À quoi va servir le Sénat au
Cameroun ?
Le Sénat est l’une des deux chambres
du Parlement camerounais prévue par la Constitution de la République depuis le
18 janvier 1996 ; cela fait donc 17 ans que l’on attend sa mise en
place ; mais, pour des raisons que l’on ignore, c’est seulement le 14
avril prochain que des élections auront lieu pour désigner les membres de cette
chambre. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour mettre en place cet
organe ? Que peut-on attendre du Sénat?
La première remarque qui vient à l’esprit est la
suivante : si le Sénat était vraiment nécessaire à notre pays, l’on
n’aurait pas attendu 17 après son institution, et 53 ans après notre prétendue
indépendance, pour le mettre en place ; personne ne se croit obligé
d’expliquer au citoyen contribuable, véritable dindon de la farce, pourquoi il
a fallu attendre tout ce temps.
D’autre part, le moment de la convocation du corps électoral
semble avoir été particulièrement mal choisi ; en effet, les Sénateurs
sont élus par les conseillers municipaux ; or le mandat (5 ans) de ceux qui sont en place actuellement
a expiré depuis juillet 2012, puisqu’ils ont été élus en juillet 2007 ;
les élections municipales et législatives sont imminentes, et personne ne sait
véritablement pourquoi ces élections n’ont pas été organisées à la date
prévue ; si on prend en compte les grosses
irrégularités, les trafics, les malversations et les fraudes monstrueuses qui ont
toujours marqué toutes les élections organisées dans notre pays jusqu’à ce
jour, on comprend mieux que la
légitimité et la représentativité du corps électoral actuel soient
sujettes à caution; de quelle légitimité pourra donc se prévaloir le Sénat qui va
sortir des élections d’avril prochain ? Pourquoi n’avoir pas attendu les élections
annoncées qui auraient conduit à des conseillers municipaux investis de la
légitimité nécessaire pour élire les futurs Sénateurs ? C’est sans doute les
élections aux listes biométriques, avec les possibilités de fraude réduites qui
fait peur au RDPC.
Le calendrier électoral, si tant est qu’il en existe un, est
ainsi maîtrisé par le seul RDPC, qui fixe la date des élections sans tenir
compte de la durée des mandats électoraux et qui programme les échéances
électorales selon ses seules convenances, sans concertation avec les autres
partis, donc sans consensus ; on a ainsi une équipe dont le capitaine est
en même temps arbitre, qui décide de la date du match en s’assurant qu’il a
pris ses adversaires au dépourvu.
Que va faire l’opposition au sein d’une telle instance ?
On est d’abord surpris du revirement spectaculaire du leader du SDF, M. Ni
John Fru Ndi, qui avait promis « d’aider M. Biya à gâter le
Cameroun » si celui osait convoquer les Sénatoriales avant les municipales
et les législatives. La participation de l’opposition aux Sénatoriales, c’est
sa caution aux manœuvres antidémocratiques du pouvoir ; c’est la
légitimation d’un organe foncièrement antidémocratique et illégitime ; et
comme elle sera ultra minoritaire dans cette chambre, elle ne pourra faire que
de la figuration.
Les futurs Sénateurs seront évidemment tenus par la
discipline du parti ; et la façon dont les listes ont été constituées ne
rassure pas du tout ; tout le monde connaît le RDPC et ses
méthodes reprises par d’autres partis d’opposition ; trafic d’influence,
népotisme, favoritisme, corruption ; pourquoi ne les avoir pas désignés
par des élections démocratiques au sein des différents partis ? Quelle
sera leur marge de manœuvre ? Nulle ; la Constitution a beau déclarer
nul le mandat impératif, je ne vois aucun d’entre eux capable de faire preuve
de l’indépendance d’esprit nécessaire pour voter le moment venu en son âme et
conscience, en fonction de l’intérêt de la Nation. Ils devront se soumettre aux
diktats et autres oukases provenant de ceux à qui ils doivent leurs précieux strapontins.
Le fonctionnement de notre Assemblée Nationale actuelle nous conforte dans
cette idée.
Les Sénateurs devraient être les meilleurs d’entre
nous ; les plus compétents, les plus intègres, des modèles qui se sont
distingués par leur dévouement, leur rectitude morale, leur abnégation, leur
engagement patriotique ; mais on se demande si de tels camerounais
existent tant ce régime s’est employé à compromettre tous ceux qui s’y sont
frottés ; c’est pour cela que certains partis ont profité de ces
sénatoriales pour « redresser » les militants candidats qui n’étaient
pas à jour de leurs cotisations.
Ceux qui se bousculent pour faire partie de ce Sénat savent
très bien qu’ils y vont uniquement pour les avantages matériels, les
privilèges, les honneurs et le prestige factice et éphémère conférés par leur
nouvelle position ; ils recherchent l’immunité parlementaire pour ceux
d’entre eux qui traînent des casseroles ; ils ne seront d’aucune utilité
pour ce pays.
Si le Sénat était donc si utile pourquoi donc au Sénégal, pays
qui en matière de démocratie et d’alternance pacifique
au sommet, à beaucoup à nous apprendre, pourquoi donc au Sénégal l’a-t-on
purement et simplement supprimé ?
Nos problèmes suivants vont donc rester entiers voire être
aggravés, malgré ou à cause des folles dépenses que vont engendrer le
fonctionnement de cette chambre : la corruption, le chômage des jeunes, le
tribalisme, les détournements de deniers publics, l’absence d’alternance au
sommet de l’état, le contrôle du législatif et du judiciaire par l’exécutif,
j’en passe et des meilleurs ; combien de jeunes en quête d’emploi, le
traitement d’un Sénateur peut-il permettre de prendre en charge ?
Que font les monarques traditionnels dans les listes d’un
parti ? Et quel parti ? Ils devraient rester politiquement neutres.
Si au moins ils écoutaient leurs peuples, ils sauraient qu’ils rament ainsi à
contre courant ; le régime veut ainsi profiter de leurs positions pour
gagner les faveurs des peuples ; mais que les élections soient
véritablement transparentes et on verra.
Le Sénat qui est l’une des inventions pour nous divertir, et
détourner l’attention de vrais problèmes de la Nation dont M. Biya a le secret,
ne sera donc qu’un nouvel organe budgétivore qui permettra au régime de mieux
contrôler ses courtisans, et qui n’apportera véritablement rien de neuf, si ce
n’est d’alourdir inutilement les procédures (cf art 30 de la Constitution), et
c’est encore le Cameroun qui va en pâtir.
Et les autres organes prévus par la Constitution de Janvier
1996 ? Le Conseil Constitutionnel (art 47), la Haute Cour de Justice (art
53), le Conseils régionaux et leurs Présidents respectifs (art 57), la déclaration des biens (art 66), personne
ne peut dire quand ils verront le jour ; la mise en place du Sénat ne
répond donc pas au souci de rendre opérationnels les institutions prévues par notre loi
fondamentale. Seul M. Biya décidera en fonction de ses calculs et de ses
intérêts propres ; c’est pour cela que le Cameroun est le seul pays au
Monde avec deux Constitutions.
180313
Jean-Claude
TCHASSE
PLEG Hors
Échelle
Bafoussam
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