DÉCOLONISATION MANQUÉE
DU RÉGIME DE TUTELLE A UNE INDÉPENDANCE FACTICE : LA DÉCOLONISATION MANQUÉE
Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, la France, puissance tutélaire avait du
régime de tutelle une conception bien particulière pas tout à fait conforme à
la charte des Nations Unies. Celle- ci dispose en effet, en son article 76 : «
… les fins essentielles du régime de tutelle sont les suivantes :
A-Affermir la paix et la sécurité internationale.
B-Favoriser le progrès politique, économique et sociale des Populations des
territoires sous tutelle ainsi que le développement de leur instruction,
favoriser également leur évolution progressive vers la capacité à s’administrer
eux même ou l’indépendance compte tenu des conditions particulières à chaque
territoire et à ses populations, des aspirations librement exprimées des
populations intéressées et des dispositions qui pourront être prévues dans
chaque accord de tutelle ;
C – Encourager le respect des droits de l’homme et des Libertés fondamentales
pour tous, sans distinctions de races, de sexe, de langue ou de religion, et de
développer le sentiment d’interdépendance des peuples du monde.
… »
Or la possession par la France s’explique par un seul souci : Faire main basse
sur les richesses dont la plus part d’entre elles regorgeaient. Ce souci a été
accentué par la deuxième guerre mondiale qui a laissé exsangue les pays
européens. Et plan MARSHALL mis sur pied par les Américains pour leur venir en
aide ne suffisait pas à combler leurs besoins en ressources. C’est pour cela
que l’émergence de mouvements nationalistes a été très mal perçue par les
colonisateurs. L’Union des Populations du Cameroun (UPC) créee le 10 avril 1948
a eu maille à partir avec l’administration coloniale dès sa naissance. Celle-ci
à multiplié des entraves au développement et à l’implantation de ce parti, qui
dès sa création réclamait l’indépendance et l’unification du Cameroun. Une
telle orientation nationaliste n’a pas laissé insensible les populations qui
ont adhéré en masse au parti, qui était du reste le premier à être créé à cette
époque-là.
« 1951 : le Dr Louis Paul Aujoulat, alors député et Secrétaire d’Etat à la
France D’outre – mer décide de créer un mouvement politique pour limiter la
prépondérance de plus en plus grande de l’UPC, créée trois ans plus tôt et
s’opposer à elle. Il choisit comme champ d’action le région de Nyong et Sanaga
qu’il connaissait très bien et où il recruta ses premiers adeptes. » P.26.
Parmi les privilèges dont bénéficiait A.M. Mbida au sein du Bloc Démocratique
Camerounais de Louis Paul Aujoulat, on comptait l’appui total que
l’Administration coloniale et l’Eglise catholique accordaient au BDC. Pour
l’administration coloniale en effet, le BDC constituait une solution de
rechange dans l’évolution politique du Cameroun par rapport à l’UPC. On peut
même dire que c’est le gouvernement français qui avait inspiré la création de
ce mouvement politique compte tenu du fait que le Dr Aujoulat, son fondateur,
était Secrétaire d’Etat à la France d’Outre – mer depuis janvier 1950. » J.M.
Zang Atangana ; Les forces politiques au Cameroun unifié T.1 P.277, cité par
Daniel ABWA in A.M.Mbida Premier Premier ministre camerounais PP 30,31.
L’Evolution Sociale Camerounaise (ESOCAM), parti suscité en 1949 pour s’opposer
à l’UPC a échoué dans sa mission. Le Bloc Démocratique Camerounais (BDC) de
Louis Paul AUJOULAT, qui bénéficiait des faveurs d’une administration qui ne
s’est pas de fait de scrupules pour se départir de la neutralité et de
l’impartialité qu’elle était censée observer a été fondé en 1951 avec les mêmes
motivations qui ont abouti à la création d’ESOCAM. Ce parti représentait
certainement l’opposition politique à l’UPC la mieux organisée.
C’est à l’occasion des élections de 1951 que l’Administration coloniale
introduit la gangrène qui mine le Cameroun jusqu’aujourd’hui : la fraude
électorale. Les candidats de l’UPC sont systématiquement éliminés. Les
résultats truqués de ces élections n’entament en rien la vitalité du parti
nationaliste qui continue d’envoyer les pétitions et même son Secrétaire
Général, Ruben Um Nyobé au siège des Nation Unies à New – York.
Dépassé par les événements, Roland Pré, le Haut commissaire français au
Cameroun finit par décréter le 13 juillet 1955 la dissolution de l’UPC. Le
mouvement nationaliste est ainsi contraint de gagner le maquis.
En poussant ainsi à la clandestinité, le seul parti politique sérieux et
nationaliste de l’époque, l’administration donnait la preuve de ses mauvaises
intentions. Et de fait la dissolution de l’UPC créait un vide qu’aucun autre
parti ne pouvait combler. Le crime de l’UPC était d’avoir réclamé très tôt
l’indépendance qui pourtant l’un des objectifs avoués du régime de tutelle.
Alors pourquoi ce parti a t-il d’abord été combattu ; accusé de tous les maux
avant d’être dissout ?
L’hostilité de Pierre MESSMER, Haut Commissaire de la république française au
Cameroun entre 1956 et 1958 est encore vivace ; plus de 50 ans après, on peut
lire dans les extraits de son livre : « les blancs s’en vont. Récit de la
décolonisation » publié en 1998, reproduits dans le Messager n°823 du 05
octobre 1998 :
«Contrairement à d’autres territoires francophones où le RDA devient bientôt le
premier parti politique, au Cameroun, l’UPC va échouer. Elle peut réunir des
manifestants, déclencher des grèves, pousser à des affrontements sanglants,
mais elle n’a pas d’élus. Comme toujours, on imputera cet échec aux manœuvres
de l’administration coloniale, à l’habilité du haut commissaire Soucadaux à la
brutalité de son successeur Roland Pré ». Pour Pierre MESSMER qui a succédé à
Roland Pré, il était tout à fait normal qu’un parti de l’envergure de l’UPC
n’ait pas d’élus. L’échiquier politique de l’époque ne comptait pas de parti
pouvant sérieusement rivaliser avec l’UPC ; et ce parti était implanté dans les
zones à forte population du croissant fertile : Alors pourquoi l’UPC
n’avait-elle pas d’élus ? Pierre MESSMER qui récuse la fraude électorale et les
manœuvres de l’administration coloniale nous la donne : Le tribalisme. Selon
lui en effet : « la vérité est simple. L’UPC a été impuissant devant le
tribalisme. Le Nord musulman, dominé politiquement par les chefs traditionnels
est imperméable à l’influence upéciste, sudiste, communiste, combattue par
l’administration. Au Sud, en dehors de Douala et des pays Bassa tout proche,
l’UPC s’est heurté à des barrages presque partout. Les Bulus les Ewondos élisent
leurs hommes, pas ceux de UM NYOBE. Même dans le pays bamiléké ou l’UPC recrute
une grande partie de ses cadres, les chefs traditionnels sont assez forts pour
lui résister. » Remarquer l’importance démesurée accordée au facteur tribal et
le recours excessif quazi - pathologique aux poncifs : Nord musulman (ce qui
est à vérifier, les kirdis non musulmans que l’on retrouve dans les zones à
forte concentration sont probablement les plus nombreux ), Sud chrétien, UPC
parti communiste, réservé aux ressortissants de l’ethnie de UM NYOBE, les
Bassa. Et on veut nous faire croire qu’il existait entre ces populations des
closions si étanches que même le programme nationaliste de l’UPC ne pouvait
réussir à les unir. Aux chefs traditionnels, Pierre MESSMER accorde une
importance démesurée ; En fait ces explications de MESSMER manquent
d’originalité et trahissent l’état d’esprit et la stratégie du blanc pour
exploiter l’Afrique.
Ladite stratégie est exprimée par Maréchal LYAUTEY : « S’il y a des mœurs et
des coutumes, il y a aussi des haines et rivalités qu’il faut démêler et
utiliser à notre profit, en opposant les uns aux autres, en nous appuyant sur
les unes pour mieux vaincre les autres. » Cité par Daniel TESSUE, Polémique
autour du problème Bamiléké dans La Nouvelle Expression du 11/07/95. Il y a
ensuite : « La stratégie du maillon le plus fort. » Et, « la chasse aux leaders
» utilisées par le pouvoir colonial et dont parle M. FOGUI Jean Pierre « Cette
stratégie consiste à phagocyter les ‘’autorités traditionnelles’’ et les
‘’notables’’ qui sont intégrés dans les structures du système politique
central. Il s’agit en l’occurrence de s’attirer d’abord le soutien des
autorités traditionnelles et au besoin des notables locaux, pour qu’ils
apportent avec eux en blocs leur clientèle.
En cela, le pouvoir colonial ne faisait que suivre cette « realpolitiks » qu’en
1913, MEUNIER exprimait en ces termes : « ce
n’est point en effet aux masses des populations que l’on peut d’abord amener à
admettre le colonisateur-gouvernement, mais à ceux qui la commandent. »
Nguemegne Jean Philibert, le Ministre camerounais de la IVè République, plus
servant que Seigneur, in Juridis Périodique n°36, octobre, novembre, décembre
1998. On comprend donc l’importance accordée par les colonisateurs aux Chefs
traditionnels. C’est ainsi que Djoumessi Mathias, chef Foréké à Dschang, élu
Premier Président de l’UPC au Premier congrès de ce parti tenu à Dschang le 13
avril 1950, en a été débauché par toutes sortes de manœuvres.
L’explication des problèmes africains par le tribalisme participe d’un discours
que l’on veut nous inculquer et selon lequel les africains sont de grands
enfants incapables de se prendre en charge. Sans le blanc, l’Afrique serait
réduite à un vaste champ d’affrontements ethniques.
L’UPC a commis le crime impardonnable de ne pas correspondre tout à fait à
l’image que les colonisateurs voulaient donner du noir. Ce parti ne rentrait
pas dans le moule qu’on lui avait préparé. Alors il fallait le détruire, et
c’était d’autant plus urgent que ce parti donnait la preuve que la présence
coloniale française ne se justifiait pas. L’UPC donnait la preuve que les noirs
étaient capables de s’auto administrer, de gérer leur indépendance, avec
bonheur.
L’administration coloniale a donc jeté son dévolu sur des personnages sans
ambition nationale, sans programme, sans envergure, qu’elle devait façonner à
sa guise. Et c’est à partir de là que les dés ont été pipés ; le jeu a été
faussé, et les populations n’ont plus jamais eu la possibilité ni de
s’exprimer, ni de faire prendre en compte leurs aspirations. Pendant que des «
élus », cooptés sur des bases très contestables et conscients de devoir leur
promotion, non pas à leur mérite personnel, mais à la seule volonté de
l’administration coloniale, se mettaient résolument au service d’intérêts
étrangers.
Le passage du Cameroun du statut de territoire sous tutelle à celui d’état sous
tutelle s’est fait en avril 1957, alors que les élections pour la nouvelle
Assemblée Territoriale Camerounaise (ATCAM), venaient d’avoir lieu. Ce changement
de statut aurait dû justifier la dissolution de l’ATCAM, mais il n’en a rien
été. La population aurait dû être associée, mais tout s’est décidé à Paris. Il
y a eu un simple changement de nom de l’Assemblée, qui est devenue l’Assemblée
Législative du Cameroun (ALCAM). La seule force politique vraiment
représentative avait été mise hors jeu par la France depuis juillet 1955. Le
changement de statut aurait dû précéder les élections. Que les électeurs
sachent qui ils élisaient, en termes notamment de compétence. Quoi de commun
entre une assemblée législative, dotée, comme son nom l’indique, d’un pouvoir
législatif, pouvant légiférer, et une simple assemblée territoriale ?
Le Cameroun étant devenu un état, il lui fallait un gouvernement, et c’est à
partir des élus du 23 décembre 1956 que ce Gouvernement fut constitué. La
supercherie se situe à ce niveau. Les électeurs ne se doutaient pas que parmi
les élus seraient plus tard choisis des membres d’un futur Gouvernement. Les
groupes représentés à l’ALCAM étaient les suivants :
·
«
le groupe des huit » de la tendance Mouvement d’Action Nationale, animée par le
tandem Soppo – Assalé,
·
le
« groupe des démocrates » avec 21 membres conduits par A.M.Mbida,
·
le
« groupe des paysans indépendants » de tendance régionaliste, comprenant neuf
conseillers d’origine Bamiléké sous la direction de Djoumessi Mathias, le «
groupe de l’Union Camerounaise », regroupant les « élus » du Nord, conduit par
Ahmadou Ahidjo. Opt. Cit.P.62.
Le premier Premier ministre fut André
Marie Mbida, mais il fut aussitôt déposé, ne donnant pas satisfaction à ses
parrains français. Le Haut Commissaire Jean Ramadier fut spécialement envoyé
pour le déposer et le remplacer par Ahmadou Ahidjo que l’on préparait depuis
longtemps pour la tâche. Le choix porté sur Ahmadou Ahidjo pour succéder à
André Marie Mbida comme Premier ministre du Cameroun autonome n’était pas
fortuit. Il était certes le Vice- Premier ministre et Ministre de l’Intérieur
du Gouvernement Mbida. En effet, selon Guy Georgy, ancien Ambassadeur de
France, qui fut Chef de Région du Nord Cameroun entre 1951 et 1955, « il
(Ahidjo) rêvait de devenir patron des PTT dans sa région et peut-être même du
pays, mais il ne voulait surtout pas faire de politique. Mais moi, je l’avais
tellement poussé à en faire qu’il m’en a voulu et longtemps. Je l’avais fait élire délégué à l’Assemblée
Territoriale du Cameroun. On avait quasiment fait voter pour lui, en
mettant des paquets de bulletins dans l’urne. Mais c’était pour la
bonne cause. » P. 9. Selon Jacques Foccart, ancien conseiller des Affaires
Africaines de Charles de Gaulle, de Georges Pompidou et de Jacques Chirac, «
Avec Ahmadou Ahidjo disparaît un des principaux acteurs de la décolonisation de l’Afrique telle que le Général
de Gaulle l’avait conçue. Il était profondément attaché à la France, et
nous lui devons l’établissement de relations privilégiées dont nous pouvons être
fiers de nous prévaloir. » Jeune Afrique n°1510 du 11 décembre 1989. Il a donc
été le bénéficiaire des fraudes électorales qui ont eu lieu au Cameroun à
partir de 1951, c’est-à-dire après la création de l’UPC. Il appliquait donc la
politique du Général de Gaulle, puisque avec lui s’est déroulée la
décolonisation telle que conçue par le Général, et non pas telle que conçue par
les Nations Unies.
C’est à la fraude qu’il doit son maintien dans les différentes Assemblées qu’a
connues le Cameroun. Pouvait-il dans ces conditions se permettre de déplaire à
ses parrains ? Dans son discours d’investiture devant l’ALCAM comme Premier
Ministre et successeur d’André Marie Mbida, il n’a pas pipé mot de
l’indépendance. Cela n’était visiblement pas dans son programme si tant est
qu’il en ait jamais eu. Comme l’écrit Philippe Gaillard dans son livre Le
Cameroun Harmattan 1989 T.1 P 22 « La décolonisation [du Cameroun] ne fut pas
moins atypique. Seul segment de l’Afrique Francophone où surgit un mouvement
armé de lutte pour l’indépendance. Le Cameroun est parmi tous les territoires
dépendants où se produisit une insurrection au milieu du XXème Siècle, un cas
unique : la souveraineté enfin octroyée, y échappa à ceux qui avaient combattu
pour elle et fut assumée par une classe dirigeante qui dans l’ensemble, en
avait délibérément freiné l’avènement quand elle ne s’y était pas franchement
apposée ». A.M. Mbida situait le moment opportun pour l’indépendance vers la
fin des années soixante. Adhidjo, lui n’avait pas de projet, si ce n’était de
faire plaisir à ses tuteurs français.
Ahidjo n’avait pas encore compris que les intérêts supérieurs de la France
commandaient une réorientation de sa politique ( celle de la France) au
Cameroun. En effet, la France n’avait pas trouvé mieux à opposer que la
violence aux revendications nationalistes dans certaines de ses colonies. Elle
avait essuyé une défaite cuisante à Diên Biên Phu le 07 mai 1954 et la guerre
d’Algérie avait débuté le 1er Novembre de la même année. L’image de pays de la
liberté que voulait alors se donner la France en proie à un véritable syndrome
suite au traumatisme causé par la défaite en Indochine, s’en est trouvé
sérieusement écornée. L’instabilité consécutive à la mise à l’écart de l’UPC,
seul parti nationaliste menaçait de déboucher sur une guerre civile. Selon Jean
-Paul Ramadier cité par G. Chaffard, les Carnets secrets de la décolonisation.
Calman-Levy T.1 P.311 « La France ne peut se payer le luxe d’une nouvelle
situation Nord-Africaine ». Et selon D.Abwa in A.M Mbida, 1er Premier Ministre
Camerounais ( 1917.1980 ) l’Harmattan 1993, « Il fallait par ailleurs éviter
que l’exemple du Cameroun ne fit tâche d’huile dans les territoires voisins de
l’Afrique Equatoriale Française ( AEF) » ( Maroc, Tunisie, Ghana indépendants).
Mais pour la France, changer de politique ne signifiait nullement renoncer à sa
main mise sur ses colonies. Il s‘agissait plutôt de continuer la domination et
l’exploitation des peuples colonisés sous une forme plus fine, plus subtile,
plus insidieuse, ainsi que le montrera l’évolution ultérieure de la situation
Camerounaise.
C’est dans cet esprit que Jean Paul Ramadier débarque au Cameroun pour
remplacer Pierre Messmer en Février 1958. Pour lui il fallait appliquer le
programme de l’UPC sans l’UPC. C’était la meilleure façon selon lui, de briser
l’audience de ce parti dans le pays. D. ABWA P.79.
Il faut signaler qu’en 1958 la France venait d’essuyer un autre échec au TOGO
qui était, comme le Cameroun, un Territoire Sous-Tutelle. Ce territoire avait
connu jusqu’en 1956, année où il est devenu une République autonome, une
évolution similaire à celle du Cameroun. Colonisé par l’Allemagne jusqu’à la
fin de la première Guerre Mondiale, il a été divisé en deux parties : l’une
sous mandant Britannique et l’autre sous-mandat Français. Quand la République
autonome du Togo est proclamée cette année-là, c’est Nicolas Grunitsky, pion
des français et leader du parti Togolais du Progrès ( PTP) qui en devient le
Premier Ministre. Ce qui a provoqué les protestations du Comité de l’Unité
Togolaise ( CUT) de Sylvanus Olympio lequel a exigé des élections sous le
contrôle de l’ONU ; celles-ci sont organisées en Avril 1958 et conduisent au
triomphe du CUT avec 33 sièges, loin devant le PTP avec 3 sièges et l’Union des
Chefs et des Populations du Nord avec 10 sièges. C’est donc Sylvanus Olympio
qui est devenu 1er Ministre, au grand dam du Haut Commissaire Georges Spenale
et de son Administration qui soutenait Grunitsky. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de
l’Afrique noire Hatier, Paris, 1972, P.514.
Instruit de cette expérience Togolaise, la France colonisatrice, comme un chat
échaudé, va redouter l’eau camerounaise qui n’était du reste pas froide. Une
France honnête et sincère, soucieuse d’appliquer la Charte des Nations Unies,
de respecter l’esprit des Accords de tutelle aurait appliqué au Cameroun une
politique qui avait si bien réussi au Togo. Mais sans doute le Cameroun
était–il déjà le Cameroun puisque selon Charles ASSALE cité par D. ABWA P.63
Opt Cit « Le gouvernement Français
s’était appliqué à éviter adroitement, habilement et d’une façon très subtile
de nous préparer à la gestion de nos affaires ». In Journal des débats,
ATCAM Février 1958, P.98.
La pression sur la France des années 50 s’est accentuée avec la situation qui
prévalait au Nigeria, colonie de la Couronne Britannique. La partie du Cameroun
Occidentale sous-tutelle Britannique avait été rattachée au Nigeria. Et le
Nigeria était déjà sur les chemins de l’indépendance. En 1954, elle était
transformée en fédération et en 1957 une charge de Premier Ministre y était
créée, selon M. MOURRE Dictionnaire encyclopédique d’Histoire T-6 p .316 Paris
Bordas 1982 cité par D. ABWA. La France était donc en droit de penser que
l’indépendance du Nigeria était imminente. Le Nigeria pouvait t-il accéder à
l’indépendance sans la partie occidentale du Cameroun qui lui était rattachée ?
Et cette partie pourrait –elle suivre le Nigeria dans l’indépendance alors que
le Cameroun demeurait sous-tutelle ? Il était donc urgent pour la France de
songer sérieusement à faire bouger les choses.
La France a donc choisi de jouer au chat et à la souris. Là où il fallait jouer
franc jeu pour rester fidèle à son image de pays des libertés et des droits de
l’homme. Pour cela, « Elle choisissait
avec grand discernement chez ses partenaires des pions susceptibles de l’aider
à faire entériner sous couvert de dialogue, les décisions qu’elle avait déjà
arrêtées. Tout semblait alors parfait et l’image d’une France généreuse était
sauve ». D. ABWA P.93
C’est dans cet ordre d’idées qu’elle s’est servie de A. M. Mbida pour faire
passer la loi–Cadre. Elle se servira de la même manière d’Ahmadou Adjidjo pour
octroyer au Cameroun l’indépendance de façade promise par M. Jacquet à A. M.
Mbida au mois de septembre 1958 à l’Assemblée Nationale Française en présence
de Germain Tsalla In document officiels de l’Assemblée Général des Nations
Unies, IVème Commission , 13ème session 885ème séance, 27 février 1959 , p. 605
cité par D. ABWA.
Un manège a été monté pour en faire accroire l’opinion que ce n’est qu’après le
vote d’une résolution le 24 octobre 1958 dans laquelle l’Assemblée Législative
du Cameroun prenait clairement position sur la question que la « généreuse
France » s’est prononcée pour l’indépendance du Cameroun le 1er Janvier 1960. L’UPC
réclamait pourtant déjà cette indépendance dès sa création en 1948. Si les
élections de juin 1951 et de décembre 1956 notamment n’avaient pas été marquées
par la fraude, l’UPC aurait eu des représentants dans l’Assemblée Territoriale,
devenue Assemblée Législative qui n’aurait alors pas attendu 1958 pour réclamer
l’indépendance du Cameroun. En réalité tout était décidé en France.
L’indépendance est donc décidée par une France, sous pression, mais qui entend
tout contrôler, pour le 1er Janvier 1960. Cela devait se traduire par un
nouveau changement de statut du Cameroun qui devait passer d’Etat sous-tutelle
à Etat souverain. Le Cameroun indépendant allait–il fonctionner avec les
structures conçues pour l’Etat sous-tutelle ? Surtout que la représentativité
des personnes qui animaient ces structures était sujette à caution, suite à la
fraude qui avait marqué les élections et la mise à l’écart du parti le plus
populaire de l’époque. Les piliers d’une maison en matériaux provisoires sont
inadaptés s’il s’agit de construire la même maison en matériaux définitifs. En
particulier, le Cameroun indépendant avait besoin d’une Constitution. La
procédure normale veut que dans ces conditions une Assemblée constituante soit
élue qui fera un projet de Constitution, lequel projet sera soumis à un
référendum. A la suite de quoi les institutions prévues sont mises en place
selon les modalités prévues par la Constitution adoptée. Par une telle démarche
l’on prend en compte effectivement les aspirations de la population et l’on a
le plus de chance d’avoir des dirigeants dont l’autorité est fondée sur la
volonté du peuple.
Seulement ce cheminement logique n’était pas du goût d’Ahidjo et de ses
parrains français. Ils l’on rejetée sans raisons valables et y ont opposé des
manœuvres et des intrigues qui avaient pour finalité le maintien du Cameroun
dans le giron français, avec au pouvoir un homme sûr.
C’est ainsi que la proposition faite le 28 octobre 1958 à la quatrième
commission de la treizième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies
par les pétitionnaires de l’UPC ( Félix Roland Moumié, Ndeh Ntoumazah, Michel
Doh Kingué et Jean Ngounga) d’organiser un référendum sur la question de
l’indépendance, et la réunification, et des élections en vue de la mise sur
pied d’une Assemblée Constituante, le tout sous la supervision de l’ONU fut
rejetée.
Les circonstances du rejet de ces propositions sont révélatrices de la marge de
manœuvre réelle qui était celle d’Ahmadou Ahidjo. En effet, alors que la
quatrième Commission attendait encore le retour de la mission de visite de
l’ONU, Ahidjo s’est présenté devant elle le 11 novembre 1958 (avant même que la
France n’ait déposé le mémorandum annoncé par son Ambassadeur Kosciusko-Morizet
le 28 octobre 1958), pour insister sur la volonté des camerounais d’accéder à
l’indépendance le 1er janvier 1960. ABEL Eyinga démontre avec pertinence
qu’Ahidjo ne lut devant la quatrième Commission qu’une « longue déclaration
mise au point par la mission française à son intention ». Après l’avoir lue et
ne pouvant valablement répondre aux différentes questions qui lui étaient
posées, Kosciusko-Morizet, représentant de la France sollicita un temps de
réfection pour préparer ses réponses. Ahidjo ne put répondre que trois jours
plus tard et dans sa réponse, il affirma de nouveau l’option à l’indépendance
du Cameroun et s’opposa à l’idée d’organiser les élections avant
l’indépendance.
Malheureusement pour les nationalistes, la mission de visite de l’ONU qui séjourna
au Cameroun du 14 novembre au 06 décembre 1958, induite en erreur par
l’Administration coloniale estima inutile l’organisation d’élections avant
l’indépendance. L’ONU prit par conséquent la résolution d’accorder
l’indépendance au Cameroun sans élection, ni élaboration d’une Constitution
préalables.
Les nationalistes ne baissèrent pas les bras et dans un appel lancé à Conakry
le 13 Août 1959 par Moumie et Ouandie auxquels s’était joint un Mbida alors
prêt à tous les reniements pour étancher sa soif de pouvoir, ils proposèrent la
tenue d’une conférence de la table ronde le 20 Août 1959 à Monrovia et la
formation d’un Gouvernement de salut public, dont le rôle serait d’organiser
les élections sous le contrôle de l’ONU avant le 1er janvier 1960.
L’idée de la Conférence de la table ronde fut favorablement accueillie par
l’opinion. Selon Daniel ABWA, de nombreuses personnalités Camerounaises parmi
lesquelles certains membres du Gouvernement Ahidjo, des parlementaires et même
des simples citoyens se firent violence pour marquer leur désaccord avec Ahidjo
qui la rejeta naturellement. Michel Njine, vice premier ministre chargé de
l’Education nationale démissionna pour marquer sa désapprobation.
Mais Ahidjo n’en eut cure, il perpétra un coup de force en demandant plutôt à
l’Assemblée Législative de lui accorder les pleins pouvoirs. Il demandait ainsi
à une Assemblée « élue librement au suffrage universel » selon lui, donc
représentative, de le laisser légiférer par décret pendant six mois. Il
comptait en profiter pour préparer un texte de Constitution à soumettre à un
référendum national. Ce qui est surprenant c’est que l’Alcam a accédé à sa demande renonçant ainsi à jouer son
rôle : Ahidjo et son gouvernement ont donc cumulé les pouvoirs Exécutif et
Législatif.
Ahidjo en profita pour proposer une Constitution et une loi électorale taillées
à sa mesure. Aidé en cela par la France. Il avait l’intention, comme l’histoire
le montre, de conserver indéfiniment le pouvoir. C’est donc mû par ses
ambitions égoïstes que Ahidjo a choisi de soumettre son projet de référendum à
un comité consultatif constitutionnel crée par lui. Ledit Comite comprenait 21
représentants de l’Alcam et 21
personnalités désignées par lui. Est-il besoin de demander pourquoi Ahidjo a
mis entre parenthèse l’Alcam ? Il
avait déjà rejeté l’idée d’une table ronde regroupant toutes les composantes
politiques camerounaises. Ahidjo a préféré choisir les personnes acquises à sa
cause pour jouer les faire-valoir. Du moins le croyait-il car des personnalités
cooptées telles que Soppo Priso, Mgr Thomas Mongo, Mayi Matip, Inack Njoki,
Jacques Ngom, Hans Dissaké et Joseph Mbottey ont refusé de participer à la
mascarade. Ils méritent des hommages pour cela. Certes, leur démission du
comité consultatif n’a pas empêché Ahidjo de mener son projet jusqu’au bout.
Mais au moins a-t-on su que ce qui se passait n’était pas normal.
L’opinion qui n’est décidément pas dupe a en effet rejeté les propositions
faites par le gouvernement. Mais la tricherie était là. Comme le dit l’historien
D. ABWA dans une note à la page 231 de son livre A. M. Mbida 1er Premier
Ministre Camerounais opt.cit « Il est aujourd’hui démontré que les OUI ne l’ont
emporté que grâce à une monstrueuse fraude électorale orchestrée pas le
Gouvernement Ahidjo avec la complicité active des administrateurs des colonies
française encore en place. C’est d’ailleurs face à ce constat ‘’d’échec’’ que
Ahidjo fut obligé de prononcer son discours du 25 février 1960 par lequel il
annonça non seulement les élections législatives pour le 10 Avril 1960 mais
aussi le rétablissement de l’UPC dans la légalité. »
Ahidjo est arrivé au pouvoir porté à bout de bras par la France..