LES TECHNIQUES DE FRAUDES ELECTORALES
Parler d’élections démocratiques en Afrique francophone est ridicule. Cela
fait rire les tenants de notre démocratie tropicalisée en premier. Eux qui sont
conscients du caractère factice des consultations
électorales qu’ils se croient obligés d’organiser périodiquement. Dans un
contexte où le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant, nos cours
constitutionnelles ou suprêmes selon le cas, manipulées et contrôlées par un
exécutif hyperpuissant, s’en trouvent réduites à un rôle peu glorieux : donner
un aspect légal en les avalisant, aux hold-ups électoraux perpétrés. Ce théâtre
de mauvais goût ne suffit évidemment pas pour conférer la légitimité et l’adhésion
populaire dont tout Gouvernement qui se veut sérieux, a besoin pour conduire
son action, dont l’objectif principal devrait être le développement de nos pays.
Le
fait que l’on trouve des présidents ayant battu des records de longévité au
pouvoir, et qui s’en vantent même, est
en soi la preuve que les élections sont truquées. Il n’est pas possible en
effet, qu’un même individu « gagne » systématiquement des élections
parfois avec des scores qui feraient pâlir d’envie les dirigeants de l’ex-URSS,
sans recourir à ces méthodes viles et basses. Ces régimes trichent aux
élections parce qu’ils savent qu’ils ont lamentablement échoué. Ils n’ont pas
su répondre aux aspirations légitimes de leurs populations, et ce n’est pas
tout. Ils se sont distingués par des comportements anti patriotiques
(détournements de deniers publics, gaspillage et déprédation des ressources, violation
de la loi, atteintes aux droits de l’homme, tribalisme, prévarication) si
graves qu’ils se disent qu’en cas d’alternance, ils sont perdus. Ce sont de
véritables renégats, qui se sont souvent conduits comme s’ils étaient de passage,
comme s’ils avaient un autre pays ; ils ont repris à leur compte des actes
détestables de l’administration coloniale. C’est donc la peur de devoir assumer
la responsabilité de leur comportement répréhensible qui peut justifier en
partie leur refus de jouer le jeu démocratique. Le goût du lucre, la recherche
des honneurs, la quête de la gloire, la soif inextinguible des privilèges, l’attrait
irrésistible et incontrôlé des biens matériels, bref, rien de bien noble dans
les motivations intrinsèques de ces messieurs et dames.
Fausser
le jeu électoral, c’est frustrer une bonne partie de la population dont on
détourne les suffrages, c’est confisquer la souveraineté du peuple, c’est
préparer la guerre. En effet, si le bulletin du vote (ballot) perd son pouvoir,
qu’est-ce qui reste à la population comme recours ultime ? Le vote ne sert
à rien. Et on a même entendu les pontes du régime déclarer « que vous
votiez pour nous ou non, nous allons gagner ». L’élection qui devrait être
l’occasion de rendre compte de la gestion de la cité, et qui devrait aussi
permettre de sanctionner les gouvernants devient inutile. Elle est réduite à un
exercice dispendieux, dont la pertinence dans ces conditions est sujette à
caution, et c’est l’occasion de dilapider et de détourner nos maigres
ressources. Dans ces conditions, la mauvaise gestion continue allègrement, avec
des dirigeants qui sont sûrs de leur impunité et qui deviennent arrogants,
inconscients et insouciants. Ils s’installent
dans la médiocrité, l’impéritie, la concussion, l’inconséquence que ne peuvent
afficher que des dirigeants irresponsables,
se sachant mal élues, peu soucieuses de redevabilité. Les élections sont
transformées en parties de « qui perd, gagne ». C’est comme cet
examen de fin d’année où est déclaré admis le cancre qui a accumulé de
mauvaises notes, pour avoir passé l’année scolaire à s’amuser. C’est cela même,
la caractéristique des régimes autocratiques imposés dès le début par la France
et qui se cramponnent au pouvoir. Le mandat électoral a perdu son sens,
puisqu’il est de durée indéterminée.
Ces Présidents « élus » dans ces conditions, conscients de leur
manque de légitimité, s’entourent de gardes prétoriennes, comme au Burkina Faso
avec le fameux et tristement célèbre RSP, qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Ceux
qui ont été installés au pouvoir ont pour eux tous les avantages ; ils accaparent
les ressources humaines et matérielles de l’Etat qu’ils utilisent impunément pour
leur campagne. C’est l’une des plus grosses fraudes électorales. Le pouvoir de
nomination du Président est en fait un moyen pour recruter les militants de son
parti. Au Cameroun par exemple, les fonctionnaires ont été paupérisés pour
rendre les nominations plus attractives. Le salaire du haut cadre ne suffit
plus pour joindre les deux bouts. Il faut absolument se faire nommer, donc
adhérer au parti au pouvoir, si l’on veut s’en sortir. Le maintien des bas
salaires permet d’éliminer les potentiels candidats opposants. Puisque un fonctionnaire
mal payé, et par conséquent plus préoccupé par sa survie va se désintéresser de
la politique, s’il ne s’y engage pas pour soutenir le régime. Par ailleurs la
puissance publique est déployée contre les opérateurs privées, les chefs
traditionnels et les manifestations qui ne sont pas favorables au pouvoir.
Il est
difficile dans ces conditions de partir sur des bases équitables. Seul le parti
au pouvoir peut avoir des représentants dans tous les bureaux vote, surtout
parce que ce parti considère les agents de l’administration comme ses membres.
Le
recensement de la population se fait dans des conditions qui jettent le
discrédit sur les résultats obtenus. On a mis cinq ans pour publier les résultats
du recensement de 2005. Il faut dire que là encore ce sont le français qui ont
commencé les manipulations des chiffres, avec le premier recensement, avant la
prétendue indépendance de notre pays. Le tableau ci-dessous, qui provient du
site de l’Institut National de la Statistique, donne l’évolution de la
population totale et par région du Cameroun entre 1976 et 2013.
Région
|
Année
|
||||||
1976
|
1987
|
2005
|
2009p
|
2010p
|
2012p
|
2013p
|
|
Adamaoua
|
359 334
|
495 185
|
884 289
|
999455
|
1031903
|
1098165
|
1131978
|
Centre
|
1 176 743
|
1 651 600
|
3 098 044
|
3471978
|
3580006
|
3803 931
|
3919828
|
Est
|
366 235
|
517 198
|
771 755
|
798561
|
805317
|
818139
|
824204
|
Extrême-Nord
|
1 394 765
|
1 855 695
|
3 111 792
|
3435302
|
3525773
|
3709691
|
3803138
|
Littoral
|
935 166
|
1 352 833
|
2 510 263
|
2822462
|
2909318
|
3085304
|
3174437
|
Nord
|
479 158
|
832 165
|
1 687 959
|
2009728
|
2089924
|
2240649
|
2311179
|
Nord-Ouest
|
980 531
|
1 237 348
|
1 728 953
|
1793413
|
1816580
|
1870148
|
1900547
|
Ouest
|
1 035 597
|
1 339 791
|
1 720 047
|
1775736
|
1795308
|
1840137
|
1865394
|
Sud
|
315 202
|
373 798
|
634 655
|
685885
|
698227
|
720833
|
731099
|
Sud-Ouest
|
620 515
|
838 042
|
1 316 079
|
1373385
|
1395931
|
1449957
|
1481433
|
Cameroun
|
7 663 246
|
10493 655
|
17 463 836
|
19 165905
|
19 648 287
|
20 636 954
|
21143 237
|
On remarque que la
population a plus que doublé et a même triplé dans certaines régions, tandis que
à l’Ouest et au Nord-Ouest les augmentations ne sont que de 93% et de 80%
respectivement. Y a-t-il eu des
calamités qui ont décimé les populations dans ces régions ? Le taux de
croissance de la population y est-il plus faible ? Comme par hasard ce
sont les régions réputées hostiles au pouvoir de Yaoundé. La manipulation du
chiffre de la population est une technique bien connue, mais souvent ignorée. Cela
permet de diminuer le nombre d’électeurs et d’élus favorables à l’opposition. Puisque
c’est sur cette base que se fait la répartition des circonscriptions
électorales et le nombre d’élus (conseillers municipaux, députés, conseillers,
etc.). Par la suite les projets de développement se font en fonction du chiffre
de la population.
La répartition des communes et des députés par province se présente ainsi
qu’il suit :
Province
|
Population en 2010
|
Nombre de communes
|
Ratio : nombre d’habitants pour une commune
|
Nombre députés
|
Ratio : nombre d’habitants pour un député
|
Adamaoua
|
1031903
|
16
|
64493,938
|
10
|
103190,3
|
Centre
|
3580006
|
68
|
52647,147
|
28
|
127857,36
|
Est
|
805317
|
32
|
25166,156
|
11
|
73210,636
|
Extrême Nord
|
3525773
|
45
|
78350,511
|
29
|
121578,38
|
Littoral
|
2909318
|
31
|
93848,968
|
19
|
153122
|
Nord
|
2089924
|
19
|
109996
|
12
|
174160,33
|
Nord-Ouest
|
1816580
|
32
|
56768,125
|
20
|
90829
|
Ouest
|
1795308
|
41
|
43788
|
25
|
71812,32
|
Sud
|
698227
|
25
|
27929,08
|
11
|
63475,182
|
Sud-Ouest
|
1395931
|
27
|
51701,148
|
15
|
93062,067
|
total
|
19 648 287
|
336
|
58447,044
|
180
|
109157,15
|
Les fraudes ci-dessous proviennent de l’ouvrage PRÉVENIR
ET LUTTER CONTRE LA FRAUDE ÉLECTORALE AU CAMEROUN publié en 2012 par un groupe
d’ONG camerounaises avec l’appui de la Friedrich Ebert Stiftung.
·
Allouer la
majorité des circonscriptions dans les zones favorables à certains partis
politiques.
·
Entretien du flou
en ce qui concerne la date exacte de l’élection.
·
Refus d’inscrire
sur les listes électorales.
·
Inscription
multiples sur les listes électorales
·
Refus de délivrer
un récépissé à un électeur après inscription.
·
Insuffisance
d’information envers le public sur le processus de la part d’ELECAM ;
ELECAM ne communique pas suffisamment sur la période, la procédure et les lieux
d’inscription.
·
Non production des
cartes d’électeurs/trices : Les cartes des citoyens/nes dûment inscrits/e
sur une liste électorale ne sont pas produites par ELECAM.
·
Production des
cartes ne répondant à aucune inscription sur une quelconque liste
électorale : elle consiste à produire des cartes d’électeurs/trices qui
n’appartiennent à personne pour gonfler les chiffres en ce qui concerne le
nombre d’électeurs/trices.
·
Production de
plusieurs cartes pour un/e même électeur/trice ; elle consiste à doter un
électeur de plusieurs cartes soit en changeant certains éléments de son
identification, soit en lui procurant plusieurs cartes pour plusieurs bureaux
de vote différents.
·
Choisir les
centres de vote difficilement accessibles au public ; il s’agit de choisir
des centres dans des lieux difficilement accessibles (domiciles privés,
lamidos, chefferies etc.) et dont l’accès est conditionné par une orientation
du vote.
·
Non affichage ou
affichage tardive des listes électorales.
·
Non affichage ou
affichage tardif des listes des bureaux de Vote.
·
Non affichage des
listes devant le bureau de vote : les listes électorales contenant les
noms des électeurs ne sont pas affichées à l’entrée de chaque bureau de vote.
Les électeurs n’ont donc aucun moyen de vérification.
·
Bureaux de vote
fictifs ; il s’agit de l’existence dans certains centres de vote des
bureaux de vote enregistrés ayant une existence matérielle sans opérations
électorales officielles. Ils servent très souvent de réserve de voix au profit
de certains partis politiques ou candidats.
·
Présence des
bureaux de vote dans les lieux non ouverts au public ; les bureaux de vote
qui doivent être dans des lieux publics ou ouverts au public tels les écoles,
les foyers, les centres de police ou
de gendarmerie se retrouvent fixés dans les domiciles privés, des lieux non
accessibles à tous limitant ainsi la liberté de l’électeur en lui mettant une
pression psychologique lui indiquant telle ou telle autre intention de vote.
·
Absence,
insuffisance du matériel électoral ; absence de l’isoloir, des bulletins
de candidats ou liste de candidats, des
enveloppes, des urnes, des sacs à rébus… etc.
·
Le transport des
urnes vers une destination inconnue aux conséquences du choix des centres non
éclairés ou de suite de coupure d’électricité.
o
-L’affectation
des bureaux dans des lieux non éclairés et aucune disposition prise afin de
permettre son éclairage avant le moment du dépouillement du scrutin
o
-Un dépouillement
fait dans le noir ne permettant pas le contrôle pendant le décompte, ce qui
favorise les bourrages des urnes et la publication des résultats erronés
o
-Pour ce qui est
des coupures d’électricité, elles conduisent au transport des urnes vers une
destination inconnue et en chemin, les transporteurs profitent pour bourrer les
urnes et falsifier les PV.
·
La corruption des
électeurs par le rachat des bulletins non choisis.
·
Faire voter des
personnes dont les noms ne figurent pas sur la liste ou étant en possession des
cartes d’électeurs ne leur appartenant pas.
·
Vote multiple
d’un électeur avec une identité erronée ; Il s’agit pour un électeur en
possession de plusieurs identités de voter plus d’une fois et de la délivrance
de plusieurs cartes à une même personne avec une falsification subtile de ses
noms et/ou prénoms. exemple : l’on vote une 1ère fois avec
l’identité ONANA Jean Jacques, une seconde fois avec ONANA Jean J. et une
troisième avec ONANA J.J. avec un changement ou non de la date de naissance.
·
Expulsion des
représentants de certains partis politiques ou candidats. C’est le fait pour
les membres du bureau de vote de mettre les représentants de certains partis
politiques ou candidats à l’extérieur du bureau les privant ainsi de leur droit
de contrôler le scrutin, afin de procéder au bourrage des urnes et à la
falsification des PV.
·
Les membres du
bureau de vote empêchent les électeurs de participer au dépouillement.
·
Modification des
procès-verbaux ; elle consiste à changer les résultats sortis des urnes
soit :
o
-En falsifiant
les procès-verbaux ;
o
-En permutant les
résultats ;
o
-En fabricant des
nouveaux procès-verbaux.
o
-En annulant les
procès-verbaux
·
Corruption des
membres de la commission communale de supervision de vote ; il s’agit du
marchandage entre les membres, de la manipulation, de la pression ou du trafic
d’influence.
·
Rejet des
recours ; il consiste à annuler de façon expéditive les recours et de ce
fait les rejeter sur la forme.
·
Annulation
fantaisiste et cavalière des élections.
L’organe électoral ELECAM mis sur pied surtout en raison de la
défaillance grave d’une administration foncièrement incompétente et corrompue, qui
s’est montrée incapable de rester neutre et impartiale durant le processus
électoral, est dirigé par des membres du parti au pouvoir en violation des
textes l’instituant, lesquels recommandent la désignation des personnalités
indépendantes. Aux élections couplées de 2012, la liste des candidats RDPC à
Douala II aurait dû être disqualifiée parce qu’elle était incomplète ; ils
ont été autorisés, en violation de la loi de compléter cette liste après les
délais de dépôt. D’autre part, des modifications de la loi électorale ont permis
à l’administration, qui a toujours favorisé le parti au pouvoir et qui est à l’origine
des multiples fraudes relevées, à s’impliquer de nouveau dans le processus
électoral.
Le
virus de la fraude électorale a été inoculé par la France, pour combattre
l’UPC. Imaginez un examen où les cancres réussissent tandis que les bons élèves
échouent.
011115
Jean-Claude TCHASSE
Auteur, Essayiste
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