Ainsi s’est exprimé le candidat du Mrc mercredi, pour mettre un
terme aux plaidoiries de ses conseil devant les 11 magistrats du Conseil
constitutionnel. L’intégralité de son propos.
Monsieur le président du jury,
Monsieur le président du jury,
Honorables membres du conseil constitutionnel,
Mon nom est Kamto Maurice. Je suis né le 15 février 1954 à
Bafoussam. Bafoussam indique un lieu géographique au Cameroun. Suivant notre
nomenclature ethnique au Cameroun, je suis Bamiléké. Mais je me suis toujours
considéré comme camerounais avant toute chose. D’abord en raison de mon
itinéraire personnel parce qu’après avoir commencé mes études primaires et
secondaires à Bafoussam, je les ai poursuivies à Douala. J’ai poursuivi mes
études universitaires à Yaoundé. J’ai forgé tout au long de ce parcours, des
amitiés solides venant d’autres régions du Cameroun et ces liens sont demeurés
à ce jour. J’ai dans ma propre famille des lignées entières qui vont dans
d’autres régions du Cameroun dont je n’ai nul besoin de les citer ici.
Certains auraient voulu que je vienne ici m’excuser de mes
origines ethniques. Que non ! Parce que je pose depuis plusieurs années dans ce
pays : « Qui d’entre nous a choisi de naître là où il est né ? » Il m’est
arrivé durant la campagne de dire « dites-le ». Dites-moi au Sud. Si pour être
Bulu il faut passer un concours, dites-moi quel concours alors, je veux le
passer pour devenir moi aussi Bulu.
Non, honorables membres du conseil,
Vous ne devez pas laisser que la pollution qui a enfumé et
intoxiqué des mois durant la période d’avant la campagne et celle pendant la
campagne encore plus postérieure à la campagne, étouffe notre cher et très beau
pays. Je ne vais pas m’excuser d’être camerounais parce que je suis
camerounais.
D’aucuns auraient voulu que je m’excuse d’avoir travaillé comme
ministre de la République avec le président actuel, président sortant, M. Biya
Paul.
Je confirme devant votre conseil que j’ai soutenu ma thèse de
doctorat d’Etat à l’université de Nice un vendredi et le dimanche j’étais à
Yaoundé parce qu’un jeune camerounais de 49 ans venait d’accéder au pouvoir et
je sentais qu’il était de mon devoir de venir lui apporter mon plus grand
soutien.
Je ne vais pas m’excuser d’avoir été ministre de son
gouvernement parce que j’ai donné le meilleur de moi-même là où il m’a placé et
sur les dossiers qu’il a bien voulu me confier.
D’aucuns auraient voulu que je m’excuse d’avoir démissionné de
son gouvernement, d’avoir formé un parti politique et de m’être présenté comme
candidat face à lui. Non, je ne m’en excuserai pas. D’abord, parce qu’en tant
que citoyen de ce pays, j’en ai pleinement le droit mais aussi et surtout parce
je crois très profondément que nous sommes à une phase de l’histoire de notre
pays où il faut que nous ayons le courage de dire qu’il y a un temps pour toute
chose et que si ce président de la République aime comme je le crois son pays,
il doit au fond de lui-même, savoir qu’il a donné le meilleur de lui-même et
qu’il n’a plus grand-chose à offrir à ce pays. Alors, il serait criminel pour ceux
qui entonnent ces cantiques-là de faire croire qu’au Cameroun, il y a une seule
et une seule personne pour conduire la destinée du Cameroun. Ce serait
d’ailleurs dramatique parce qu’alors je me demande le jour où, comme nous tous
il sera rappelé, pour ceux qui croient à Dieu, ce qu’il adviendrait de notre
pays.
Honorables membres du conseil constitutionnel,
Mes conseils vous ont exposé, munis de preuves irréfutables, les
raisons pour lesquelles l’élection présidentielle du 07 octobre dernier doit
être annulée, notamment dans les régions de l’Adamaoua, de l’Est, de
l’Extrême-Nord, du Nord, du Nord-Ouest, du Sud, du Sud-Ouest, ainsi que dans
certaines autres localités.
Au moment où m’échoient l’honneur et le privilège de prendre la
parole devant votre auguste juridiction, je regarde le faste de votre cour et
j’espère contempler, à l’issue de cette audience, le lustre de votre décision.
Mais en même temps, je ne puis m’empêcher de penser aux 25 millions de
nos compatriotes qui, à cet instant même, ont le regard tourné vers le sommet
de cette colline orgueilleuse où vous êtes appelés à écrire une page décisive
de l’histoire nationale.
Honorables membres du conseil constitutionnel, lorsque le 08
octobre dernier, au lendemain du scrutin présidentiel de la veille, j’ai
revendiqué la faveur des urnes, je me fondais sur les résultats sortis des
bureaux de vote.
Dans l’Adamaoua, j’ai gagné dans les arrondissements de Bankim
et de Tignère. Dans la ville de Ngaoundéré, l’abstention était très élevée.
Dans le Centre, j’ai remporté dans quatre des sept
arrondissements que compte la capitale à savoir : Yaoundé 2, Yaoundé 3, Yaoundé
5 et Yaoundé 6.
A l’Est, en dehors de la ville de Bertoua où j’étais en deuxième
position, tous mes représentants étaient chassés des bureaux de vote partout
ailleurs.
Dans l’Extrême-Nord, aux environs de 22h, les informations de
terrain m’avaient donné vainqueur dans les arrondissements de Touloum,
Guidiguis, Moulvoudaye, Dziguilao, dans le Mayo-Kani ; Kalfou, Datcheka, Mvélé,
Kai-Kai, dans le Mayo-Danay. Dans le Diamaré, le Rdpc a décidé de mettre hors
des bureaux de vote, par la force, nombre de nos représentants et jusqu’à
17h30, moins de 20% d’électeurs s’étaient déplacés pour voter. Dans le
Mayo-sava, j’étais en tête après le décompte des voix. Dans le Mayo-Tsanaga,
malgré le fait qu’une bande armée s’est emparée des bureaux de vote pour
bourrer les urnes, des actes contre lesquels plusieurs de mes représentant s
ont été séquestrés à la gendarmerie pour avoir osé protester, je talonnais le candidat
du Rdpc après le dépouillement des votes.
Dans le Littoral, je gagnais largement dans toutes les villes du
département du Mungo, dans la ville de Douala et je venais en troisième
position dans la Sanaga-Maritime.
Dans le Nord, je gagnais largement dans les arrondissements de
Mayo-Oulo, de Demsa et dans celui du Faro-et-Deo.
Dans le Nord-Ouest, il n’y a pas eu d’élections comme mes
avocats l’ont clairement montré.
A l’Ouest, dès 21h, nous avions tous les résultats sauf le
département du Noun où nous gagnions partout avec une très large majorité dans
la Mifi.
Dans le Sud, nous n’avons pu avoir aucun résultat. Tous mes
représentants ayant été exclus des bureaux de vote, pourchassés comme des
criminels, molestés sans aucun recours. Il faudra d’ailleurs qu’un jour on se
penche sur la question du statut du représentant du candidat ou d’un parti dans
les bureaux de vote car voilà des personnes qui sont la clé de vote dans notre
système mais qui ne jouissent d’aucune protection, qui peuvent être jetés
dehors, emprisonnés sans pour autant bénéficier d’aucune protection.
Monsieur le président du conseil constitutionnel,
Honorables membres du conseil,
La victoire et la défaite sont les deux issues possibles d’une
guerre comme le succès et l’échec, celles de toute confrontation ou de toute
compétition. Je n’ai jamais pensé qu’il m’était impossible de perdre l’élection
présidentielle du 07 octobre dernier. Seulement, je me suis efforcé de mettre
toutes les chances de mon côté, allant à la rencontre des populations camerounaises
dans leurs lieux de vie au plus profond du pays. J’ai dû pratiquer souvent les
épreuves des routes impraticables et dangereuses pour les atteindre. J’ai
partagé leur quotidien dans leurs habitations précaires, leur manque d’eau
potable, leur non accès à l’électricité qui plonge leurs vies dans les ténèbres
la nuit venue. Leur misère a bouleversé ma conscience. Partout, je leur ai dit
ce qu’on allait faire ensemble pour mettre un terme à cette situation. Ces
populations ont réalisé que je peux me battre pour elles, souffrir avec elles.
Je me suis promis de ne faire l’économie d’aucune énergie au fond de moi, me
disant que si au soir du 07 octobre je n’étais pas choisi pour être le prochain
président de la République de ce pays, j’aurai néanmoins donné au peuple
camerounais toute ma foi et ma sincérité. Ce peuple m’a compris et m’a donné
majoritairement sa confiance.
Honorables membres du conseil constitutionnel, ceci n’est pas
qu’un contentieux électoral. Il s’agit d’un contentieux historique entre un
Cameroun aplati, qui depuis les origines cherche à se redresser, et le Cameroun
de l’arrogance régnante, méprisante, sûre de son fait. Je tends l’oreille et
j’entends les protestations qui parcourent le pays y compris là où l’on a
imposé aux urnes avec une brutalité sans précédent de dire qu’elles se sont
exprimées à 100% en faveur du candidat Biya Paul. Ceci n’est pas qu’un
contentieux constitutionnel. Il s’agit aussi du contentieux d’un système
électoral que vous ne pouvez pas laisser prospérer encore parce qu’il mène à
coup sûr notre pays tout droit vers la tragédie des règnes sans fin, aveugle
sur leur propre épuisement et sourd au cri de détresse d’un peuple essoré, à la
dignité arrachée qui désespère et qui demande : « Ne sommes-nous pas vos compatriotes
? » Pour la situation de guerre qu’il a laissé s’installer et prospérer dans
les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le candidat président
sortant Biya Paul n’a pas gagné et ne pouvait pas gagner l’élection
présidentielle du 07 octobre dernier dans un tel contexte dans lesdites
régions. Par le tribalisme orchestré par les servies de l’Etat qui instillent
la haine dans les veines de la société camerounaise pour détruire le vivre
ensemble, la cohésion nationale et ultimement, notre Nation si fragile, sans
que ne bronche le candidat président sortant, la preuve est faite que la
volonté du candidat Biya Paul de se maintenir au pouvoir par tous les moyens et
à tous les prix est au-dessus de toute chose y compris du Cameroun même. Car je
ne peux pas comprendre que le président de la République se taise devant ce
déferlement de haine. Où allons-nous avec le repli identitaire ? Parce que ça
fait partie de sa fonction constitutionnelle de garant de l’unité du Cameroun
et n’interpelle personne ni des hautes personnalités de l’Etat qui se livrent à
cet exercice dangereux pour notre pays ni au service de l’Etat qui s’y prête.
Je ne peux pas le comprendre.
On comprend dans ces conditions que l’élection présidentielle du
07 octobre se soit transformée en un piteux spectacle de sauvagerie électorale
où Elecam, les responsables du Rdpc, l’administration, voire la justice et les
forces de sécurité se sont surpassées pour voter à la place des électeurs.
Comme leur besogne n’était pas sans reproche, les informaticiens ont pris la
relève pour se substituer aux urnes et ont réparti les voix et les pourcentages
de vote suivant des prévisions de longue date où il était décidé que le
candidat Biya Paul devra être élu coûte que vaille avec un score supérieur à
70%. Ces données sont dans les lieux publics depuis de longs mois déjà. Je
passe les faux sondages qui se couplent aux faux observateurs de Transparency
International inventé pour la circonstance. Ce pourcentage dévolu au vainqueur
que le Rdpc vous demande de consacrer circule depuis plus d’un an déjà. Jamais
je n’avais imaginé qu’un candidat qui règne sur le pays sans partage depuis
36ans, prendrai le risque de la destruction de notre patrie pour se conserver
au pouvoir. Si telle avait été ma conviction, je n’aurai pas fait acte de
candidature parce que rien n’est plus cher à mes yeux que l’unité, la paix et
le bonheur de notre pays et de notre peuple. Mais puisque cette élection a
montré que jamais le régime en place depuis un demi-siècle n’acceptera que se déroule
dans notre pays le jeu démocratique qui garantit l’alternance pacifique au
pouvoir, il s’impose à moi et j’en suis sûr, à de nombreux autres compatriotes
camerounais, l’impérieux et noble devoir de résistance à la spoliation
perpétuelle de notre liberté et de notre droit légitime au libre choix de nos
dirigeants.
Madame et messieurs les membres du conseil constitutionnel, j’en
appelle à vos consciences de mères et de pères voire de grands parents. Le
moment est venu de donner une chance à nos enfants voire nos petits-enfants, à
la jeunesse camerounaise qui s’est exprimée massivement comme jamais avant lors
de cette élection et qui a exprimé son désir profond d’avoir un président de la
République. Ne tuez pas son rêve en cautionnant les fraudes massives et
barbares, les exactions et les corruptions électorales sans précédent, par
lesquelles on veut étouffer sa voix. Vous pousseriez cette jeunesse à une
plus grande désespérance qui ait toujours de la désolation et du deuil. Le
peuple camerounais est debout et nul ne le privera plus de la liberté pour
laquelle nombre de fils et de filles de ce pays ont donné leurs vies pour que
nous soyons là aujourd’hui debout et que la parole nous soit accordée. Le
peuple camerounais est debout et comme je lui ai déclaré partout où je suis
allé à sa rencontre, jamais je ne le trahirai. Ici et maintenant, je renouvelle
mon engagement à me tenir à ses côtés jusqu’à ce que se lève le jour nouveau
que cette terre de douleur appelle depuis si longtemps.
A ses côtés je me suis engagé pour Manga, Bouba, Ntanga,
Atangana, Njoya, Wamba, Ekoka, Essoka, Ndifor, Agbor, Mbele, Mbezele, Hamadou,
Salifou … Mon combat est un combat est un combat pour le plus petit, ceux qu’on
ne voit jamais, qui souffrent et se taisent et qui doivent maintenant venir à
la lumière. Face à la tragédie qui se déroule dans les régions
anglophones du pays, j’ai proposé inlassablement ce qui demeure à mes yeux la
seule voix de sortie de cette crise, un dialogue sincère et inclusif. L’on m’a
accusé de complicité avec les sécessionnistes.
Tout au long de ma campagne électorale, j’ai tendu la main à
chacun et à tous parce que je fais la politique sans haine aucune ni le
moindre désir de revenge. On m’a craché dessus en m’accusant d’arrogance.
Lorsque sur la base des chiffres sortis des urnes dans les zones du pays où
l’élection s’est déroulée de façon à peu près acceptable le 07 octobre dernier,
j’ai déclaré que j’avais eu la faveur des urnes, on m’a répondu par un discours
de haine, méprisant et menaçant, parfois en me promettant le pire. L’inaptitude
irrémédiable à l’ouverture, au dialogue, au respect d’autrui est
malheureusement inscrite dans le patrimoine génétique de ce régime.
Un écrivain a dit : « Quand vous avez pour seul outil un
marteau, pour vous, tout est un clou et donc votre réflexe est de cogner ».
Mais ne viendra à bout de ma détermination à tenir mon engagement de fidélité
aux camerounais. Le peuple camerounais est mon seul directeur de conscience. Il
est mon seul patron. Il m’a vu à l’œuvre. Quand bien même tout était fait pour
qu’il ne me voie pas et qu’il ne m’entende pas. Il m’a éprouvé de différentes
façons. Il m’a fait l’honneur de m’investir comme son premier choix dans les
urnes le 07 octobre dernier.
Honorables membres du conseil constitutionnel, ceux qui depuis
des années clament, arrogants et méprisants, qu’après Biya ce sera Biya,
fourbissent des armes de guerre dans un complot macabre contre le peuple
camerounais et la Nation camerounaise. N’acceptez pas d’être l’instrument du
passage forcé du candidat président sortant pour un septième mandat. Ce serait
un véritable désastre pour le Cameroun. Vous devez dissipez les nuages qui
s’amoncellent à l’horizon de notre pays en prenant le courage de rendre la
seule décision qui s’impose au regard des actes et comportements qui ont
entaché irrémédiablement le scrutin du 07 octobre dans de nombreuses
circonscriptions administratives du pays, et notamment dans les 07 régions
visées dans notre requête. A l’heure de votre verdict, la victoire sera celle
de la justice qui apaise la victoire ; celle de votre haute et précieuse
juridiction qui aura fait montre de courage, d’indépendance et de patriotisme ;
celle du peuple camerounais ultimement, peuple camerounais espérant qui aura
été récompensé dans sa patience.
Je ne demande qu’une chose, que la volonté de ce peuple qui n’a
pas accordé son choix majoritaire au président sortant soit respectée et que le
candidat qu’il a investi de confiance pour assumer les fonctions de président
de la République pour le mandat qui va s’inaugurer bientôt soit établi dans sa
victoire par le conseil constitutionnel et ce sera justice.
Je vous remercie.
Madame et messieurs les différents membres du conseil
constitutionnel, permettez-moi de dire que nous souhaiterions que nous gardions
une certaine tenue à ce débat. Ce qui est en jeu ici est suffisamment important
et grave pour que nous nous permettions d’accepter qu’il y ait une dissipation
due à la gesticulation et de véhémence. Il n’est pas digne qu’un confrère
traite l’autre de non-sens. On peut être en désaccord, on doit les exprimer
dignement devant vous. C’est à vous seuls d’apprécier. Vous avez dit une chose
importante, monsieur le président, les moyens et la preuve. Deux choses
différentes en droit.
Les moyens sont les articulations juridiques sur la base
desquelles on fait une contestation ou une proclamation. La preuve ce sont les
éléments factuels que l’on apporte au soutien des moyens. Ces éléments peuvent
être apportés à tout moment. Lorsque le rapporteur a présenté son rapport, il a
effectivement évoqué le fait que, sur tel ou tel autre point, il n’y avait pas
d’éléments de preuves. Il nous revient et il n’y a aucune limitation dans le
temps quant au moment où l’on produit des éléments de preuve au soutien d’un
moyen juridique. Je ne sais pas qui le fait le plus souvent mais, dans les
conditions où nous étions en train de prouver à votre conseil que les élections
ne se sont pas déroulées régulièrement dans les régions concernées. Si vous le
permettez M. le président, et sans préjudice du droit de la partie adverse
quand vous lui donnerez la parole, de faire valoir son point de vue, nous
souhaiterions, par rapport à la question soulevée par Me Simh au départ, si
votre conseil le veut bien, qu’il réponde et en tout état de cause, que l’on
laisse la poursuite de cette procédure et nous permette effectivement de vous
montrer en quoi les élections ne sont pas passées régulièrement dans les
régions concernées.