vendredi 26 octobre 2018

Communication du Pr Kamto devant le Conseil constitutionnel.

Communication du Pr Kamto devant le Conseil constitutionnel.
Ainsi s’est exprimé le candidat du Mrc mercredi, pour mettre un terme aux plaidoiries de ses conseil devant les 11 magistrats du Conseil constitutionnel. L’intégralité de son propos.
Monsieur le président du jury,
Honorables membres du conseil constitutionnel,
Mon nom est Kamto Maurice. Je suis né le 15 février 1954 à Bafoussam. Bafoussam indique un lieu géographique au Cameroun. Suivant notre nomenclature ethnique au Cameroun, je suis Bamiléké. Mais je me suis toujours considéré comme camerounais avant toute chose. D’abord en raison de mon itinéraire personnel parce qu’après avoir commencé mes études primaires et secondaires à Bafoussam, je les ai poursuivies à Douala. J’ai poursuivi mes études universitaires à Yaoundé. J’ai forgé tout au long de ce parcours, des amitiés solides venant d’autres régions du Cameroun et ces liens sont demeurés à ce jour. J’ai dans ma propre famille des lignées entières qui vont dans d’autres régions du Cameroun dont je n’ai nul besoin de les citer ici.
Certains auraient voulu que je vienne ici m’excuser de mes origines ethniques. Que non ! Parce que je pose depuis plusieurs années dans ce pays : « Qui d’entre nous a choisi de naître là où il est né ? » Il m’est arrivé durant la campagne de dire « dites-le ». Dites-moi au Sud. Si pour être Bulu il faut passer un concours, dites-moi quel concours alors, je veux le passer pour devenir moi aussi Bulu.
Non, honorables membres du conseil,
Vous ne devez pas laisser que la pollution qui a enfumé et intoxiqué des mois durant la période d’avant la campagne et celle pendant la campagne encore plus postérieure à la campagne, étouffe notre cher et très beau pays. Je ne vais pas m’excuser d’être camerounais parce que je suis camerounais.
D’aucuns auraient voulu que je m’excuse d’avoir travaillé comme ministre de la République avec le président actuel, président sortant, M. Biya Paul.
Je confirme devant votre conseil que j’ai soutenu ma thèse de doctorat d’Etat à l’université de Nice un vendredi et le dimanche j’étais à Yaoundé parce qu’un jeune camerounais de 49 ans venait d’accéder au pouvoir et je sentais qu’il était de mon devoir de venir lui apporter mon plus grand soutien.
Je ne vais pas m’excuser d’avoir été ministre de son gouvernement parce que j’ai donné le meilleur de moi-même là où il m’a placé et sur les dossiers qu’il a bien voulu me confier.
D’aucuns auraient voulu que je m’excuse d’avoir démissionné de son gouvernement, d’avoir formé un parti politique et de m’être présenté comme candidat face à lui. Non, je ne m’en excuserai pas. D’abord, parce qu’en tant que citoyen de ce pays, j’en ai pleinement le droit mais aussi et surtout parce je crois très profondément que nous sommes à une phase de l’histoire de notre pays où il faut que nous ayons le courage de dire qu’il y a un temps pour toute chose et que si ce président de la République aime comme je le crois son pays, il doit au fond de lui-même, savoir qu’il a donné le meilleur de lui-même et qu’il n’a plus grand-chose à offrir à ce pays. Alors, il serait criminel pour ceux qui entonnent ces cantiques-là de faire croire qu’au Cameroun, il y a une seule et une seule personne pour conduire la destinée du Cameroun. Ce serait d’ailleurs dramatique parce qu’alors je me demande le jour où, comme nous tous il sera rappelé, pour ceux qui croient à Dieu, ce qu’il adviendrait de notre pays.
Honorables membres du conseil constitutionnel,
Mes conseils vous ont exposé, munis de preuves irréfutables, les raisons pour lesquelles l’élection présidentielle du 07 octobre dernier doit être annulée, notamment dans les régions de l’Adamaoua, de l’Est, de l’Extrême-Nord, du Nord, du Nord-Ouest, du Sud, du Sud-Ouest, ainsi que dans certaines autres localités.
Au moment où m’échoient l’honneur et le privilège de prendre la parole devant votre auguste juridiction, je regarde le faste de votre cour et j’espère contempler, à l’issue de cette audience, le lustre de votre décision. Mais en même temps, je ne puis m’empêcher de  penser aux 25 millions de nos compatriotes qui, à cet instant même, ont le regard tourné vers le sommet de cette colline orgueilleuse où vous êtes appelés à écrire une page décisive de l’histoire nationale.
Honorables membres du conseil constitutionnel, lorsque le 08 octobre dernier, au lendemain du scrutin présidentiel de la veille, j’ai revendiqué la faveur des urnes, je me fondais sur les résultats sortis des bureaux de vote.
Dans l’Adamaoua, j’ai gagné dans les arrondissements de Bankim et de Tignère. Dans la ville de Ngaoundéré, l’abstention était très élevée.
Dans le Centre, j’ai remporté dans quatre des sept arrondissements que compte la capitale à savoir : Yaoundé 2, Yaoundé 3, Yaoundé 5 et Yaoundé 6.
A l’Est, en dehors de la ville de Bertoua où j’étais en deuxième position, tous mes représentants étaient chassés des bureaux de vote partout ailleurs.
Dans l’Extrême-Nord, aux environs de 22h, les informations de terrain m’avaient donné vainqueur dans les arrondissements de Touloum, Guidiguis, Moulvoudaye, Dziguilao, dans le Mayo-Kani ; Kalfou, Datcheka, Mvélé, Kai-Kai, dans le Mayo-Danay. Dans le Diamaré, le Rdpc a décidé de mettre hors des bureaux de vote, par la force, nombre de nos représentants et jusqu’à 17h30, moins de 20% d’électeurs s’étaient déplacés pour voter. Dans le Mayo-sava, j’étais en tête après le décompte des voix. Dans le Mayo-Tsanaga, malgré le fait qu’une bande armée s’est emparée des bureaux de vote pour bourrer les urnes, des actes contre lesquels plusieurs de mes représentant s ont été séquestrés à la gendarmerie pour avoir osé protester, je talonnais le candidat du Rdpc après le dépouillement des votes.
Dans le Littoral, je gagnais largement dans toutes les villes du département du Mungo, dans la ville de Douala et je venais en troisième position dans la Sanaga-Maritime.
Dans le Nord, je gagnais largement dans les arrondissements de Mayo-Oulo, de Demsa et dans celui du Faro-et-Deo.
Dans le Nord-Ouest, il n’y a pas eu d’élections comme mes avocats l’ont clairement montré.
A l’Ouest, dès 21h, nous avions tous les résultats sauf le département du Noun où nous gagnions partout avec une très large majorité dans la Mifi.
Dans le Sud, nous n’avons pu avoir aucun résultat. Tous mes représentants ayant été exclus des bureaux de vote, pourchassés comme des criminels, molestés sans aucun recours. Il faudra d’ailleurs qu’un jour on se penche sur la question du statut du représentant du candidat ou d’un parti dans les bureaux de vote car voilà des personnes qui sont la clé de vote dans notre système mais qui ne jouissent d’aucune protection, qui peuvent être jetés dehors, emprisonnés sans pour autant bénéficier d’aucune protection.
Monsieur le président du conseil constitutionnel,
Honorables membres du conseil,
La victoire et la défaite sont les deux issues possibles d’une guerre comme le succès et l’échec, celles de toute confrontation ou de toute compétition. Je n’ai jamais pensé qu’il m’était impossible de perdre l’élection présidentielle du 07 octobre dernier. Seulement, je me suis efforcé de mettre toutes les chances de mon côté, allant à la rencontre des populations camerounaises dans leurs lieux de vie au plus profond du pays. J’ai dû pratiquer souvent les épreuves des routes impraticables et dangereuses pour les atteindre. J’ai partagé leur quotidien dans leurs habitations précaires, leur manque d’eau potable, leur non accès à l’électricité qui plonge leurs vies dans les ténèbres la nuit venue. Leur misère a bouleversé ma conscience. Partout, je leur ai dit ce qu’on allait faire ensemble pour mettre un terme à cette situation. Ces populations ont réalisé que je peux me battre pour elles, souffrir avec elles. Je me suis promis de ne faire l’économie d’aucune énergie au fond de moi, me disant que si au soir du 07 octobre je n’étais pas choisi pour être le prochain président de la République de ce pays, j’aurai néanmoins donné au peuple camerounais toute ma foi et ma sincérité. Ce peuple m’a compris et m’a donné majoritairement sa confiance.
Honorables membres du conseil constitutionnel, ceci n’est pas qu’un contentieux électoral. Il s’agit d’un contentieux historique entre un Cameroun aplati, qui depuis les origines cherche à se redresser, et le Cameroun de l’arrogance régnante, méprisante, sûre de son fait. Je tends l’oreille et j’entends les protestations qui parcourent le pays y compris là où l’on a imposé aux urnes avec une brutalité sans précédent de dire qu’elles se sont exprimées à 100% en faveur du candidat Biya Paul. Ceci n’est pas qu’un contentieux constitutionnel. Il s’agit aussi du contentieux d’un système électoral que vous ne pouvez pas laisser prospérer encore parce qu’il mène à coup sûr notre pays tout droit vers la tragédie des règnes sans fin, aveugle sur leur propre épuisement et sourd au cri de détresse d’un peuple essoré, à la dignité arrachée qui désespère et qui demande : « Ne sommes-nous pas vos compatriotes ? » Pour la situation de guerre qu’il a laissé s’installer et prospérer dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le candidat président sortant Biya Paul n’a pas gagné et ne pouvait pas gagner l’élection présidentielle du 07 octobre dernier dans un tel contexte dans lesdites régions. Par le tribalisme orchestré par les servies de l’Etat qui instillent la haine dans les veines de la société camerounaise pour détruire le vivre ensemble, la cohésion nationale et ultimement, notre Nation si fragile, sans que ne bronche le candidat président sortant, la preuve est faite que la volonté du candidat Biya Paul de se maintenir au pouvoir par tous les moyens et à tous les prix est au-dessus de toute chose y compris du Cameroun même. Car je ne peux pas comprendre que le président de la République se taise devant ce déferlement de haine. Où allons-nous avec le repli identitaire ? Parce que ça fait partie de sa fonction constitutionnelle de garant de l’unité du Cameroun et n’interpelle personne ni des hautes personnalités de l’Etat qui se livrent à cet exercice dangereux pour notre pays ni au service de l’Etat qui s’y prête. Je ne peux pas le comprendre.
On comprend dans ces conditions que l’élection présidentielle du 07 octobre se soit transformée en un piteux spectacle de sauvagerie électorale où Elecam, les responsables du Rdpc, l’administration, voire la justice et les forces de sécurité se sont surpassées pour voter à la place des électeurs. Comme leur besogne n’était pas sans reproche, les informaticiens ont pris la relève pour se substituer aux urnes et ont réparti les voix et les pourcentages de vote suivant des prévisions de longue date où il était décidé que le candidat Biya Paul devra être élu coûte que vaille avec un score supérieur à 70%. Ces données sont dans les lieux publics depuis de longs mois déjà. Je passe les faux sondages qui se couplent aux faux observateurs de Transparency International inventé pour la circonstance. Ce pourcentage dévolu au vainqueur que le Rdpc vous demande de consacrer circule depuis plus d’un an déjà. Jamais je n’avais imaginé qu’un candidat qui règne sur le pays sans partage depuis 36ans, prendrai le risque de la destruction de notre patrie pour se conserver au pouvoir. Si telle avait été ma conviction, je n’aurai pas fait acte de candidature parce que rien n’est plus cher à mes yeux que l’unité, la paix et le bonheur de notre pays et de notre peuple. Mais puisque cette élection a montré que jamais le régime en place depuis un demi-siècle n’acceptera que se déroule dans notre pays le jeu démocratique qui garantit l’alternance pacifique au pouvoir, il s’impose à moi et j’en suis sûr, à de nombreux autres compatriotes camerounais, l’impérieux et noble devoir de résistance à la spoliation perpétuelle de notre liberté et de notre droit légitime au libre choix de nos dirigeants.
Madame et messieurs les membres du conseil constitutionnel, j’en appelle à vos consciences de mères et de pères voire de grands parents. Le moment est venu de donner une chance à nos enfants voire nos petits-enfants, à la jeunesse camerounaise qui s’est exprimée massivement comme jamais avant lors de cette élection et qui a exprimé son désir profond d’avoir un président de la République. Ne tuez pas son rêve en cautionnant les fraudes massives et barbares, les exactions et les corruptions électorales sans précédent, par lesquelles on veut étouffer sa voix.  Vous pousseriez cette jeunesse à une plus grande désespérance qui ait toujours de la désolation et du deuil. Le peuple camerounais est debout et nul ne le privera plus de la liberté pour laquelle nombre de fils et de filles de ce pays ont donné leurs vies pour que nous soyons là aujourd’hui debout et que la parole nous soit accordée. Le peuple camerounais est debout et comme je lui ai déclaré partout où je suis allé à sa rencontre, jamais je ne le trahirai. Ici et maintenant, je renouvelle mon engagement à me tenir à ses côtés jusqu’à ce que se lève le jour nouveau que cette terre de douleur appelle depuis si longtemps.
A ses côtés je me suis engagé pour Manga, Bouba, Ntanga, Atangana, Njoya, Wamba, Ekoka, Essoka, Ndifor, Agbor, Mbele, Mbezele, Hamadou, Salifou … Mon combat est un combat est un combat pour le plus petit, ceux qu’on ne voit jamais, qui souffrent et se taisent et qui doivent maintenant venir à la  lumière. Face à la tragédie qui se déroule dans les régions anglophones du pays, j’ai proposé inlassablement ce qui demeure à mes yeux la seule voix de sortie de cette crise, un dialogue sincère et inclusif. L’on m’a accusé de complicité avec les sécessionnistes.
Tout au long de ma campagne électorale, j’ai tendu la main à chacun et à tous parce que je fais la politique  sans haine aucune ni le moindre désir de revenge. On m’a craché dessus en m’accusant d’arrogance. Lorsque sur la base des chiffres sortis des urnes dans les zones du pays où l’élection s’est déroulée de façon à peu près acceptable le 07 octobre dernier, j’ai déclaré que j’avais eu la faveur des urnes, on m’a répondu par un discours de haine, méprisant et menaçant, parfois en me promettant le pire. L’inaptitude irrémédiable à l’ouverture, au dialogue, au respect d’autrui est malheureusement inscrite dans le patrimoine génétique de ce régime.
Un écrivain a dit : « Quand vous avez pour seul outil un marteau, pour vous, tout est un clou et donc votre réflexe est de cogner ». Mais ne viendra à bout de ma détermination à tenir mon engagement de fidélité aux camerounais. Le peuple camerounais est mon seul directeur de conscience. Il est mon seul patron. Il m’a vu à l’œuvre. Quand bien même tout était fait pour qu’il ne me voie pas et qu’il ne m’entende pas. Il m’a éprouvé de différentes façons. Il m’a fait l’honneur de m’investir comme son premier choix dans les urnes le 07 octobre dernier.
Honorables membres du conseil constitutionnel, ceux qui depuis des années clament, arrogants et méprisants,  qu’après Biya ce sera Biya, fourbissent des armes de guerre dans un complot macabre contre le peuple camerounais et la Nation camerounaise. N’acceptez pas d’être l’instrument du passage forcé du candidat président sortant pour un septième mandat. Ce serait un véritable désastre pour le Cameroun. Vous devez dissipez les nuages qui s’amoncellent à l’horizon de notre pays en prenant le courage de rendre la seule décision qui s’impose au regard des actes et comportements qui ont entaché irrémédiablement le scrutin du 07 octobre dans de nombreuses circonscriptions administratives du pays, et notamment dans les 07 régions visées dans notre requête. A l’heure de votre verdict, la victoire sera celle de la justice qui apaise la victoire ; celle de votre haute et précieuse juridiction qui aura fait montre de courage, d’indépendance et de patriotisme ; celle du peuple camerounais ultimement, peuple camerounais espérant qui aura été récompensé dans sa patience.
Je ne demande qu’une chose, que la volonté de ce peuple qui n’a pas accordé son choix majoritaire au président sortant soit respectée et que le candidat qu’il a investi de confiance pour assumer les fonctions de président de la République pour le mandat qui va s’inaugurer bientôt soit établi dans sa victoire par le conseil constitutionnel et ce sera justice.
Je vous remercie.
Madame et messieurs les différents membres du conseil constitutionnel, permettez-moi de dire que nous souhaiterions que nous gardions une certaine tenue à ce débat. Ce qui est en jeu ici est suffisamment important et grave pour que nous nous permettions d’accepter qu’il y ait une dissipation due à la gesticulation et de véhémence. Il n’est pas digne qu’un confrère traite l’autre de non-sens. On peut être en désaccord, on doit les exprimer dignement devant vous. C’est à vous seuls d’apprécier. Vous avez dit une chose importante, monsieur le président, les moyens et la preuve. Deux choses différentes en droit.
Les moyens sont les articulations juridiques sur la base desquelles on fait une contestation ou une proclamation. La preuve ce sont les éléments factuels que l’on apporte au soutien des moyens. Ces éléments peuvent être apportés à tout moment. Lorsque le rapporteur a présenté son rapport, il a effectivement évoqué le fait que, sur tel ou tel autre point, il n’y avait pas d’éléments de preuves. Il nous revient et il n’y a aucune limitation dans le temps quant au moment où l’on produit des éléments de preuve au soutien d’un moyen juridique. Je ne sais pas qui le fait le plus souvent mais, dans les conditions où nous étions en train de prouver à votre conseil que les élections ne se sont pas déroulées régulièrement dans les régions concernées. Si vous le permettez M. le président, et sans préjudice du droit de la partie adverse quand vous lui donnerez la parole, de faire valoir son point de vue, nous souhaiterions, par rapport à la question soulevée par Me Simh au départ, si votre conseil le veut bien, qu’il réponde et en tout état de cause, que l’on laisse la poursuite de cette procédure et nous permette effectivement de vous montrer en quoi les élections ne sont pas passées régulièrement dans les régions concernées.


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