des liqueurs, il y a les variétés
locales des boissons alcooliques ; le bil bil, la afofo, le harki, l’odontol,
le malamba, le ha, ; je suppose que le mot « ha » est une
onomatopée, parce que quand vous en buvez, cela vous brûle la gorge et vous
faites spontanément « ha », sauf peut-être pour les consommateurs aguerris
qui ne ressentent peut-être plus rien à la gorge. Ces boissons sont produites
dans de véritables distilleries traditionnelles, dans des conditions d’hygiène
et de salubrité douteuses, pour dire le moins. Le degré d’alcool n’est pas
indiqué pour ces boissons qui ne portent pas d’étiquette par ailleurs ; de
surcroît, certaines de ces boissons contiennent le méthanol et sont de ce fait toxiques.
En novembre 2016 dans les localités de Mindourou et Abong-Mbang, 21 camerounais
ont perdu la vie par suite de la consommation de l’odontol.
Les alcools constituent une classe de composés chimiques dont
le nom se termine par « ol » ; l’alcool qu’on retrouve à de
degrés divers dans les boissons consommées est appelée l’éthanol ou alcool
éthylique. Il est obtenu par fermentation des substances contenant les sucres. Le
vin de palme ou le vin raphia par exemple sont sucrés quand on vient de les
extraire, mais se fermentent à mesure que temps passe, en produisant du gaz qui
s’accumule et qui peut faire exploser la bouteille si elle est bouchée
hermétiquement.
La consommation excessive de l’alcool rend ivre ; une
personne en état d’ivresse n’est plus lucide ; elle ne se contrôle plus ;
elle a perdu ses sens et ne peut accomplir ses tâches normalement. En état d’ébriété,
on titube ; et on nous rapporte régulièrement le cas des saoulards, qui
ont pu regagner leurs domiciles tant bien que mal, mais qui ont dormi à l’entrée
de leur domicile, pour avoir été incapables d’introduire la clé de la porte dans
la serrure. On déplore également le cas de ces familles abandonnée sans
ressources parce que le chef de famille dépense des sommes folles pour essayer
d’étancher sa soif inextinguible d’alcool. Les chauffeurs ivres ont consommé de
nombreux accidents de circulation aux conséquences graves. Beaucoup de
personnes sont incapables de résister à la tentation de « boire un peu »
alors qu’elles doivent conduire. C’est comme cela qu’on retrouve au volant
après les enterrements et les mariages des chauffeurs en état d’ébriété, dont
les voitures font des zig zag sur la route et gare aux autres usagers qui ont
le malheur de se retrouver dans les parages. Quand vous bous rendez à une
cérémonie où vous allez boire, faites-vous accompagner d’une personne sobre qui
pourra vous ramener chez vous ; cela peut être un chauffeur ou votre
épouse.
Nous ne sommes pas égaux devant l’alcool :
certains sont plus sensibles que d’autres, il suffit d’un seul verre pour faire
perdre la tête aux uns tandis que d’autres restent lucides après deux
bouteilles de bière, voire d’avantage. Les premiers seront plus protégés des
effets néfastes de l’alcool.
Jean-Claude TCHASSE
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