Note de lecture de
l’ouvrage « Le secrétaire général de la Présidence de la République du
Cameroun ; entre mythes, textes et réalités. » de Jean-Marie Atangana
Mebara.
Préfacé
par Eric Chinje, cet ouvrage de 326 pages, publié en 2016 par Harmattan, est
divisé en deux grandes parties : dans la première, l’auteur parle de ses prédécesseurs
depuis 1960, année de création du poste, et dans la deuxième, il parle de son
séjour à ce poste. L’auteur de cet ouvrage se trouve derrière les barreaux,
vraisemblablement victime d’un abus. Il a été acquitté en mai 2012, mais est
resté en détention jusqu’à janvier 2015, quand il est condamné à 15 ans de
prison par la cour suprême, qui confirmait ainsi une décision de la cour
d’appel. Il déclare qu’il n’a rien fait contre son pays, contre la société ou
contre ceux qui gouvernent ; il se dit donc innocent et se croyait capable
de le prouver aisément devant les tribunaux. Mais sa situation actuelle prouve
qu’il s’est trompé. En admettant qu’il dise la vérité comme il le prétend, on
ne peut manquer d’être perplexe devant cette attitude que certains assimilent à
de la naïveté, et par la méconnaissance du système, en dépit des hautes
fonctions qu’il a occupées. On est quand même surpris de nombreuses coquilles
qui parsèment ce livre.
La
fameuse opération épervier est contrôlée de bout en bout par M. Biya. En effet
c’est lui-même qui est le destinataire des rapports établis par les
institutions et des organes d’audit et de contrôle de gestion. C’est lui seul qui décide de qui arrêter, de
quand l’arrêter, de où et de comment l’arrêter. Et l’on constate qu’il y a des
personnalités qui auraient dû être poursuivies, mais qui ne le sont pas.
D’autres sont arrêtées, jugées et condamnées à de lourdes peines, mais clament
leur innocence. Il n’est pas clair dans les esprits que les auteurs de
malversations sont systématiquement poursuivis, et du coup le message est
brouillé. Quel est le but réel de cette opération ? Si l’objectif était de
susciter du respect pour le bien public, de rendre les camerounais plus
consciencieux, plus scrupuleux et plus soucieux de probité et moins corrompus,
alors, force est de constater que c’est raté.
L’auteur
se présente tout au long de l’ouvrage comme un fervent chrétien catholique (il
a même cité St Paul) ayant été très proche de certains prélats, comme par
exemple le feu Monseigneur Wouking. Mais on se demande comment un chrétien a pu
servir ce régime animé par une personne à l’intégrité morale douteuse, ayant
pour livre de chevet les ouvrages de Mazarin et de Machiavel, champions de l’intrigue,
du complot, des machinations, et du cynisme. Il a travaillé dans un
gouvernement de rapaces et de prédateurs, où les enfants de chœur n’avaient pas
leur place. Cet ancien directeur de l’Institut Supérieur de Management Public (ISMP)
a évolué dans un environnement où les principes les plus élémentaires du
management sont royalement bafoués,
comme il l’avoue lui-même à la page 265 : « des
considérations politiques ont eu le dessus sur des propositions techniques bien
ficelées ».
Je
trouve que tout au long du livre, l’auteur a ménagé M. Biya, qu’il présente
sous ses meilleurs atours, en essayant de minimiser autant que possible
ses responsabilités dans la situation désastreuse que traverse ce pays. Il
serait travailleur, bilingue et mettrait du soin dans le choix de ses
collaborateurs. Le militantisme dans le parti au pouvoir et l’appartenance aux
sectes ésotériques ne seraient pas des critères déterminants pour l’accès aux
hautes fonctions. Il justifie cette attitude pour le moins étonnante par son double
souci de dire la vérité et de préserver la paix. Seulement, il n’a pas dit
toute la vérité sur les affaires qu’il a choisi d’évoquer, il a évité de révéler
certaines choses qui pouvaient être embarrassantes pour M. Biya, à tout le
moins. Ainsi, parlant de l’acquisition ratée d’un avion présidentiel de 40
millions de dollars chez Boeing, il trouve que le Président a fait preuve de
courage en renonçant à ce projet. Il oublie de dire que ce projet conçu par le
Président en 2001, était inopportun et surtout mal perçu par les bailleurs
sollicités, alors que le pays déclaré Pays Pauvre Très Endetté (PPTE), cherchait
à atteindre le Point d’achèvement, et qu’à peine un dixième des sommes
débloquées (2 millions sur 29 millions de dollars) pour cela par la SNH étaient
parvenues à Boeing. Ils ont donc fait croire que c’est la compagnie aérienne
qui achetait l’aéronef, pour tromper la vigilance des institutions de Bretton
Woods. Le rapport de l’Ambassadeur Mendouga qui insistait sur la nécessité
d’informer les bailleurs de fonds pour que l’opération soit menée à son terme a
dû être l’élément déterminant qui a poussé M. Biya à renoncer
définitivement. Où est donc ce courage dont parle l’auteur ? Les
déclarations suivantes, que l’auteur lui prête,
sont donc ridicules et dérisoires « les
Camerounais ont accepté de lourds sacrifices pour ce Point d’achèvement, à mon
tour je vais continuer à emprunter les avions de location pour mes voyages à l’étranger.
» Donc voyager dans les avions de location est considéré par ce Monsieur comme
un sacrifice, alors qu’il aurait dû réduire sensiblement le nombre de ces
voyages dispendieux et parfaitement inutiles.
Il présente la baisse drastique et
démentielle des salaires des fonctionnaires en 1993 comme un acte politique
courageux, visant à redresser la situation économique du pays. Mais M. Atangana
Mebara feint d’oublier que le Cameroun se portait bien quand M. Biya arrivait
au pouvoir en 1982, et il doit reconnaître qu’au lieu de redresser la situation,
cette décision l’a plutôt aggravée. Où en est-on aujourd’hui ? Quel est le
taux de croissance le plus élevé atteint par ce gouvernement ?
En
application sans doute de l’adage qui veut que toute vérité ne soit pas bonne à
dire, l’auteur a préféré garder certaines informations secrètes, même si dans
certains cas on pouvait deviner la personnalité en question. On apprend ainsi
qu’une personnalité du monde des affaires,
sollicitée pour être Ministre des Finances a décliné l’offre, à la
grande surprise de M. Biya, qui ne s’imaginait sans doute pas qu’il puisse
exister des camerounais capables de refuser des postes ministériels. On
comprend que l’auteur a classé les informations qu’il détient en trois
catégories : d’abord celles qui méritaient d’être divulguées tout de
suite, ensuite celles qui ne le seront que plus tard, et enfin, celles qu’il
emportera dans la tombe. Sur quelles bases a-t-il effectué ce classement ?
Il dit vouloir préserver la paix. On peut aussi supposer qu’il a voulu protéger
certaines personnalités de qui son sort dépend. Du reste, on n’a pas besoin
d’être un sorcier pour deviner qu’un certain nombre d’informations qu’il n’est
pas le seul à détenir finiront par être dévoilées si elles ne le sont déjà. On
constate de toute façon qu’il n’a pas franchi le rubicon en se déclarant
opposant, puis prisonnier politique comme son congénère et compagnon
d’infortune, Hamidou Marafa Yaya.
Ce
poste de SGPR pourtant très convoité, comme tous les postes au Cameroun du
reste, et qui peut être supprimé, comme ce fut le cas entre janvier 1962 et
juin 1965, n’est pas prévu dans la constitution ; il a été occupé par des
personnalités qui se sont retrouvées par la suite à Kondengui (quartier de
Yaoundé qui abrite le célèbre pénitencier) : Titus Edzoa, Hamidou Marafa
Yaya et lui-même, Atangana Mebara. Deux anciens SGAPR aussi sont
incarcérés : Inoni Ephraïm et Siyam Siewe.
Le G11, groupe constitué des
personnalités du régime qui s’organisaient pour prendre le pouvoir à l’occasion
de l’élection présidentielle de 2011, et dont aurait fait partie l’auteur
serait-il donc imaginaire ? Il faut dire que le fait de convoiter le pouvoir
est un crime impardonnable, et on pense que c’est qui a valu à un autre ancien
SGPR, Titus Edzoa des poursuites judiciaires.
Un
autre constat qui se dégage de la lecture de ce livre : M. Biya en
appliquant les principes de Mazarin, connaît bien les membres de sa cour ;
à force de les espionner et de les observer, il connaît leurs petits secrets,
il les tient. C’est ainsi qu’il a mis en garde l’auteur contre certaines
personnalités qu’il trouvait dangereuses. Comment donc peut-il maintenir en
fonction des personnalités dont il sait qu’ils ont commis des
malversations ? On comprend donc que M. Biya n’était pas honnête quand il
réclamait les preuves des détournements alors que Eric chinje, le préfacier les
avait évoqués dans l’une des rares entretiens qu’il ait daigné accorder à un
journaliste camerounais.
Il
y a toujours eu des conseillers techniques français à la Présidence, on cite
entre autres, MM. Rousseau et Domissy en 1960, M. Bescond en 1962, MM
Voillereau et Blanc en 1966, M. Cazes en 1971, etc. En proposant la
constitution de 1958 en France, De Gaulle voulait mettre fin au régime
parlementaire qui prévalait avant et qui était selon lui, source d’instabilité politique
chronique ; il a parlé de régime parlementaire rationnalisé, alors que en fait
il préconisait un régime présidentiel fort. C’est entre autres ce que nos
conseillers toxiques français nous ont fortement recommandé et l’auteur a répété
que le Cameroun est un état centralisé, sous un régime présidentiel fort ;
Le PR cumule d’énormes pouvoirs. Le Pr Godinec parle ainsi de « monocéphalisme
du pouvoir exécutif, d’accumulation des compétences entre les mains du chef de
l’État au détriment des autres organes de l’État ». Les plaintes actuelles
de nos compatriotes à l’Ouest du Moungo trouvent leur source dans ce
jacobinisme désuet.
Le
changement de la Constitution à l’occasion de du passage de la République
fédérale à République unie du Cameroun a été qualifiée par le Pr Lekene
Doncfack de coup d’état civil in « Le
renouveau de la question fédérale au Cameroun », Penant, 1998, vol. 108.
La
répartition des tâches entre le secrétaire général de la Présidence, le
directeur du cabinet civil et le premier ministre est souvent floue et parfois
source de conflit. On a pu dire par exemple que le directeur du cabinet civil
était un PM sans titre.
Le Cameroun est un pays où des lois
peuvent être adoptées, promulguées par le Président de la République, puis
mises dans un tiroir et oubliées ; c’est le cas des lois sur la
décentralisation, la déclaration des biens, la création de la Cour
constitutionnelle, entre autres. Les évènements du Nord-Ouest et du Sud-Ouest
où les compatriotes anglophones se plaignent de maltraitance et de négligence
de la part du pouvoir central de Yaoundé auraient-ils eu lieu si la
décentralisation avait été rendue effective ? Pourquoi faire des lois et
ensuite refuser de les appliquer ?
Parlant
des poursuites engagées contre son prédécesseur Titus Edzoa, et des arguments
utilisés par ses avocats, l’auteur de
cet ouvrage nous rappelle que l’article 53 de la constitution a été modifié en
2008, dans le sens d’une exonération judiciaire totale et absolue du Président
de la République de tous les faits commis pendant son ou ses mandats, pendant
et après celui-ci ou ceux-ci. Dans ces conditions pourquoi M. Biya
s’accroche-t-il toujours au pouvoir ? Ceux qui pensaient que c’est la peur
de l’après pouvoir qui explique son attitude se tromperaient-ils ?
Pour
Titus Edzoa qui avait passé quinze à la Présidence, cet endroit est un enfer.
Il se disait soulagé de le quitter suite à sa nomination comme Ministre de la
santé.
On
apprend que du temps où l’auteur était Ministre de l’enseignement supérieur, le
taux de scolarisation au niveau supérieur était à peine de 4% (nombre
d'étudiants par rapport à la population des jeunes de 18 à 25 ans); alors que
ce taux était de plus de 20% dans les pays à croissance rapide d'Asie, qu'il
était de plus de 10% dans certains pays africains. Ceci n’est pas très
surprenant. En effet beaucoup de bacheliers ne peuvent aller à l’université,
faute de moyens. Les frais universitaires sont extrêmement élevés et les
parents capables de faire face sont de moins en moins nombreux.
Le point d’achèvement pour lequel
beaucoup de camerounais ont été sacrifiés et qui devait se traduire par un
allègement, à défaut de la fin de la souffrance infligée aux populations, mais
néanmoins, dont l’atteinte préoccupait si peu un Président plus soucieux de son
confort et de ses voyages, a été atteint ; mais alors qu’a –t-on fait des
retombées, dont notamment l’allègement substantiel de la dette
camerounaise ? Les salaires dans la Fonction publique restent bas, les
services publics en général et les formations hospitalières demeurent
sous-équipés, l’école est financée par les parents du primaire au supérieur.
La SNH qui commercialise notre
pétrole, a des comptes bancaires au Cameroun et à l’extérieur où est conservée une
partie des recettes pétrolières. Bien qu’étant le Président du conseil
d’administration de la SNH, le SGPR ne connait pas le montant de ces réserves.
C’est le PR qui est le juge d’opportunités et l’ordonnateur des dépenses.
Le Conseil économique et social prévu
à l’article 54 de la constitution, et régie par la loi du 05 juillet 1986
modifiée et complétée par la loi du 23 juillet 2001, est une institution qui
selon l’auteur « peut être utile au pays, en permettant notamment un
dialogue régulier entre les forces vives économiques et sociales de la Nation,
dialogue qui permettrait l’émergence de consensus sur différents problèmes
économiques et sociétaux. » Seulement, ce Conseil ne joue pas son rôle, et
pour cause ! Les 150 membres de ce Conseil, dont le Président est l’une
des plus hautes personnalités de l’Etat, n’ont jamais été nommés. C’est une
coquille vide.
Peut-on prendre M. Atangana Mebara
au sérieux, quand il prétend dire la vérité sur ce régime sans émettre des
réserves, à défaut de les dénoncer, sur les malversations, l’incurie, la gabegie
auxquelles ce régime nous a habitués, et dont il a eu connaissance, de la position
privilégiée qu’il a occupée ? La situation de l’auteur est un symptomatique
de l’incohérence, de l’inconsistance et de l’inconstance de ces nombreux cadres
qualifiés qui se disent chrétiens, mais qui paradoxalement mettent leurs
compétences au service d’un régime autocratique et dont les principaux ressorts
sont la corruption, la tricherie, l’achat des consciences, le tribalisme. Les
résultats traduisent de façon assez éloquente l’échec prévisible et
retentissant d’un tel système. Quel est donc le raisonnement qui aboutit à la
nécessité de collaborer avec un tel système lorsqu’on se dit soucieux de
rectitude morale et de probité ? Que peut-on véritablement obtenir dans un
environnement pollué comme celui qui règne dans notre pays ? Essayer de
changer le système de l’intérieur ? L’histoire récente de notre pays
prouve à suffisance que ceux qui s’y sont frottés se sont piqués, ils ont été
changés alors qu’ils prétendaient changer. Ce qui arrive à M. Atangana Mebara
peut sans doute être considéré comme la justice immanente dont on parle souvent
sans trop y croire. Oui, on ne joue pas avec le diable, autant qu’il est
dangereux de jouer avec le nom du Christ. Tu ne prononceras pas le nom de ton
Dieu en vain, n’est-ce pas ?
181216
Jean-Claude
TCHASSE
PLEG Hors
Echelle
Auteur,
Essayiste, Speaker, Bloggeur
jctchasse.blogspot.com