Parodie de justice.
« Recours recevable, mais non fondé » : voilà le triste dénouement d’un procès qui aura fait 17 ans en « justice » sans que personne ne se croie obligé de s’en excuser. Le plaignant aura payé deux fois la consignation : 15000 F à la Chambre administrative et 25000 F au Tribunal administratif de Bafoussam.
Le recourant se plaignait d’avoir de fait financé des ses poches, sur un salaire considérablement réduit (de 210000 F à 81000 F), une mutation qu’il n’avait pas sollicitée et qui s’était avérée être fantaisiste. Il a reçu la somme de 54713 F comme frais de relève, six mois après la décision de mutation, après avoir été obligé de dépenser 83000 F dans des voyages dont il aurait bien pu se passer. Et si le décret cité dans le chapeau d’affectation avait été appliqué il aurait reçu 238456 F.
Le magistrat rapporteur a ignoré l’exception d’illégalité de tout texte autre que celui cité dans la décision d’affectation, soulevée par le requérant, qui a rappelé dans ses observations qu’il demandait l’application des textes en vigueur au moment de la mutation en question. Comment des juges chargés de constater et de sanctionner les infractions à la loi et dûment saisis ont-ils pu cautionner de telles dérives ? Le rapporteur a également prêté l’intention au recourant d’avoir multiplié les déplacements en vue de se faire rembourser ; comme si, affecté de Bamenda à Bangangté, c’est celui-ci qui avait choisi d’aller à Yaoundé déposer les dossiers de frais de relève ; et comme si c’est lui qui a fait que le traitement du dossier dure 6 mois.
Comment des magistrats, de niveau BAC+5 en principe ont-ils pu ne pas comprendre le sens de « mutation annuelle » dont il est question dans l’article 10 de l’arrêté portant réglementation des mutations au MINEDUC devenu MINESEC ? Les mutations annuelles doivent être publiées avant les grandes vacances ; faut-il ajouter « de l’année concernée » ? Ce serait incorrect, ce serait du mauvais français. Cela signifie, que les mutations de l’année 1996 devaient être publiées avant les grandes vacances de l’année 1996 ; le fait de les avoir signées en septembre 1996 étaient bien une violation de l’arrêté en question, comme l’a dénoncé le requérant. Mais par une interprétation erronée, la mutation de septembre 1996 a été considérée comme régulière parce qu’elles précédaient les grandes vacances de l’année . . . 1997 ! Vous avez bien lu.
Le plaignant déplore le fait que, Professeur de lycées de sciences physiques de son état, il ait été affecté à la bibliothèque, alors que selon le représentant de l’administration qui n’avait pas produit de mémoire en réplique, mais qui néanmoins était présent à l’audience, de tels professeurs étaient rares en 1996 ; les juges, n’ont pas trouvé d’inconvénient à cela, au nom du pouvoir discrétionnaire, cet artifice fréquemment invoqué pour justifier les nominations incongrues et fantaisistes, devenues pratique courante dans notre administration. Or il n’était pas question de nomination ici. Le statut de la fonction publique actuel introduit la notion de poste de travail qui doit correspondre aux qualifications du fonctionnaire et recommande le devoir de désobéissance à un ordre manifestement illégal.
Le caractère disciplinaire de la mutation de 1996, confirmé par une autre mutation survenue en août 1997, relevé par le requérant, a également échappé au rapporteur. C’est une autre violation du statut de la fonction publique qui donne la liste exhaustive des sanctions disciplinaires, et dans laquelle ne figure pas l'affectation disciplinaire, que la collégialité a refusé de prendre en compte.
Quelles chances un fonctionnaire a-t-il de gagner un procès contre l'État au Cameroun? La question est pertinente quand on sait que la toute puissante administration tient entre ses mains le sort de ce fonctionnaire. Elle peut en effet réduire son salaire, geler ses avancements, refuser de payer des primes et les frais de relève, confisquer ses arriérés, affecter le fonctionnaire pour le mettre '' hors d'état de nuire''. Le fonctionnaire dont les moyens sont contrôlés et ont été sérieusement réduits par l'administration et qui veut saisir le juge administratif, est mal parti, surtout dans un contexte où les frais de justice et les honoraires d'avocat sont très élevés. En cas d'appel, ceux des régions doivent aller à Yaoundé pour une suite de procédure toujours plus onéreuse, ce qui complique davantage les choses. Les dés sont pipés. C'est comme un match de football contre un adversaire qui désigne et contrôle l'arbitre, qui peut vous empêcher de manger avant et après le match et qui multiplie allègrement les infractions aux règles du jeu. C'est donc illusoire de parler de justice et ce cas l'illustre parfaitement.
Le déni de justice, dont le requérant était victime depuis 17 ans qu’il attend que la justice se décide à faire son travail a été confirmé ; ainsi va l’administration camerounaise et sa justice ; il est permis à certaines branches, dont les cadres sont pourtant grassement payés et couverts de privilèges et de primes, de sommeiller, tandis que ceux qui se tuent à la tâche sont méprisés. C’était comme si les juges voulaient dire à la Commission européenne qui a financé la décentralisation de la justice administrative : « Vous vouliez la justice ? Vous êtes servis ». On la singe comme on singe la démocratie dans notre pays. On va aux audiences avec des décisions déjà arrêtées, comme le Président l’a laissé entendre dans ce cas lorsqu’il a dit au Procureur général, qui demandait de prendre connaissance des observations écrites du recourant : « cela ne va rien changer ». D’autre part, pendant que le requérant faisait ses observations, le Président était plusieurs fois distrait par le rapporteur qui se croyait sans doute obligé de compléter oralement son rapport à l’audience.
Faut-il faire appel ? Cela en vaut-il la peine ? Qu’est-ce qui garantit à la victime qu’il aura à faire à des juges objectifs et sérieux par la suite ? Surtout qu’il est maintenant obligé de recourir aux services d’un avocat ; ce qui va rendre la procédure plus coûteuse encore. La question est de savoir s’il faut se prêter à ce jeu malsain. Le recourant condamné à payer les dépens aura donc tout perdu. Le recours pourtant justifié pour tout esprit soucieux de légalité s’est avéré être une source d’ennuis supplémentaires. Après avoir payé 15000 F de consignation à Yaoundé, il a attendu 17 ans, payé encore 25000 F de consignation à Bafoussam, et voilà qu’il devra payer 87000 F de dépens. Ajoutez cela aux dépenses mentionnées plus haut et vous aurez une idée de là où cela peut mener d’aller en justice au Cameroun. Si ces messieurs et dames voulaient décourager les victimes des exactions de notre administration, ils ne s’y seraient pas pris autrement.