DÉCOLONISATION MANQUÉE
DU RÉGIME DE TUTELLE A UNE INDÉPENDANCE FACTICE : LA DÉCOLONISATION MANQUÉE
Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, la France, puissance tutélaire avait du régime de tutelle une conception bien particulière pas tout à fait conforme à la charte des Nations Unies. Celle- ci dispose en effet, en son article 76 : « … les fins essentielles du régime de tutelle sont les suivantes :
A-Affermir la paix et la sécurité internationale.
B-Favoriser le progrès politique, économique et sociale des Populations des territoires sous tutelle ainsi que le développement de leur instruction, favoriser également leur évolution progressive vers la capacité à s’administrer eux même ou l’indépendance compte tenu des conditions particulières à chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement exprimées des populations intéressées et des dispositions qui pourront être prévues dans chaque accord de tutelle ;
C – Encourager le respect des droits de l’homme et des Libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de races, de sexe, de langue ou de religion, et de développer le sentiment d’interdépendance des peuples du monde.
… »
Or la possession par la France s’explique par un seul souci : Faire main basse sur les richesses dont la plus part d’entre elles regorgeaient. Ce souci a été accentué par la deuxième guerre mondiale qui a laissé exsangue les pays européens. Et plan MARSHALL mis sur pied par les Américains pour leur venir en aide ne suffisait pas à combler leurs besoins en ressources. C’est pour cela que l’émergence de mouvements nationalistes a été très mal perçue par les colonisateurs. L’Union des Populations du Cameroun (UPC) créee le 10 avril 1948 a eu maille à partir avec l’administration coloniale dès sa naissance. Celle-ci à multiplié des entraves au développement et à l’implantation de ce parti, qui dès sa création réclamait l’indépendance et l’unification du Cameroun. Une telle orientation nationaliste n’a pas laissé insensible les populations qui ont adhéré en masse au parti, qui était du reste le premier à être créé à cette époque-là.
« 1951 : le Dr Louis Paul Aujoulat, alors député et Secrétaire d’Etat à la France D’outre – mer décide de créer un mouvement politique pour limiter la prépondérance de plus en plus grande de l’UPC, créée trois ans plus tôt et s’opposer à elle. Il choisit comme champ d’action le région de Nyong et Sanaga qu’il connaissait très bien et où il recruta ses premiers adeptes. » P.26.
Parmi les privilèges dont bénéficiait A.M. Mbida au sein du Bloc Démocratique Camerounais de Louis Paul Aujoulat, on comptait l’appui total que l’Administration coloniale et l’Eglise catholique accordaient au BDC. Pour l’administration coloniale en effet, le BDC constituait une solution de rechange dans l’évolution politique du Cameroun par rapport à l’UPC. On peut même dire que c’est le gouvernement français qui avait inspiré la création de ce mouvement politique compte tenu du fait que le Dr Aujoulat, son fondateur, était Secrétaire d’Etat à la France d’Outre – mer depuis janvier 1950. » J.M. Zang Atangana ; Les forces politiques au Cameroun unifié T.1 P.277, cité par Daniel ABWA in A.M.Mbida Premier Premier ministre camerounais PP 30,31.
L’Evolution Sociale Camerounaise (ESOCAM), parti suscité en 1949 pour s’opposer à l’UPC a échoué dans sa mission. Le Bloc Démocratique Camerounais (BDC) de Louis Paul AUJOULAT, qui bénéficiait des faveurs d’une administration qui ne s’est pas de fait de scrupules pour se départir de la neutralité et de l’impartialité qu’elle était censée observer a été fondé en 1951 avec les mêmes motivations qui ont abouti à la création d’ESOCAM. Ce parti représentait certainement l’opposition politique à l’UPC la mieux organisée.
C’est à l’occasion des élections de 1951 que l’Administration coloniale introduit la gangrène qui mine le Cameroun jusqu’aujourd’hui : la fraude électorale. Les candidats de l’UPC sont systématiquement éliminés. Les résultats truqués de ces élections n’entament en rien la vitalité du parti nationaliste qui continue d’envoyer les pétitions et même son Secrétaire Général, Ruben Um Nyobé au siège des Nation Unies à New – York.
Dépassé par les événements, Roland Pré, le Haut commissaire français au Cameroun finit par décréter le 13 juillet 1955 la dissolution de l’UPC. Le mouvement nationaliste est ainsi contraint de gagner le maquis.
En poussant ainsi à la clandestinité, le seul parti politique sérieux et nationaliste de l’époque, l’administration donnait la preuve de ses mauvaises intentions. Et de fait la dissolution de l’UPC créait un vide qu’aucun autre parti ne pouvait combler. Le crime de l’UPC était d’avoir réclamé très tôt l’indépendance qui pourtant l’un des objectifs avoués du régime de tutelle. Alors pourquoi ce parti a t-il d’abord été combattu ; accusé de tous les maux avant d’être dissout ?
L’hostilité de Pierre MESSMER, Haut Commissaire de la république française au Cameroun entre 1956 et 1958 est encore vivace ; plus de 50 ans après, on peut lire dans les extraits de son livre : « les blancs s’en vont. Récit de la décolonisation » publié en 1998, reproduits dans le Messager n°823 du 05 octobre 1998 :
«Contrairement à d’autres territoires francophones où le RDA devient bientôt le premier parti politique, au Cameroun, l’UPC va échouer. Elle peut réunir des manifestants, déclencher des grèves, pousser à des affrontements sanglants, mais elle n’a pas d’élus. Comme toujours, on imputera cet échec aux manœuvres de l’administration coloniale, à l’habilité du haut commissaire Soucadaux à la brutalité de son successeur Roland Pré ». Pour Pierre MESSMER qui a succédé à Roland Pré, il était tout à fait normal qu’un parti de l’envergure de l’UPC n’ait pas d’élus. L’échiquier politique de l’époque ne comptait pas de parti pouvant sérieusement rivaliser avec l’UPC ; et ce parti était implanté dans les zones à forte population du croissant fertile : Alors pourquoi l’UPC n’avait-elle pas d’élus ? Pierre MESSMER qui récuse la fraude électorale et les manœuvres de l’administration coloniale nous la donne : Le tribalisme. Selon lui en effet : « la vérité est simple. L’UPC a été impuissant devant le tribalisme. Le Nord musulman, dominé politiquement par les chefs traditionnels est imperméable à l’influence upéciste, sudiste, communiste, combattue par l’administration. Au Sud, en dehors de Douala et des pays Bassa tout proche, l’UPC s’est heurté à des barrages presque partout. Les Bulus les Ewondos élisent leurs hommes, pas ceux de UM NYOBE. Même dans le pays bamiléké ou l’UPC recrute une grande partie de ses cadres, les chefs traditionnels sont assez forts pour lui résister. » Remarquer l’importance démesurée accordée au facteur tribal et le recours excessif quazi - pathologique aux poncifs : Nord musulman (ce qui est à vérifier, les kirdis non musulmans que l’on retrouve dans les zones à forte concentration sont probablement les plus nombreux ), Sud chrétien, UPC parti communiste, réservé aux ressortissants de l’ethnie de UM NYOBE, les Bassa. Et on veut nous faire croire qu’il existait entre ces populations des closions si étanches que même le programme nationaliste de l’UPC ne pouvait réussir à les unir. Aux chefs traditionnels, Pierre MESSMER accorde une importance démesurée ; En fait ces explications de MESSMER manquent d’originalité et trahissent l’état d’esprit et la stratégie du blanc pour exploiter l’Afrique.
Ladite stratégie est exprimée par Maréchal LYAUTEY : « S’il y a des mœurs et des coutumes, il y a aussi des haines et rivalités qu’il faut démêler et utiliser à notre profit, en opposant les uns aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les autres. » Cité par Daniel TESSUE, Polémique autour du problème Bamiléké dans La Nouvelle Expression du 11/07/95. Il y a ensuite : « La stratégie du maillon le plus fort. » Et, « la chasse aux leaders » utilisées par le pouvoir colonial et dont parle M. FOGUI Jean Pierre « Cette stratégie consiste à phagocyter les ‘’autorités traditionnelles’’ et les ‘’notables’’ qui sont intégrés dans les structures du système politique central. Il s’agit en l’occurrence de s’attirer d’abord le soutien des autorités traditionnelles et au besoin des notables locaux, pour qu’ils apportent avec eux en blocs leur clientèle.
En cela, le pouvoir colonial ne faisait que suivre cette « realpolitiks » qu’en 1913, MEUNIER exprimait en ces termes : « ce n’est point en effet aux masses des populations que l’on peut d’abord amener à admettre le colonisateur-gouvernement, mais à ceux qui la commandent. » Nguemegne Jean Philibert, le Ministre camerounais de la IVè République, plus servant que Seigneur, in Juridis Périodique n°36, octobre, novembre, décembre 1998. On comprend donc l’importance accordée par les colonisateurs aux Chefs traditionnels. C’est ainsi que Djoumessi Mathias, chef Foréké à Dschang, élu Premier Président de l’UPC au Premier congrès de ce parti tenu à Dschang le 13 avril 1950, en a été débauché par toutes sortes de manœuvres.
L’explication des problèmes africains par le tribalisme participe d’un discours que l’on veut nous inculquer et selon lequel les africains sont de grands enfants incapables de se prendre en charge. Sans le blanc, l’Afrique serait réduite à un vaste champ d’affrontements ethniques.
L’UPC a commis le crime impardonnable de ne pas correspondre tout à fait à l’image que les colonisateurs voulaient donner du noir. Ce parti ne rentrait pas dans le moule qu’on lui avait préparé. Alors il fallait le détruire, et c’était d’autant plus urgent que ce parti donnait la preuve que la présence coloniale française ne se justifiait pas. L’UPC donnait la preuve que les noirs étaient capables de s’auto administrer, de gérer leur indépendance, avec bonheur.
L’administration coloniale a donc jeté son dévolu sur des personnages sans ambition nationale, sans programme, sans envergure, qu’elle devait façonner à sa guise. Et c’est à partir de là que les dés ont été pipés ; le jeu a été faussé, et les populations n’ont plus jamais eu la possibilité ni de s’exprimer, ni de faire prendre en compte leurs aspirations. Pendant que des « élus », cooptés sur des bases très contestables et conscients de devoir leur promotion, non pas à leur mérite personnel, mais à la seule volonté de l’administration coloniale, se mettaient résolument au service d’intérêts étrangers.
Le passage du Cameroun du statut de territoire sous tutelle à celui d’état sous tutelle s’est fait en avril 1957, alors que les élections pour la nouvelle Assemblée Territoriale Camerounaise (ATCAM), venaient d’avoir lieu. Ce changement de statut aurait dû justifier la dissolution de l’ATCAM, mais il n’en a rien été. La population aurait dû être associée, mais tout s’est décidé à Paris. Il y a eu un simple changement de nom de l’Assemblée, qui est devenue l’Assemblée Législative du Cameroun (ALCAM). La seule force politique vraiment représentative avait été mise hors jeu par la France depuis juillet 1955. Le changement de statut aurait dû précéder les élections. Que les électeurs sachent qui ils élisaient, en termes notamment de compétence. Quoi de commun entre une assemblée législative, dotée, comme son nom l’indique, d’un pouvoir législatif, pouvant légiférer, et une simple assemblée territoriale ?
Le Cameroun étant devenu un état, il lui fallait un gouvernement, et c’est à partir des élus du 23 décembre 1956 que ce Gouvernement fut constitué. La supercherie se situe à ce niveau. Les électeurs ne se doutaient pas que parmi les élus seraient plus tard choisis des membres d’un futur Gouvernement. Les groupes représentés à l’ALCAM étaient les suivants :
DU RÉGIME DE TUTELLE A UNE INDÉPENDANCE FACTICE : LA DÉCOLONISATION MANQUÉE
Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, la France, puissance tutélaire avait du régime de tutelle une conception bien particulière pas tout à fait conforme à la charte des Nations Unies. Celle- ci dispose en effet, en son article 76 : « … les fins essentielles du régime de tutelle sont les suivantes :
A-Affermir la paix et la sécurité internationale.
B-Favoriser le progrès politique, économique et sociale des Populations des territoires sous tutelle ainsi que le développement de leur instruction, favoriser également leur évolution progressive vers la capacité à s’administrer eux même ou l’indépendance compte tenu des conditions particulières à chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement exprimées des populations intéressées et des dispositions qui pourront être prévues dans chaque accord de tutelle ;
C – Encourager le respect des droits de l’homme et des Libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de races, de sexe, de langue ou de religion, et de développer le sentiment d’interdépendance des peuples du monde.
… »
Or la possession par la France s’explique par un seul souci : Faire main basse sur les richesses dont la plus part d’entre elles regorgeaient. Ce souci a été accentué par la deuxième guerre mondiale qui a laissé exsangue les pays européens. Et plan MARSHALL mis sur pied par les Américains pour leur venir en aide ne suffisait pas à combler leurs besoins en ressources. C’est pour cela que l’émergence de mouvements nationalistes a été très mal perçue par les colonisateurs. L’Union des Populations du Cameroun (UPC) créee le 10 avril 1948 a eu maille à partir avec l’administration coloniale dès sa naissance. Celle-ci à multiplié des entraves au développement et à l’implantation de ce parti, qui dès sa création réclamait l’indépendance et l’unification du Cameroun. Une telle orientation nationaliste n’a pas laissé insensible les populations qui ont adhéré en masse au parti, qui était du reste le premier à être créé à cette époque-là.
« 1951 : le Dr Louis Paul Aujoulat, alors député et Secrétaire d’Etat à la France D’outre – mer décide de créer un mouvement politique pour limiter la prépondérance de plus en plus grande de l’UPC, créée trois ans plus tôt et s’opposer à elle. Il choisit comme champ d’action le région de Nyong et Sanaga qu’il connaissait très bien et où il recruta ses premiers adeptes. » P.26.
Parmi les privilèges dont bénéficiait A.M. Mbida au sein du Bloc Démocratique Camerounais de Louis Paul Aujoulat, on comptait l’appui total que l’Administration coloniale et l’Eglise catholique accordaient au BDC. Pour l’administration coloniale en effet, le BDC constituait une solution de rechange dans l’évolution politique du Cameroun par rapport à l’UPC. On peut même dire que c’est le gouvernement français qui avait inspiré la création de ce mouvement politique compte tenu du fait que le Dr Aujoulat, son fondateur, était Secrétaire d’Etat à la France d’Outre – mer depuis janvier 1950. » J.M. Zang Atangana ; Les forces politiques au Cameroun unifié T.1 P.277, cité par Daniel ABWA in A.M.Mbida Premier Premier ministre camerounais PP 30,31.
L’Evolution Sociale Camerounaise (ESOCAM), parti suscité en 1949 pour s’opposer à l’UPC a échoué dans sa mission. Le Bloc Démocratique Camerounais (BDC) de Louis Paul AUJOULAT, qui bénéficiait des faveurs d’une administration qui ne s’est pas de fait de scrupules pour se départir de la neutralité et de l’impartialité qu’elle était censée observer a été fondé en 1951 avec les mêmes motivations qui ont abouti à la création d’ESOCAM. Ce parti représentait certainement l’opposition politique à l’UPC la mieux organisée.
C’est à l’occasion des élections de 1951 que l’Administration coloniale introduit la gangrène qui mine le Cameroun jusqu’aujourd’hui : la fraude électorale. Les candidats de l’UPC sont systématiquement éliminés. Les résultats truqués de ces élections n’entament en rien la vitalité du parti nationaliste qui continue d’envoyer les pétitions et même son Secrétaire Général, Ruben Um Nyobé au siège des Nation Unies à New – York.
Dépassé par les événements, Roland Pré, le Haut commissaire français au Cameroun finit par décréter le 13 juillet 1955 la dissolution de l’UPC. Le mouvement nationaliste est ainsi contraint de gagner le maquis.
En poussant ainsi à la clandestinité, le seul parti politique sérieux et nationaliste de l’époque, l’administration donnait la preuve de ses mauvaises intentions. Et de fait la dissolution de l’UPC créait un vide qu’aucun autre parti ne pouvait combler. Le crime de l’UPC était d’avoir réclamé très tôt l’indépendance qui pourtant l’un des objectifs avoués du régime de tutelle. Alors pourquoi ce parti a t-il d’abord été combattu ; accusé de tous les maux avant d’être dissout ?
L’hostilité de Pierre MESSMER, Haut Commissaire de la république française au Cameroun entre 1956 et 1958 est encore vivace ; plus de 50 ans après, on peut lire dans les extraits de son livre : « les blancs s’en vont. Récit de la décolonisation » publié en 1998, reproduits dans le Messager n°823 du 05 octobre 1998 :
«Contrairement à d’autres territoires francophones où le RDA devient bientôt le premier parti politique, au Cameroun, l’UPC va échouer. Elle peut réunir des manifestants, déclencher des grèves, pousser à des affrontements sanglants, mais elle n’a pas d’élus. Comme toujours, on imputera cet échec aux manœuvres de l’administration coloniale, à l’habilité du haut commissaire Soucadaux à la brutalité de son successeur Roland Pré ». Pour Pierre MESSMER qui a succédé à Roland Pré, il était tout à fait normal qu’un parti de l’envergure de l’UPC n’ait pas d’élus. L’échiquier politique de l’époque ne comptait pas de parti pouvant sérieusement rivaliser avec l’UPC ; et ce parti était implanté dans les zones à forte population du croissant fertile : Alors pourquoi l’UPC n’avait-elle pas d’élus ? Pierre MESSMER qui récuse la fraude électorale et les manœuvres de l’administration coloniale nous la donne : Le tribalisme. Selon lui en effet : « la vérité est simple. L’UPC a été impuissant devant le tribalisme. Le Nord musulman, dominé politiquement par les chefs traditionnels est imperméable à l’influence upéciste, sudiste, communiste, combattue par l’administration. Au Sud, en dehors de Douala et des pays Bassa tout proche, l’UPC s’est heurté à des barrages presque partout. Les Bulus les Ewondos élisent leurs hommes, pas ceux de UM NYOBE. Même dans le pays bamiléké ou l’UPC recrute une grande partie de ses cadres, les chefs traditionnels sont assez forts pour lui résister. » Remarquer l’importance démesurée accordée au facteur tribal et le recours excessif quazi - pathologique aux poncifs : Nord musulman (ce qui est à vérifier, les kirdis non musulmans que l’on retrouve dans les zones à forte concentration sont probablement les plus nombreux ), Sud chrétien, UPC parti communiste, réservé aux ressortissants de l’ethnie de UM NYOBE, les Bassa. Et on veut nous faire croire qu’il existait entre ces populations des closions si étanches que même le programme nationaliste de l’UPC ne pouvait réussir à les unir. Aux chefs traditionnels, Pierre MESSMER accorde une importance démesurée ; En fait ces explications de MESSMER manquent d’originalité et trahissent l’état d’esprit et la stratégie du blanc pour exploiter l’Afrique.
Ladite stratégie est exprimée par Maréchal LYAUTEY : « S’il y a des mœurs et des coutumes, il y a aussi des haines et rivalités qu’il faut démêler et utiliser à notre profit, en opposant les uns aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les autres. » Cité par Daniel TESSUE, Polémique autour du problème Bamiléké dans La Nouvelle Expression du 11/07/95. Il y a ensuite : « La stratégie du maillon le plus fort. » Et, « la chasse aux leaders » utilisées par le pouvoir colonial et dont parle M. FOGUI Jean Pierre « Cette stratégie consiste à phagocyter les ‘’autorités traditionnelles’’ et les ‘’notables’’ qui sont intégrés dans les structures du système politique central. Il s’agit en l’occurrence de s’attirer d’abord le soutien des autorités traditionnelles et au besoin des notables locaux, pour qu’ils apportent avec eux en blocs leur clientèle.
En cela, le pouvoir colonial ne faisait que suivre cette « realpolitiks » qu’en 1913, MEUNIER exprimait en ces termes : « ce n’est point en effet aux masses des populations que l’on peut d’abord amener à admettre le colonisateur-gouvernement, mais à ceux qui la commandent. » Nguemegne Jean Philibert, le Ministre camerounais de la IVè République, plus servant que Seigneur, in Juridis Périodique n°36, octobre, novembre, décembre 1998. On comprend donc l’importance accordée par les colonisateurs aux Chefs traditionnels. C’est ainsi que Djoumessi Mathias, chef Foréké à Dschang, élu Premier Président de l’UPC au Premier congrès de ce parti tenu à Dschang le 13 avril 1950, en a été débauché par toutes sortes de manœuvres.
L’explication des problèmes africains par le tribalisme participe d’un discours que l’on veut nous inculquer et selon lequel les africains sont de grands enfants incapables de se prendre en charge. Sans le blanc, l’Afrique serait réduite à un vaste champ d’affrontements ethniques.
L’UPC a commis le crime impardonnable de ne pas correspondre tout à fait à l’image que les colonisateurs voulaient donner du noir. Ce parti ne rentrait pas dans le moule qu’on lui avait préparé. Alors il fallait le détruire, et c’était d’autant plus urgent que ce parti donnait la preuve que la présence coloniale française ne se justifiait pas. L’UPC donnait la preuve que les noirs étaient capables de s’auto administrer, de gérer leur indépendance, avec bonheur.
L’administration coloniale a donc jeté son dévolu sur des personnages sans ambition nationale, sans programme, sans envergure, qu’elle devait façonner à sa guise. Et c’est à partir de là que les dés ont été pipés ; le jeu a été faussé, et les populations n’ont plus jamais eu la possibilité ni de s’exprimer, ni de faire prendre en compte leurs aspirations. Pendant que des « élus », cooptés sur des bases très contestables et conscients de devoir leur promotion, non pas à leur mérite personnel, mais à la seule volonté de l’administration coloniale, se mettaient résolument au service d’intérêts étrangers.
Le passage du Cameroun du statut de territoire sous tutelle à celui d’état sous tutelle s’est fait en avril 1957, alors que les élections pour la nouvelle Assemblée Territoriale Camerounaise (ATCAM), venaient d’avoir lieu. Ce changement de statut aurait dû justifier la dissolution de l’ATCAM, mais il n’en a rien été. La population aurait dû être associée, mais tout s’est décidé à Paris. Il y a eu un simple changement de nom de l’Assemblée, qui est devenue l’Assemblée Législative du Cameroun (ALCAM). La seule force politique vraiment représentative avait été mise hors jeu par la France depuis juillet 1955. Le changement de statut aurait dû précéder les élections. Que les électeurs sachent qui ils élisaient, en termes notamment de compétence. Quoi de commun entre une assemblée législative, dotée, comme son nom l’indique, d’un pouvoir législatif, pouvant légiférer, et une simple assemblée territoriale ?
Le Cameroun étant devenu un état, il lui fallait un gouvernement, et c’est à partir des élus du 23 décembre 1956 que ce Gouvernement fut constitué. La supercherie se situe à ce niveau. Les électeurs ne se doutaient pas que parmi les élus seraient plus tard choisis des membres d’un futur Gouvernement. Les groupes représentés à l’ALCAM étaient les suivants :
·
«
le groupe des huit » de la tendance Mouvement d’Action Nationale, animée par le
tandem Soppo – Assalé,
·
le
« groupe des démocrates » avec 21 membres conduits par A.M.Mbida,
·
le
« groupe des paysans indépendants » de tendance régionaliste, comprenant neuf
conseillers d’origine Bamiléké sous la direction de Djoumessi Mathias, le «
groupe de l’Union Camerounaise », regroupant les « élus » du Nord, conduit par
Ahmadou Ahidjo. Opt. Cit.P.62.
Le premier Premier ministre fut André
Marie Mbida, mais il fut aussitôt déposé, ne donnant pas satisfaction à ses
parrains français. Le Haut Commissaire Jean Ramadier fut spécialement envoyé
pour le déposer et le remplacer par Ahmadou Ahidjo que l’on préparait depuis
longtemps pour la tâche. Le choix porté sur Ahmadou Ahidjo pour succéder à
André Marie Mbida comme Premier ministre du Cameroun autonome n’était pas
fortuit. Il était certes le Vice- Premier ministre et Ministre de l’Intérieur
du Gouvernement Mbida. En effet, selon Guy Georgy, ancien Ambassadeur de
France, qui fut Chef de Région du Nord Cameroun entre 1951 et 1955, « il
(Ahidjo) rêvait de devenir patron des PTT dans sa région et peut-être même du
pays, mais il ne voulait surtout pas faire de politique. Mais moi, je l’avais
tellement poussé à en faire qu’il m’en a voulu et longtemps. Je l’avais fait élire délégué à l’Assemblée
Territoriale du Cameroun. On avait quasiment fait voter pour lui, en
mettant des paquets de bulletins dans l’urne. Mais c’était pour la
bonne cause. » P. 9. Selon Jacques Foccart, ancien conseiller des Affaires
Africaines de Charles de Gaulle, de Georges Pompidou et de Jacques Chirac, «
Avec Ahmadou Ahidjo disparaît un des principaux acteurs de la décolonisation de l’Afrique telle que le Général
de Gaulle l’avait conçue. Il était profondément attaché à la France, et
nous lui devons l’établissement de relations privilégiées dont nous pouvons être
fiers de nous prévaloir. » Jeune Afrique n°1510 du 11 décembre 1989. Il a donc
été le bénéficiaire des fraudes électorales qui ont eu lieu au Cameroun à
partir de 1951, c’est-à-dire après la création de l’UPC. Il appliquait donc la
politique du Général de Gaulle, puisque avec lui s’est déroulée la
décolonisation telle que conçue par le Général, et non pas telle que conçue par
les Nations Unies.
C’est à la fraude qu’il doit son maintien dans les différentes Assemblées qu’a connues le Cameroun. Pouvait-il dans ces conditions se permettre de déplaire à ses parrains ? Dans son discours d’investiture devant l’ALCAM comme Premier Ministre et successeur d’André Marie Mbida, il n’a pas pipé mot de l’indépendance. Cela n’était visiblement pas dans son programme si tant est qu’il en ait jamais eu. Comme l’écrit Philippe Gaillard dans son livre Le Cameroun Harmattan 1989 T.1 P 22 « La décolonisation [du Cameroun] ne fut pas moins atypique. Seul segment de l’Afrique Francophone où surgit un mouvement armé de lutte pour l’indépendance. Le Cameroun est parmi tous les territoires dépendants où se produisit une insurrection au milieu du XXème Siècle, un cas unique : la souveraineté enfin octroyée, y échappa à ceux qui avaient combattu pour elle et fut assumée par une classe dirigeante qui dans l’ensemble, en avait délibérément freiné l’avènement quand elle ne s’y était pas franchement apposée ». A.M. Mbida situait le moment opportun pour l’indépendance vers la fin des années soixante. Adhidjo, lui n’avait pas de projet, si ce n’était de faire plaisir à ses tuteurs français.
Ahidjo n’avait pas encore compris que les intérêts supérieurs de la France commandaient une réorientation de sa politique ( celle de la France) au Cameroun. En effet, la France n’avait pas trouvé mieux à opposer que la violence aux revendications nationalistes dans certaines de ses colonies. Elle avait essuyé une défaite cuisante à Diên Biên Phu le 07 mai 1954 et la guerre d’Algérie avait débuté le 1er Novembre de la même année. L’image de pays de la liberté que voulait alors se donner la France en proie à un véritable syndrome suite au traumatisme causé par la défaite en Indochine, s’en est trouvé sérieusement écornée. L’instabilité consécutive à la mise à l’écart de l’UPC, seul parti nationaliste menaçait de déboucher sur une guerre civile. Selon Jean -Paul Ramadier cité par G. Chaffard, les Carnets secrets de la décolonisation. Calman-Levy T.1 P.311 « La France ne peut se payer le luxe d’une nouvelle situation Nord-Africaine ». Et selon D.Abwa in A.M Mbida, 1er Premier Ministre Camerounais ( 1917.1980 ) l’Harmattan 1993, « Il fallait par ailleurs éviter que l’exemple du Cameroun ne fit tâche d’huile dans les territoires voisins de l’Afrique Equatoriale Française ( AEF) » ( Maroc, Tunisie, Ghana indépendants).
Mais pour la France, changer de politique ne signifiait nullement renoncer à sa main mise sur ses colonies. Il s‘agissait plutôt de continuer la domination et l’exploitation des peuples colonisés sous une forme plus fine, plus subtile, plus insidieuse, ainsi que le montrera l’évolution ultérieure de la situation Camerounaise.
C’est dans cet esprit que Jean Paul Ramadier débarque au Cameroun pour remplacer Pierre Messmer en Février 1958. Pour lui il fallait appliquer le programme de l’UPC sans l’UPC. C’était la meilleure façon selon lui, de briser l’audience de ce parti dans le pays. D. ABWA P.79.
Il faut signaler qu’en 1958 la France venait d’essuyer un autre échec au TOGO qui était, comme le Cameroun, un Territoire Sous-Tutelle. Ce territoire avait connu jusqu’en 1956, année où il est devenu une République autonome, une évolution similaire à celle du Cameroun. Colonisé par l’Allemagne jusqu’à la fin de la première Guerre Mondiale, il a été divisé en deux parties : l’une sous mandant Britannique et l’autre sous-mandat Français. Quand la République autonome du Togo est proclamée cette année-là, c’est Nicolas Grunitsky, pion des français et leader du parti Togolais du Progrès ( PTP) qui en devient le Premier Ministre. Ce qui a provoqué les protestations du Comité de l’Unité Togolaise ( CUT) de Sylvanus Olympio lequel a exigé des élections sous le contrôle de l’ONU ; celles-ci sont organisées en Avril 1958 et conduisent au triomphe du CUT avec 33 sièges, loin devant le PTP avec 3 sièges et l’Union des Chefs et des Populations du Nord avec 10 sièges. C’est donc Sylvanus Olympio qui est devenu 1er Ministre, au grand dam du Haut Commissaire Georges Spenale et de son Administration qui soutenait Grunitsky. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire Hatier, Paris, 1972, P.514.
Instruit de cette expérience Togolaise, la France colonisatrice, comme un chat échaudé, va redouter l’eau camerounaise qui n’était du reste pas froide. Une France honnête et sincère, soucieuse d’appliquer la Charte des Nations Unies, de respecter l’esprit des Accords de tutelle aurait appliqué au Cameroun une politique qui avait si bien réussi au Togo. Mais sans doute le Cameroun était–il déjà le Cameroun puisque selon Charles ASSALE cité par D. ABWA P.63 Opt Cit « Le gouvernement Français s’était appliqué à éviter adroitement, habilement et d’une façon très subtile de nous préparer à la gestion de nos affaires ». In Journal des débats, ATCAM Février 1958, P.98.
La pression sur la France des années 50 s’est accentuée avec la situation qui prévalait au Nigeria, colonie de la Couronne Britannique. La partie du Cameroun Occidentale sous-tutelle Britannique avait été rattachée au Nigeria. Et le Nigeria était déjà sur les chemins de l’indépendance. En 1954, elle était transformée en fédération et en 1957 une charge de Premier Ministre y était créée, selon M. MOURRE Dictionnaire encyclopédique d’Histoire T-6 p .316 Paris Bordas 1982 cité par D. ABWA. La France était donc en droit de penser que l’indépendance du Nigeria était imminente. Le Nigeria pouvait t-il accéder à l’indépendance sans la partie occidentale du Cameroun qui lui était rattachée ? Et cette partie pourrait –elle suivre le Nigeria dans l’indépendance alors que le Cameroun demeurait sous-tutelle ? Il était donc urgent pour la France de songer sérieusement à faire bouger les choses.
La France a donc choisi de jouer au chat et à la souris. Là où il fallait jouer franc jeu pour rester fidèle à son image de pays des libertés et des droits de l’homme. Pour cela, « Elle choisissait avec grand discernement chez ses partenaires des pions susceptibles de l’aider à faire entériner sous couvert de dialogue, les décisions qu’elle avait déjà arrêtées. Tout semblait alors parfait et l’image d’une France généreuse était sauve ». D. ABWA P.93
C’est dans cet ordre d’idées qu’elle s’est servie de A. M. Mbida pour faire passer la loi–Cadre. Elle se servira de la même manière d’Ahmadou Adjidjo pour octroyer au Cameroun l’indépendance de façade promise par M. Jacquet à A. M. Mbida au mois de septembre 1958 à l’Assemblée Nationale Française en présence de Germain Tsalla In document officiels de l’Assemblée Général des Nations Unies, IVème Commission , 13ème session 885ème séance, 27 février 1959 , p. 605 cité par D. ABWA.
Un manège a été monté pour en faire accroire l’opinion que ce n’est qu’après le vote d’une résolution le 24 octobre 1958 dans laquelle l’Assemblée Législative du Cameroun prenait clairement position sur la question que la « généreuse France » s’est prononcée pour l’indépendance du Cameroun le 1er Janvier 1960. L’UPC réclamait pourtant déjà cette indépendance dès sa création en 1948. Si les élections de juin 1951 et de décembre 1956 notamment n’avaient pas été marquées par la fraude, l’UPC aurait eu des représentants dans l’Assemblée Territoriale, devenue Assemblée Législative qui n’aurait alors pas attendu 1958 pour réclamer l’indépendance du Cameroun. En réalité tout était décidé en France.
L’indépendance est donc décidée par une France, sous pression, mais qui entend tout contrôler, pour le 1er Janvier 1960. Cela devait se traduire par un nouveau changement de statut du Cameroun qui devait passer d’Etat sous-tutelle à Etat souverain. Le Cameroun indépendant allait–il fonctionner avec les structures conçues pour l’Etat sous-tutelle ? Surtout que la représentativité des personnes qui animaient ces structures était sujette à caution, suite à la fraude qui avait marqué les élections et la mise à l’écart du parti le plus populaire de l’époque. Les piliers d’une maison en matériaux provisoires sont inadaptés s’il s’agit de construire la même maison en matériaux définitifs. En particulier, le Cameroun indépendant avait besoin d’une Constitution. La procédure normale veut que dans ces conditions une Assemblée constituante soit élue qui fera un projet de Constitution, lequel projet sera soumis à un référendum. A la suite de quoi les institutions prévues sont mises en place selon les modalités prévues par la Constitution adoptée. Par une telle démarche l’on prend en compte effectivement les aspirations de la population et l’on a le plus de chance d’avoir des dirigeants dont l’autorité est fondée sur la volonté du peuple.
Seulement ce cheminement logique n’était pas du goût d’Ahidjo et de ses parrains français. Ils l’on rejetée sans raisons valables et y ont opposé des manœuvres et des intrigues qui avaient pour finalité le maintien du Cameroun dans le giron français, avec au pouvoir un homme sûr.
C’est ainsi que la proposition faite le 28 octobre 1958 à la quatrième commission de la treizième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies par les pétitionnaires de l’UPC ( Félix Roland Moumié, Ndeh Ntoumazah, Michel Doh Kingué et Jean Ngounga) d’organiser un référendum sur la question de l’indépendance, et la réunification, et des élections en vue de la mise sur pied d’une Assemblée Constituante, le tout sous la supervision de l’ONU fut rejetée.
Les circonstances du rejet de ces propositions sont révélatrices de la marge de manœuvre réelle qui était celle d’Ahmadou Ahidjo. En effet, alors que la quatrième Commission attendait encore le retour de la mission de visite de l’ONU, Ahidjo s’est présenté devant elle le 11 novembre 1958 (avant même que la France n’ait déposé le mémorandum annoncé par son Ambassadeur Kosciusko-Morizet le 28 octobre 1958), pour insister sur la volonté des camerounais d’accéder à l’indépendance le 1er janvier 1960. ABEL Eyinga démontre avec pertinence qu’Ahidjo ne lut devant la quatrième Commission qu’une « longue déclaration mise au point par la mission française à son intention ». Après l’avoir lue et ne pouvant valablement répondre aux différentes questions qui lui étaient posées, Kosciusko-Morizet, représentant de la France sollicita un temps de réfection pour préparer ses réponses. Ahidjo ne put répondre que trois jours plus tard et dans sa réponse, il affirma de nouveau l’option à l’indépendance du Cameroun et s’opposa à l’idée d’organiser les élections avant l’indépendance.
Malheureusement pour les nationalistes, la mission de visite de l’ONU qui séjourna au Cameroun du 14 novembre au 06 décembre 1958, induite en erreur par l’Administration coloniale estima inutile l’organisation d’élections avant l’indépendance. L’ONU prit par conséquent la résolution d’accorder l’indépendance au Cameroun sans élection, ni élaboration d’une Constitution préalables.
Les nationalistes ne baissèrent pas les bras et dans un appel lancé à Conakry le 13 Août 1959 par Moumie et Ouandie auxquels s’était joint un Mbida alors prêt à tous les reniements pour étancher sa soif de pouvoir, ils proposèrent la tenue d’une conférence de la table ronde le 20 Août 1959 à Monrovia et la formation d’un Gouvernement de salut public, dont le rôle serait d’organiser les élections sous le contrôle de l’ONU avant le 1er janvier 1960.
L’idée de la Conférence de la table ronde fut favorablement accueillie par l’opinion. Selon Daniel ABWA, de nombreuses personnalités Camerounaises parmi lesquelles certains membres du Gouvernement Ahidjo, des parlementaires et même des simples citoyens se firent violence pour marquer leur désaccord avec Ahidjo qui la rejeta naturellement. Michel Njine, vice premier ministre chargé de l’Education nationale démissionna pour marquer sa désapprobation.
Mais Ahidjo n’en eut cure, il perpétra un coup de force en demandant plutôt à l’Assemblée Législative de lui accorder les pleins pouvoirs. Il demandait ainsi à une Assemblée « élue librement au suffrage universel » selon lui, donc représentative, de le laisser légiférer par décret pendant six mois. Il comptait en profiter pour préparer un texte de Constitution à soumettre à un référendum national. Ce qui est surprenant c’est que l’Alcam a accédé à sa demande renonçant ainsi à jouer son rôle : Ahidjo et son gouvernement ont donc cumulé les pouvoirs Exécutif et Législatif.
Ahidjo en profita pour proposer une Constitution et une loi électorale taillées à sa mesure. Aidé en cela par la France. Il avait l’intention, comme l’histoire le montre, de conserver indéfiniment le pouvoir. C’est donc mû par ses ambitions égoïstes que Ahidjo a choisi de soumettre son projet de référendum à un comité consultatif constitutionnel crée par lui. Ledit Comite comprenait 21 représentants de l’Alcam et 21 personnalités désignées par lui. Est-il besoin de demander pourquoi Ahidjo a mis entre parenthèse l’Alcam ? Il avait déjà rejeté l’idée d’une table ronde regroupant toutes les composantes politiques camerounaises. Ahidjo a préféré choisir les personnes acquises à sa cause pour jouer les faire-valoir. Du moins le croyait-il car des personnalités cooptées telles que Soppo Priso, Mgr Thomas Mongo, Mayi Matip, Inack Njoki, Jacques Ngom, Hans Dissaké et Joseph Mbottey ont refusé de participer à la mascarade. Ils méritent des hommages pour cela. Certes, leur démission du comité consultatif n’a pas empêché Ahidjo de mener son projet jusqu’au bout. Mais au moins a-t-on su que ce qui se passait n’était pas normal.
L’opinion qui n’est décidément pas dupe a en effet rejeté les propositions faites par le gouvernement. Mais la tricherie était là. Comme le dit l’historien D. ABWA dans une note à la page 231 de son livre A. M. Mbida 1er Premier Ministre Camerounais opt.cit « Il est aujourd’hui démontré que les OUI ne l’ont emporté que grâce à une monstrueuse fraude électorale orchestrée pas le Gouvernement Ahidjo avec la complicité active des administrateurs des colonies française encore en place. C’est d’ailleurs face à ce constat ‘’d’échec’’ que Ahidjo fut obligé de prononcer son discours du 25 février 1960 par lequel il annonça non seulement les élections législatives pour le 10 Avril 1960 mais aussi le rétablissement de l’UPC dans la légalité. »
Ahidjo est arrivé au pouvoir porté à bout de bras par la France..
C’est à la fraude qu’il doit son maintien dans les différentes Assemblées qu’a connues le Cameroun. Pouvait-il dans ces conditions se permettre de déplaire à ses parrains ? Dans son discours d’investiture devant l’ALCAM comme Premier Ministre et successeur d’André Marie Mbida, il n’a pas pipé mot de l’indépendance. Cela n’était visiblement pas dans son programme si tant est qu’il en ait jamais eu. Comme l’écrit Philippe Gaillard dans son livre Le Cameroun Harmattan 1989 T.1 P 22 « La décolonisation [du Cameroun] ne fut pas moins atypique. Seul segment de l’Afrique Francophone où surgit un mouvement armé de lutte pour l’indépendance. Le Cameroun est parmi tous les territoires dépendants où se produisit une insurrection au milieu du XXème Siècle, un cas unique : la souveraineté enfin octroyée, y échappa à ceux qui avaient combattu pour elle et fut assumée par une classe dirigeante qui dans l’ensemble, en avait délibérément freiné l’avènement quand elle ne s’y était pas franchement apposée ». A.M. Mbida situait le moment opportun pour l’indépendance vers la fin des années soixante. Adhidjo, lui n’avait pas de projet, si ce n’était de faire plaisir à ses tuteurs français.
Ahidjo n’avait pas encore compris que les intérêts supérieurs de la France commandaient une réorientation de sa politique ( celle de la France) au Cameroun. En effet, la France n’avait pas trouvé mieux à opposer que la violence aux revendications nationalistes dans certaines de ses colonies. Elle avait essuyé une défaite cuisante à Diên Biên Phu le 07 mai 1954 et la guerre d’Algérie avait débuté le 1er Novembre de la même année. L’image de pays de la liberté que voulait alors se donner la France en proie à un véritable syndrome suite au traumatisme causé par la défaite en Indochine, s’en est trouvé sérieusement écornée. L’instabilité consécutive à la mise à l’écart de l’UPC, seul parti nationaliste menaçait de déboucher sur une guerre civile. Selon Jean -Paul Ramadier cité par G. Chaffard, les Carnets secrets de la décolonisation. Calman-Levy T.1 P.311 « La France ne peut se payer le luxe d’une nouvelle situation Nord-Africaine ». Et selon D.Abwa in A.M Mbida, 1er Premier Ministre Camerounais ( 1917.1980 ) l’Harmattan 1993, « Il fallait par ailleurs éviter que l’exemple du Cameroun ne fit tâche d’huile dans les territoires voisins de l’Afrique Equatoriale Française ( AEF) » ( Maroc, Tunisie, Ghana indépendants).
Mais pour la France, changer de politique ne signifiait nullement renoncer à sa main mise sur ses colonies. Il s‘agissait plutôt de continuer la domination et l’exploitation des peuples colonisés sous une forme plus fine, plus subtile, plus insidieuse, ainsi que le montrera l’évolution ultérieure de la situation Camerounaise.
C’est dans cet esprit que Jean Paul Ramadier débarque au Cameroun pour remplacer Pierre Messmer en Février 1958. Pour lui il fallait appliquer le programme de l’UPC sans l’UPC. C’était la meilleure façon selon lui, de briser l’audience de ce parti dans le pays. D. ABWA P.79.
Il faut signaler qu’en 1958 la France venait d’essuyer un autre échec au TOGO qui était, comme le Cameroun, un Territoire Sous-Tutelle. Ce territoire avait connu jusqu’en 1956, année où il est devenu une République autonome, une évolution similaire à celle du Cameroun. Colonisé par l’Allemagne jusqu’à la fin de la première Guerre Mondiale, il a été divisé en deux parties : l’une sous mandant Britannique et l’autre sous-mandat Français. Quand la République autonome du Togo est proclamée cette année-là, c’est Nicolas Grunitsky, pion des français et leader du parti Togolais du Progrès ( PTP) qui en devient le Premier Ministre. Ce qui a provoqué les protestations du Comité de l’Unité Togolaise ( CUT) de Sylvanus Olympio lequel a exigé des élections sous le contrôle de l’ONU ; celles-ci sont organisées en Avril 1958 et conduisent au triomphe du CUT avec 33 sièges, loin devant le PTP avec 3 sièges et l’Union des Chefs et des Populations du Nord avec 10 sièges. C’est donc Sylvanus Olympio qui est devenu 1er Ministre, au grand dam du Haut Commissaire Georges Spenale et de son Administration qui soutenait Grunitsky. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire Hatier, Paris, 1972, P.514.
Instruit de cette expérience Togolaise, la France colonisatrice, comme un chat échaudé, va redouter l’eau camerounaise qui n’était du reste pas froide. Une France honnête et sincère, soucieuse d’appliquer la Charte des Nations Unies, de respecter l’esprit des Accords de tutelle aurait appliqué au Cameroun une politique qui avait si bien réussi au Togo. Mais sans doute le Cameroun était–il déjà le Cameroun puisque selon Charles ASSALE cité par D. ABWA P.63 Opt Cit « Le gouvernement Français s’était appliqué à éviter adroitement, habilement et d’une façon très subtile de nous préparer à la gestion de nos affaires ». In Journal des débats, ATCAM Février 1958, P.98.
La pression sur la France des années 50 s’est accentuée avec la situation qui prévalait au Nigeria, colonie de la Couronne Britannique. La partie du Cameroun Occidentale sous-tutelle Britannique avait été rattachée au Nigeria. Et le Nigeria était déjà sur les chemins de l’indépendance. En 1954, elle était transformée en fédération et en 1957 une charge de Premier Ministre y était créée, selon M. MOURRE Dictionnaire encyclopédique d’Histoire T-6 p .316 Paris Bordas 1982 cité par D. ABWA. La France était donc en droit de penser que l’indépendance du Nigeria était imminente. Le Nigeria pouvait t-il accéder à l’indépendance sans la partie occidentale du Cameroun qui lui était rattachée ? Et cette partie pourrait –elle suivre le Nigeria dans l’indépendance alors que le Cameroun demeurait sous-tutelle ? Il était donc urgent pour la France de songer sérieusement à faire bouger les choses.
La France a donc choisi de jouer au chat et à la souris. Là où il fallait jouer franc jeu pour rester fidèle à son image de pays des libertés et des droits de l’homme. Pour cela, « Elle choisissait avec grand discernement chez ses partenaires des pions susceptibles de l’aider à faire entériner sous couvert de dialogue, les décisions qu’elle avait déjà arrêtées. Tout semblait alors parfait et l’image d’une France généreuse était sauve ». D. ABWA P.93
C’est dans cet ordre d’idées qu’elle s’est servie de A. M. Mbida pour faire passer la loi–Cadre. Elle se servira de la même manière d’Ahmadou Adjidjo pour octroyer au Cameroun l’indépendance de façade promise par M. Jacquet à A. M. Mbida au mois de septembre 1958 à l’Assemblée Nationale Française en présence de Germain Tsalla In document officiels de l’Assemblée Général des Nations Unies, IVème Commission , 13ème session 885ème séance, 27 février 1959 , p. 605 cité par D. ABWA.
Un manège a été monté pour en faire accroire l’opinion que ce n’est qu’après le vote d’une résolution le 24 octobre 1958 dans laquelle l’Assemblée Législative du Cameroun prenait clairement position sur la question que la « généreuse France » s’est prononcée pour l’indépendance du Cameroun le 1er Janvier 1960. L’UPC réclamait pourtant déjà cette indépendance dès sa création en 1948. Si les élections de juin 1951 et de décembre 1956 notamment n’avaient pas été marquées par la fraude, l’UPC aurait eu des représentants dans l’Assemblée Territoriale, devenue Assemblée Législative qui n’aurait alors pas attendu 1958 pour réclamer l’indépendance du Cameroun. En réalité tout était décidé en France.
L’indépendance est donc décidée par une France, sous pression, mais qui entend tout contrôler, pour le 1er Janvier 1960. Cela devait se traduire par un nouveau changement de statut du Cameroun qui devait passer d’Etat sous-tutelle à Etat souverain. Le Cameroun indépendant allait–il fonctionner avec les structures conçues pour l’Etat sous-tutelle ? Surtout que la représentativité des personnes qui animaient ces structures était sujette à caution, suite à la fraude qui avait marqué les élections et la mise à l’écart du parti le plus populaire de l’époque. Les piliers d’une maison en matériaux provisoires sont inadaptés s’il s’agit de construire la même maison en matériaux définitifs. En particulier, le Cameroun indépendant avait besoin d’une Constitution. La procédure normale veut que dans ces conditions une Assemblée constituante soit élue qui fera un projet de Constitution, lequel projet sera soumis à un référendum. A la suite de quoi les institutions prévues sont mises en place selon les modalités prévues par la Constitution adoptée. Par une telle démarche l’on prend en compte effectivement les aspirations de la population et l’on a le plus de chance d’avoir des dirigeants dont l’autorité est fondée sur la volonté du peuple.
Seulement ce cheminement logique n’était pas du goût d’Ahidjo et de ses parrains français. Ils l’on rejetée sans raisons valables et y ont opposé des manœuvres et des intrigues qui avaient pour finalité le maintien du Cameroun dans le giron français, avec au pouvoir un homme sûr.
C’est ainsi que la proposition faite le 28 octobre 1958 à la quatrième commission de la treizième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies par les pétitionnaires de l’UPC ( Félix Roland Moumié, Ndeh Ntoumazah, Michel Doh Kingué et Jean Ngounga) d’organiser un référendum sur la question de l’indépendance, et la réunification, et des élections en vue de la mise sur pied d’une Assemblée Constituante, le tout sous la supervision de l’ONU fut rejetée.
Les circonstances du rejet de ces propositions sont révélatrices de la marge de manœuvre réelle qui était celle d’Ahmadou Ahidjo. En effet, alors que la quatrième Commission attendait encore le retour de la mission de visite de l’ONU, Ahidjo s’est présenté devant elle le 11 novembre 1958 (avant même que la France n’ait déposé le mémorandum annoncé par son Ambassadeur Kosciusko-Morizet le 28 octobre 1958), pour insister sur la volonté des camerounais d’accéder à l’indépendance le 1er janvier 1960. ABEL Eyinga démontre avec pertinence qu’Ahidjo ne lut devant la quatrième Commission qu’une « longue déclaration mise au point par la mission française à son intention ». Après l’avoir lue et ne pouvant valablement répondre aux différentes questions qui lui étaient posées, Kosciusko-Morizet, représentant de la France sollicita un temps de réfection pour préparer ses réponses. Ahidjo ne put répondre que trois jours plus tard et dans sa réponse, il affirma de nouveau l’option à l’indépendance du Cameroun et s’opposa à l’idée d’organiser les élections avant l’indépendance.
Malheureusement pour les nationalistes, la mission de visite de l’ONU qui séjourna au Cameroun du 14 novembre au 06 décembre 1958, induite en erreur par l’Administration coloniale estima inutile l’organisation d’élections avant l’indépendance. L’ONU prit par conséquent la résolution d’accorder l’indépendance au Cameroun sans élection, ni élaboration d’une Constitution préalables.
Les nationalistes ne baissèrent pas les bras et dans un appel lancé à Conakry le 13 Août 1959 par Moumie et Ouandie auxquels s’était joint un Mbida alors prêt à tous les reniements pour étancher sa soif de pouvoir, ils proposèrent la tenue d’une conférence de la table ronde le 20 Août 1959 à Monrovia et la formation d’un Gouvernement de salut public, dont le rôle serait d’organiser les élections sous le contrôle de l’ONU avant le 1er janvier 1960.
L’idée de la Conférence de la table ronde fut favorablement accueillie par l’opinion. Selon Daniel ABWA, de nombreuses personnalités Camerounaises parmi lesquelles certains membres du Gouvernement Ahidjo, des parlementaires et même des simples citoyens se firent violence pour marquer leur désaccord avec Ahidjo qui la rejeta naturellement. Michel Njine, vice premier ministre chargé de l’Education nationale démissionna pour marquer sa désapprobation.
Mais Ahidjo n’en eut cure, il perpétra un coup de force en demandant plutôt à l’Assemblée Législative de lui accorder les pleins pouvoirs. Il demandait ainsi à une Assemblée « élue librement au suffrage universel » selon lui, donc représentative, de le laisser légiférer par décret pendant six mois. Il comptait en profiter pour préparer un texte de Constitution à soumettre à un référendum national. Ce qui est surprenant c’est que l’Alcam a accédé à sa demande renonçant ainsi à jouer son rôle : Ahidjo et son gouvernement ont donc cumulé les pouvoirs Exécutif et Législatif.
Ahidjo en profita pour proposer une Constitution et une loi électorale taillées à sa mesure. Aidé en cela par la France. Il avait l’intention, comme l’histoire le montre, de conserver indéfiniment le pouvoir. C’est donc mû par ses ambitions égoïstes que Ahidjo a choisi de soumettre son projet de référendum à un comité consultatif constitutionnel crée par lui. Ledit Comite comprenait 21 représentants de l’Alcam et 21 personnalités désignées par lui. Est-il besoin de demander pourquoi Ahidjo a mis entre parenthèse l’Alcam ? Il avait déjà rejeté l’idée d’une table ronde regroupant toutes les composantes politiques camerounaises. Ahidjo a préféré choisir les personnes acquises à sa cause pour jouer les faire-valoir. Du moins le croyait-il car des personnalités cooptées telles que Soppo Priso, Mgr Thomas Mongo, Mayi Matip, Inack Njoki, Jacques Ngom, Hans Dissaké et Joseph Mbottey ont refusé de participer à la mascarade. Ils méritent des hommages pour cela. Certes, leur démission du comité consultatif n’a pas empêché Ahidjo de mener son projet jusqu’au bout. Mais au moins a-t-on su que ce qui se passait n’était pas normal.
L’opinion qui n’est décidément pas dupe a en effet rejeté les propositions faites par le gouvernement. Mais la tricherie était là. Comme le dit l’historien D. ABWA dans une note à la page 231 de son livre A. M. Mbida 1er Premier Ministre Camerounais opt.cit « Il est aujourd’hui démontré que les OUI ne l’ont emporté que grâce à une monstrueuse fraude électorale orchestrée pas le Gouvernement Ahidjo avec la complicité active des administrateurs des colonies française encore en place. C’est d’ailleurs face à ce constat ‘’d’échec’’ que Ahidjo fut obligé de prononcer son discours du 25 février 1960 par lequel il annonça non seulement les élections législatives pour le 10 Avril 1960 mais aussi le rétablissement de l’UPC dans la légalité. »
Ahidjo est arrivé au pouvoir porté à bout de bras par la France..
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