jeudi 24 septembre 2015

Fanny Pigeaud revisite la crise ivoirienne



«Une histoire tronquée»: Fanny Pigeaud revisite la crise ivoirienne
 source: rfi.fr
C’est une contre-histoire de la crise ivoirienne et des rapports tumultueux entre Paris et Abidjan pendant les années 2000 que raconte Fanny Pigeaud dans son nouvel essai France-Côte d’Ivoire : une histoire tronquée. Journaliste de terrain, l’auteure a couvert plusieurs pays africains pour des médias français. Elle s’est fait connaître en 2011 en publiant Au Cameroun de Paul Biya (Karthala), une enquête cinglante au cœur du régime camerounais, qui avait suscité un vif débat. Dans son nouvel ouvrage, tout aussi décapant, Fanny Pigeaud entend démonter le mécanisme qui a conduit à la guerre ivoirienne, en s’attardant sur le rôle, selon elle, « nocif » des grandes puissances, et en particulier celui de la France qui a encore des intérêts économiques et stratégiques majeurs dans cette ancienne colonie.
RFI: Vous avez intitulé votre essai « France-Côte d’Ivoire : une histoire tronquée ». D'après vous qu'est-ce qui est tronqué ?
Fanny Pigeaud: C’est la vérité qui est tronquée. J’ai essayé de montrer dans mon livre que la France n’est pas intervenue en Côte d’Ivoire pour des motivations humanitaires ou pour sauver le processus démocratique, comme on voudrait nous le faire croire, mais pour protéger ses intérêts dans ce pays en mettant en place un président qui lui soit favorable. La version officielle selon laquelle la France et les Nations unies ont été obligées d’intervenir en Côte d’Ivoire pour soutenir Alassane Ouattara qui avait remporté l’élection présidentielle, et pour faire partir Laurent Gbagbo qui, lui, refusait de reconnaître sa défaite, n'est pas toute la réalité. C’est ce que j’ai découvert en faisant mes recherches et en interrogeant un certain nombre de témoins et d’observateurs.
Quand avez-vous commencé vos recherches ?
J’ai commencé en 2012, alors que j’étais basée en Côte d’Ivoire comme journaliste indépendante. J’écrivais notamment pour Mediapart et Libération. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à travailler sur ce sujet.
Est-ce qu’il y a un événement précis au cours des dernières années qui vous a poussée à vous intéresser de près à la crise ivoirienne ?
Je ne m’étais pas intéressée à la crise ivoirienne à ses débuts, c’est-à-dire au tournant des années 2000, après l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir. J’ai, en quelque sorte, pris le train en marche, puis j’ai remonté le fil à l’envers en essayant de comprendre ce qui s’était réellement passé. Ma prise de conscience de l’importance des événements qui se sont déroulés à Abidjan date de 2011. Je me souviens d’avoir été profondément choquée en apprenant que la France et l’ONU étaient en train de bombarder Abidjan. Il y a eu ensuite l’arrestation de Gbagbo le 11 avril 2011 : je suis tombée sur une dépêche de l’Agence France-Presse qui disait « Gbagbo, enfin arrêté ». Le mot « enfin » m’a stupéfiée. Le sentiment de soulagement que cet adverbe exprimait n’était pas, m’a-t-il semblé, à sa place dans une dépêche d’agence. Pour comprendre ce qui était en jeu, il fallait creuser. C’est ce que j’ai fait pendant les deux ans et demi que j’ai consacrés à cette enquête.
Votre livre est en fait un procès en règle du rôle joué par la France dans cette crise ivoirienne. Comment avez-vous travaillé ? Qui avez-vous interrogé ? Quels sont les documents auxquels vous avez eu accès ?
En journaliste, j’ai consulté des dizaines de documents, lu des textes d’universitaires, des articles de presse, épluché les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Côte d’Ivoire… Il faut savoir qu’une bonne partie des sources documentaires sont facilement accessibles : le livre contient des centaines de références renvoyant à des documents qui sont dans le domaine public. Ce qui manque souvent, c’est le travail de recoupement et d’analyse. L’objectivité, ou plutôt la véracité des faits, en journalisme, est établie par la recherche, le recoupement et l’analyse. Si la question est de savoir si je me suis livrée à ce travail, oui c'est ce que j’ai fait depuis 2012, en vue de publier cette enquête.
Vous procédez en démontant ce que vous décrivez comme des « idées reçues » sur cette crise. Pami elles, le bombardement de la position militaire française à Bouaké en novembre 2004 qui a été perçue comme preuve de la volonté manifeste du président Gbagbo de s’en prendre aux militaires français. A vous lire, c'est une manipulation pour discréditer Laurent Gbagbo. Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ? 
Les circonstances de ce drame restent encore mystérieuses, même si une enquête est en cours. Plusieurs personnalités ont été entendues par la justice française dont des hauts gradés militaires, mais aussi Laurent Gbagbo. En 2004, le gouvernement français a accusé ce dernier d’avoir fait tirer par son aviation sur une position militaire française installée dans un lycée à Bouaké, faisant 9 morts et 38 blessés parmi les soldats français. Il semble aujourd’hui que ce bombardement n’a jamais été ni souhaité ni décidé par Laurent Gbagbo, et qu’il y a eu une manipulation par des officiels français afin de pousser le président ivoirien à la faute et justifier ensuite une intervention militaire contre lui. Devant la juge d’instruction en charge de l’enquête sur cette affaire, un militaire français a parlé de « bavure manipulée ». Il semble que les Sukhoï de l’armée ivoirienne auraient dû lâcher leurs bombes sur une base qui était fermée. Il n’était pas prévu que des soldats aillent s’abriter dans cette base.
Et qu’en est-il de l’affaire Guy-André Kieffer qui a fait couler beaucoup d’encre ?
Il y a deux versions sur la disparition à Abidjan, en avril 2004, de ce journaliste franco-canadien. Les adversaires de Gbagbo accusent des proches de ce dernier. On a ainsi dit que Kieffer avait un rendez-vous avec un beau-frère de Simone Gbagbo le jour de sa disparition. Mais aujourd’hui on constate que si le mystère qui entoure cette affaire n’a pas pu être éclairci entre 2004 et 2011, l’affaire n’a pas avancé non plus depuis avril 2011, date de l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir. Plusieurs de ceux qui ont été incriminés dans cette affaire sont pourtant en prison depuis avril 2011 et donc à la disposition de la justice. On peut se demander s’il ne faut pas se pencher aujourd’hui sérieusement sur la version avancée par les proches de Gbagbo qui disent qu’au moment où Guy-André Kieffer a été enlevé, il était en route vers la présidence ivoirienne pour remettre un rapport sur des malversations dans le secteur du cacao. Secteur qu’il connaissait très bien et dans lequel des acteurs de tous bords, ivoiriens et non ivoiriens, étaient impliqués.
Vous présentez Laurent Gbagbo comme un homme qui n’était soutenu par aucun réseau et qui a fait les frais des ambitions politiques françaises. N’est-ce pas une vision un peu simpliste ?
Mes recherches m’ont conduite à penser que Gbagbo n’est pas un homme qui aime la guerre. Face au conflit déclenché en 2002 par la rébellion des Forces nouvelles, il a toujours essayé de préserver un semblant de paix. Ses adversaires l’ont accusé de ne pas appliquer les différents accords de paix signés pendant les années de crise, alors qu’il a en réalité cédé à leurs demandes, en permettant, par exemple, à Ouattara d’être candidat à la présidence. Et cela, malgré l’opposition de ses partisans et de certains de ses collaborateurs. Du point de vue des Français, Gbagbo avait le tort d’être socialiste et d’être arrivé au pouvoir sans passer par les réseaux franco-africains. Le patronat français s’inquiétait aussi de voir les entreprises de l’Hexagone perdre leurs positions privilégiées au profit des Chinois. Même si Gbagbo maitrisait très bien le jeu politique ivoirien et français, il n’a pas réussi à instaurer le rapport d’égal à égal qu’il souhaitait avec la France.
Pourquoi n’a-t-il pas réussi ?
Parce que les pressions étaient trop grandes. En Afrique, la France a toujours une très forte influence. Cela lui permet de tenir ses anciennes colonies qui peuvent difficilement contester ses diktats. Elle a aussi les moyens d’influencer l’ONU grâce à son statut de membre permanent au Conseil de sécurité. On l’a vu avec l’adoption de la résolution 1975 en mars 2011 qui a conduit l’ONU et la France à faire la guerre en Côte d’Ivoire : la France a fait adopter et a violé cette résolution sans être un seul moment inquiétée. Laurent Gbagbo a de son côté essayé de jouer sur plusieurs tableaux, en donnant par exemple des contrats à des entreprises françaises. Il a donné beaucoup de gages espérant avoir la paix en contrepartie, mais cela n’a pas suffi. Est-ce parce qu’il ne baissait pas les yeux devant le maître, comme me l’a dit un intellectuel que j’ai interrogé ?
A quel moment la décision de pousser Laurent Gbagbo vers la sortie, a-t-elle été prise ?
Très tôt après l’élection présidentielle de 2000. Les discours, les prises de position du nouveau président ont gêné. Il paraissait peu contrôlable. Il a par exemple remis en cause l’attribution à Bouygues du contrat de construction d’un troisième pont à Abidjan. Plus grave encore, ses ministres ont évoqué la possibilité de fermer la base militaire française installée en Côte d’Ivoire depuis l’indépendance. D’autres critiquaient le système de la zone franc et du franc CFA. Cinquante ans après les indépendances, l’histoire coloniale continue de peser lourdement sur les rapports entre la France et l’Afrique francophone. Tout cela est de l’ordre du réflexe, intériorisé par les officiels français. Je m’en suis rendu compte en lisant, notamment, un certain nombre de documents officiels français où on utilise encore le terme « métropole » pour désigner la France !
La droite française a très vite tiré à boulets rouges sur Gbagbo. On comprend moins bien pourquoi les socialistes dont l’ancien président a été longtemps proche, ne l’ont jamais réellement défendu ?
Je crois que les hommes politiques de gauche comme ceux de droite n’ont pas apprécié que Gbagbo leur parle d’égal à égal. Il y a eu en outre une telle propagande médiatique contre lui en France qu’il était sans doute difficile pour les socialistes français de le défendre face à l’opinion publique convaincue de son double jeu. Mais il apparaît aussi assez nettement que le pouvoir français, qu’il soit issu de la droite ou de la gauche, suit toujours la même politique vis-à-vis des anciennes colonies africaines de la France : seule compte la protection des intérêts économiques et militaires français.
Gbagbo n’a-t-il pas, lui-même commis des erreurs ?
Une de ses erreurs les plus importantes a été son renoncement à obtenir le désarmement des Forces nouvelles, la rébellion alliée à Ouattara. Or, les Forces nouvelles contrôlaient toujours 60% du territoire au moment de l’élection présidentielle : à cause de leur présence et de leurs armes, le vote ne pouvait évidemment pas s’y dérouler correctement. Gbagbo ne s’est pas non plus toujours bien entouré et n’a pas construit un réseau à l’image de celui de ses adversaires. Cela lui a coûté cher : faute d’appuis solides, il a perdu le soutien de l’Union africaine, qui après avoir pris le parti de Alassane Ouattara avait fini par pencher de son côté. L’Union africaine l’a précisément lâché après une rencontre de Jacob Zuma avec Sarkozy à Paris en mars 2011. Mais à ce moment-là, tout était déjà joué : la guerre était en préparation en Côte d’Ivoire pour faire tomber Gbagbo. Dans le livre, je donne le détail du déroulement de cette guerre et des éléments sur le rôle majeur que la France a joué dedans.
Attardons-nous encore un instant sur les erreurs de Laurent Gbagbo. Vous n’évoquez pas du tout le rôle de son entourage, notamment celui de son épouse qui a été accusée par la presse d’avoir été la Lady Macbeth de Laurent Gbagbo. Qu’en pensez-vous ?
Je rappelle mon objectif de départ : comprendre pourquoi un contentieux électoral a conduit la France et l’ONU à effectuer des bombardements sur une capitale, ce qui n’était jamais arrivé nulle part ailleurs. Pour cela, j’ai donc remonté le fil de l’histoire, j’ai tenté de dépasser les idées reçues, les partis pris, les caricatures et je me suis attachée aux faits. Le résultat auquel je suis arrivée montre que ces faits vont à contre-courant de l’histoire que l’on nous a racontée. Le portrait de Gbagbo que la majorité de la presse a véhiculé ne correspond pas à ce que j'ai découvert. Il serait sans doute utile d’enquêter sur les sources, sur ce qui a alimenté ce portrait de l’ancien président et de sa femme. Je donne quelques pistes sur cette question dans le livre. A propos du cas de Simone Gbagbo qui vous intéresse : elle n'a eu qu'un rôle très mineur dans les événements et l'influence sur son mari qu'on lui a attribué ne correspond pas, là non plus, à la réalité. Un seul exemple : elle faisait partie de ceux qui s'opposaient aux accords « de paix » imposés par la communauté internationale à Gbagbo au cours des années 2000. Or, ce dernier les a quasiment tous acceptés et signés. Il faut peut-être s'interroger sur la quasi obsession qu'ont eue une partie des journalistes pour quelques personnalités, et se demander si elle n'a pas empêché la compréhension des événements.
Votre vision de Gbagbo semble plutôt angélique. Fin stratège, l'ancien président ivoirien, n’a-t-il pas, à son tour, instrumentalisé le ressentiment anti-français de son camp pour retarder l’échéance de l’élection présidentielle de 2005 ?
Le résultat de mes recherches ne montre pas que Gbagbo ait été « fin stratège » comme vous le dîtes. S’il l’avait été, il ne serait probablement pas aujourd’hui dans une cellule à La Haye. Dans le livre, je donne le détail des événements qui ont empêché l’organisation de la présidentielle en 2005. Gbagbo n’a pas eu besoin d’instrumentaliser un ressentiment anti-français : les Français n’ont-ils pas, pendant toutes ces années, provoqué et alimenté eux-mêmes ce ressentiment avec, par exemple, les événements de novembre 2004 au cours desquels l’armée française a tiré depuis l’hôtel Ivoire et tué plusieurs dizaines de jeunes Ivoiriens non armés ?
Vous critiquez aussi l’ONU dans cette affaire. En quoi l’organisation internationale était-elle sortie de son rôle d’arbitre ?
Le représentant spécial de l’ONU en Côte d’Ivoire, Young-Jin Choi, s’est laissé instrumentaliser. Il est allé au-delà de son mandat en donnant le nom de celui qui était, selon lui, le vainqueur de l’élection. Or, il n’avait pas à dire qui était vainqueur ou non. Il devait simplement dire si l’élection s’était oui ou non déroulée dans des conditions acceptables. Ce n’était bien sûr pas le cas : il y a eu des irrégularités dans le Nord où, les Forces nouvelles n’ayant pas été désarmées, le vote n’a pas pu se dérouler normalement. En discutant avec des diplomates occidentaux non français, je me suis rendu compte que pour ces derniers il fallait un vainqueur à tout prix : ils pensaient que c’était le seul moyen pour en finir avec la longue crise ouverte en 2002 par les Forces nouvelles. Peu importait la manière dont l’élection s’était déroulée !
Vous laissez entendre dans votre ouvrage qu’Alassane Ouattara a été mêlé à la terreur semées dans le pays par les Forces nouvelles. Est-ce qu’on pourrait imaginer qu’un jour il soit entendu par la justice internationale au titre des violations commises par son camp ?
C’est à la justice internationale de le décider. Pour l’instant, elle ne semble pas vouloir le faire. Ouattara a évidemment une part de responsabilité dans la crise de toutes ces dernières années, et en particulier dans le massacre de centaines de personnes à Duékoué, commis par ses troupes fin mars 2011. Des ONG ont documenté les faits, mais la justice internationale n’a encore émis aucun mandat contre les acteurs de ces tueries sans précédent. La Cour pénale internationale (CPI) s’est bornée jusqu’ici à inculper Gbagbo et à obtenir son transfert à La Haye, ainsi que celui d’un de ses proches, Charles Blé Goudé, du Congrès des jeunes patriotes. La justice internationale ne donne pas l’impression d’être impartiale. Il ne faut pas oublier que la CPI est en partie financée par la France.
En conclusion de votre essai, vous écrivez que « l’ingérence par la force de la France a compromis l’avenir de la Côte d’Ivoire ». Pourtant, sur le terrain, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ouattara, le pays semble avoir renoué avec la croissance économique et sa vitalité culturelle d’antan. Il y a incontestablement un mieux-être.
Les chiffres de l’économie sont officiellement bons, les avis le sont moins. La situation reste précaire, d’autant que la guerre a laissé sur le terrain des dizaines de milliers d’armes qui circulent dans les mains des ex-combattants pro-Ouattara. Une partie d’entre eux seulement a été intégrée dans l’armée régulière. Beaucoup d’autres sont frustrés, comme les anciens membres du « Commando invisible » qui a combattu à Abidjan pour Ouattara. Certains seraient prêts à reprendre les armes si on le leur demandait. Il y a aussi des tensions au sein même du pouvoir. Pendant ce temps, des centaines de présumés « pro-Gbagbo » sont en prison depuis 2011 sans avoir été jugés. Il y a un ensemble d’indicateurs qui montre que l’avenir est inquiétant.


mercredi 23 septembre 2015

Note de lecture de l’ouvrage: Au Cameroun de Paul Biya de Fanny Pigeaud





Note de lecture de l’ouvrage Au Cameroun de Paul Biya de Fanny Pigeaud éditions Karthala, 2011

Après avoir relevé la méconnaissance du Cameroun à l’extérieur et le peu d’intérêt que ce pays suscite chez les journalistes étrangers, l’auteure revient sur les indicateurs économiques et les classements peu flatteurs de notre pays. Jugez en vous-mêmes : malgré ses richesses exceptionnelles, ce pays de 20 million d’habitants présentait en 2010 un taux de croissance de 3,2%, inférieur à la moyenne mondiale (4,8%), africaine (5%), et sous-régionale (4%). Notre pays était en retard par rapport aux Objectifs Millénaires de Développement (OMD). Par ailleurs l’indice de perception des affaires de « Doing Business » le classait au 168è rang sur 183 pays en 2011. Au classement des pays les plus compétitifs du Global Competiveness Index du World Economic Forum (WEF) il occupait le 111è rang sur 133. Au classement selon l’Indice de Développement Humain (IDH) le pays est 131è sur 169, inférieur à la moyenne réalisée par l’Afrique Subsaharienne. Selon l’auteure, ces mauvaises performances s’expliquent par « les conditions désastreuses d’accession à l’indépendance et à la très faible qualité du leadership qui en a résulté. »  Les dirigeants font tout pour rester au pouvoir sans pour autant gouverner.
Pour comprendre ce qui se passe l’auteure plonge dans l’Histoire du Cameroun et commence avec l’installation en 1860 des firmes allemandes Woermann et Jantzen und Thormählen, et la signature des traités les 11 et 12 juillet 1884 entre les Rois Deïdo, Akwa et Bell d’une part, et les compagnies allemandes d’autre part. Les allemands étaient à la recherche de territoires à exploiter, et ils n’ont pas fait de cadeaux aux autochtones ; expropriations, travaux forcés, tel était le lot des habitants du territoire à  cette époque-là. A partir de la Côte, les allemands ont progressé vers l’intérieur, ce qu’ils appelaient « hinterland », mais cela n’a pas été facile. Ils ont eu à faire face à la résistance des peuples auxquels ils ne se sont imposés que par la force et la collaboration de quelques indigènes comme par exemple Charles Atangana et Mebenga Ebono (Martin Paul Samba), avant sa révolte pour des raisons purement personnelles. Parmi les résistants à l’expansion allemande, on note Rudolf Douala Manga Bell et son secrétaire Adolphe Ngosso Din pendus le 08 août 1914.
La présence allemande s’est achevée dès 1916, avant la fin de la 1ère  guerre mondiale perdue par l’Allemagne en 1918, et le territoire délimité à la fameuse conférence de Berlin, a été partagé en deux, entre la France qui aura la partie orientale la plus grande, et la Grande Bretagne à qui reviendra la partie occidentale. Ces territoires sont sous mandat de la Société Des Nations (SDN). L’auteure note que malgré ce statut, les puissances occupantes géraient les territoires comme des colonies. La France a ainsi fait appliquer le Code de l’indigénat au Cameroun Oriental. Le mauvais traitement des travailleurs, les injustices contre les autochtones, sont à l’origine de la grève des cheminots de septembre 1945 qui a fourni un prétexte aux colons, réunis au sein de l’association des Colons du Cameroun (ASCOCAM) et aux « forces de l’ordre », pour massacrer les grévistes et les autres passants. Entre temps, l’instituteur Gaston Donnat, avec Etienne Lalaurie et Maurice Soulier, militants de la Confédération Générale du Travail (CGT) française avaient déjà semé la graine de la résistance par l’action syndicale, qui allait grandir. Après la deuxième guerre mondiale, avec le remplacement de la SDN par l’ONU, les deux portions du Cameroun ont vu leur statut évoluer de territoire sous mandat à territoire sous tutelle. Mais pour Paris et Londres, cela ne faisait pas de différence, puisque ces puissances continuaient à se comporter comme en colonie.
A la suite de la création de l’Assemblée Représentative du Cameroun (ARCAM) en 1947 avec ses deux chambres, il fallait que les populations, séparées en deux collèges d’électeurs, désignent leurs représentants dans les proportions suivantes : 16 pour 3000 colons et 24 pour 3 millions d’indigènes ; remarquez la disproportion. Les locaux étaient largement sous représentés. Ce qui est étonnant c’est que jusqu’en 2015, il y a des régions qui sont mieux représentées que d’autres à l’Assemblée Nationale (la Région du Sud avec 698227 habitants en 2010 a 11 députés, alors que le Nord, avec 2089924, soit presque le triple, n’a que 12 députés ; le Sud-Ouest avec 1395931 habitants, donc moins peuplé que le Nord, a 15 députés). Revenons à Fanny Pigeaud. L’année 1948 est marquée par la création, le 10 avril de l’Union des populations du Cameroun (UPC) qui sera dirigée plus tard par Ruben Um Nyobé. Ce parti réclamait, en s’appuyant sur les accords de tutelle, l’indépendance et la réunification du Cameroun au moment où la puissance colonisatrice n’y pensait pas. Ce parti peu docile et qui entend affirmer son indépendance va mettre l’administration coloniale mal à l’aise par son discours, ses méthodes et sa capacité de mobilisation. A partir de ce moment ce sera la confrontation. Les émeutes de mai 1955 vont fournir à cette administration le prétexte qu’elle cherchait. L’UPC, déjà combattue, sera interdite en juillet 1955. Et l’administration va lui préférer des partis plus accommodants et plus dociles, qu’elle considère comme « modérés » par opposition aux « radicaux » de l’UPC. La France contrôle le processus d’accession du pays à l’indépendance, et par des manœuvres et des fraudes, l’UPC, pourtant le parti le plus populaire de l’époque sera écarté des différentes Assemblées qui seront élues. Elle veut donner le pouvoir à des hommes malléables qui se prêtent à leur jeu, et qui vont sauvegarder leurs intérêts, en leur permettant l’accès aux richesses dont regorge le pays. Voilà l’origine de la guerre d’indépendance au Cameroun.
Ahidjo est installé au pouvoir à la suite de ces manigances de la France. Il est passé de Premier Ministre d’un état autonome à Président de la République du Cameroun par des manipulations dont seuls ses maîtres français ont le secret. N’eût-il pas été logique de mettre en place de nouvelles institutions pour le nouvel Etat indépendant, après dissolution pure et simple de celles qui étaient prévues pour l’Etat autonome ? Au lieu d’élire une Assemblée Constituante qui devait adopter un projet de Constitution à soumettre par référendum à la population, c’est l’Assemblée législative qui a continué, avec l’aide des français à faire des manigances qui ont fait d’eux des députés et de M. Ahidjo le Président de la République. La répression des rebelles et des opposants, taxés de subversifs (ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962 contre la subversion), va se poursuivre avec la police secrète, la fameuse Direction de la Documentation (DIRDOC) de Fochivé, qui va se livrer à d’innombrables abus, comme par exemple, l’incendie du marché Congo à Douala en janvier 1960,  le train de la mort en février 1962, l’exécution après une parodie de procès, de Ernest Ouandié le 15 janvier 1970. On dénombrait environ 200 prisonniers politiques en 1980.
En 1977 le Cameroun devient producteur de pétrole il commence à 50000 barils cette année-là pour se retrouver à 6 millions de barils en 1982. Le taux de croissance a atteint 13% en 1981 et les fonctionnaires étaient bien payés avec des augmentations régulières de salaires. Mais côté droits de l’homme ce n’était pas fameux comme signalé ci-dessus. Le Cameroun est dirigé par un régime autoritaire, avec le parti unique UNC.
M. Biya prend le pouvoir en 1982 à la suite de la démission de Ahidjo pour des raisons qui restent mystérieuses. Son arrivée au pouvoir suscite un immense espoir, avec ses promesses d’ouverture démocratique et son discours sur la rigueur et la moralisation. Cette transition n’a pas été pacifique puisque Ahidjo qui a traité plus tard Biya de faible et fourbe a voulu reprendre son pouvoir. Mal lui en a pris ; il a dû quitter le Cameroun précipitamment pour un exil en France d’abord, puis au Sénégal où il est resté jusqu’à sa mort en 1989. Entre temps il y a eu tentative de coup d’état le 06 avril 1984. Cela a fourni un prétexte aux faucons du régime pour se débarrasser de la Garde Républicaine et des nombreux officiers nordistes que comptait l’armée camerounaise. D’autres cadres civils, originaires du Grand Nord n’ont pas échappé à cet arbitraire. Détentions sans jugements, confiscation des biens, exécutions sommaires, fosses communes. Voilà le sort qui leur était réservé. La Garde Républicaine de Ahidjo a été remplacée par la Garde Présidentielle, véritable Armée dans l’Armée, couverte de privilèges et dotée de moyens colossaux, sans aucune commune mesure avec sa mission officielle qui est de protéger M. Biya. C’est rien de moins qu’une garde prétorienne financée par le contribuable, au service d’un individu.
La crise économique arrive en 1986 avec la chute du dollar et la baisse drastique des recettes pétrolières qui sont passées de 722 milliards en 1984/1985 à 233 milliards en 1987/1988. Il y a également eu la chute des prix du cacao et d’autres facteurs externes qui ont conduit à la crise. Mais comme l’auteure le précise les facteurs internes ont été tout aussi déterminants. La gestion des finances publiques est loin d’être exempte de reproches, tant s’en faut. On signale dans ce cadre l’augmentation des dépenses de l’état, les recrutements massifs dans la Fonction publique (le nombre de fonctionnaires passe de 80000 à 180000 entre 1982 et 1986), les crédits complaisants, finalement non remboursés, accordés par les banques aux pontes du régime et aux hommes d’affaires du Nord et de l’Ouest. M. Biya va se « rattraper » en accordant aussi de tels crédits à des « hommes d’affaires » du Centre et du Sud. Le Gouvernement a continué dans sa lancée dispendieuse et M. Biya s’est même permis de déclarer le 20 juin 1987 devant l’Assemblée Nationale : « nous n’irons pas au FMI », alors que la croissance était devenue négative (-6,4% en 1987, -13,3% en 1988). Avec l’aggravation de la crise le Cameroun est finalement allé au FMI en 1988, et a obtenu en 1989 un premier prêt d’ajustement structurel contre la promesse d’abandonner les secteurs sociaux, de liquider des entreprises publiques, de réduire les effectifs et/ou les salaires, etc. Le Cameroun qui était un pays à revenu intermédiaire est devenu un pays pauvre très endetté. On note que c’est le pays d’Afrique qui a connu la plus forte régression. La dette est passée de 17% du PIB en 1975 à 53% du PIB en 1991. Le revenu par habitant a baissé de 50% entre 1986 et 1993.
C’est dans ce contexte de crise économique et sociale qu’interviennent les années de braise, marquées par la revendication pour le pluralisme politique et une Conférence nationale souveraine, alors que le pouvoir n’en voulait pas. C’est sous la contrainte, avec les villes mortes notamment, que M. Biya cède en faisant organiser une tripartite qui s’est révélé être de la poudre aux yeux. Le débat promis sur la Constitution n’a pas eu lieu. Il n’y a donc pas eu de consensus autour de la Constitution de 1996, présentée comme une simple loi modifiant la Constitution de 1972.  C’est cette constitution, qui limitait en son article 6.2, le nombre de mandats présidentiels, qui a été modifiée en 2008 pour permettre une autre candidature de M. Biya, sans quoi il était inéligible. Le pouvoir a organisé des élections en 1992. D’abord les législatives en février : le RDPC est minoritaire et doit conclure des alliances pour avoir une majorité à l’Assemblée. A l’élection présidentielle en octobre M. Biya est battu par John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF) comme l’avouent aujourd’hui certains pontes du régime, mais il s’accroche au pouvoir grâce à la complicité de l’administration qui trafique les PV et inversent les chiffres d’une part, et le soutien actif de la France d’autre part. Voilà un Monsieur nommé Président de la république et qui perd la première élection libre qu’il organise. C’est bien la preuve que la nomination ne confère pas la compétence. Les déplacements de M. Biya à l’intérieur du Cameroun sont rares ; il passe le plus clair de son temps à l’extérieur dans des hôtels luxueux au frais du contribuable. Il n’est préoccupé que par sa sécurité et l’armée qui peut être une menace est choyée. Elle a été épargnée des baisses drastiques de salaires de 1993, et les généraux couverts de privilèges, restent en service à des âges très avancés.
La domination par le RDPC de la scène politique n’est pas due à une large adhésion des populations à ses idéaux. Grâce à son pouvoir de nomination, le Président du RDPC contrôle l’administration qui est à son service. C’est ainsi que pour évoluer, le fonctionnaire doit adhérer au RDPC. Ce parti peut formater l’esprit des étudiants de l’ENAM, cette école qui forme les hauts fonctionnaires et les magistrats. Ce parti utilise les moyens de l’état et contraint les entreprises privées à le financer. Les récalcitrants sont tenus à l’écart des marchés publics ou sont accablés d’impôts. Voilà comment tous les hauts fonctionnaires et les grands hommes d’affaires du pays sont membres de ce parti. Les chefs traditionnels n’échappent pas à la règle ; ils ont tous les alliés du pouvoir et ceux qui résistent sont remplacés. Le pouvoir ferme les yeux sur les exactions de ces chefs qui sont ses alliés. Malgré ses abus, le redoutable lamido de Rey Bouba n’a jamais été inquiété. Pas plus que le fon de Bali Kumbat.
Aucune des élections organisées au Cameroun n’a jamais été transparente ; il y  a toujours eu des fraudes et des tripatouillages : inexistence ou non respect du calendrier électoral, refus d’inscrire des électeurs, charters d’électeurs, votes multiples, bureaux de vote furtifs et fictifs, trafic des PV, inversion des chiffres, suffrages exprimés supérieur au nombre de votants, vol des urnes, manque de matériel électoral, achat des bulletins des opposants, vote d’électeurs absents, expulsion des représentants des partis d’opposition, pression sur les électeurs, etc. Les différents organes de contrôle d’élection créés sous la pression des bailleurs sont contrôlés par les membres du parti au pouvoir. Et l’administration, principale responsable des fraudes électorales, qui devait être écartée du processus électoral y a été maintenue par un amendement de la loi portant organisation de l’organe électoral.
Une grande partie de militants adhèrent au RDPC pour protéger leurs carrières et leurs affaires, d’autres par contre sont à la recherche des postes hauts placés et des mandats électifs, source de privilèges. Beaucoup d’appelés et peu d’élus. Pour chaque poste, il y a de nombreux postulants. Il y a donc une concurrence et une rivalité féroces entre les membres de ce parti, et certains usent de toutes sortes de moyens pour atteindre leurs objectifs ; corruption, trafic d’influence, intrigues, manipulations, magie, sorcellerie, trafic et manducation des organes humains, adhésion aux sectes ésotériques, crimes rituels sont ainsi mis à contribution. M. Biya a fait verser de grosses sommes à ces sectes ; Rose Croix, ordre du temple solaire, etc. La presse privée par exemple est utilisée pour dénigrer des adversaires ou à contrario pour se donner une bonne image. On peut même faire présenter un adversaire comme un prétendant au pouvoir, sachant que cela va en faire un ennemi du Président qui n’aime pas que l’on convoite ouvertement son pouvoir. C’est ainsi que les principales victimes de l’opération « épervier » sont les animateurs du G11, groupe mis en place pour réfléchir sur une possible alternance en 2011. Pour empêcher des alliances contre lui, M. Biya encourage la rivalité, ou la crée quand elle n’existe pas encore, entre les membres de son entourage proche. C’est l’impossibilité de se fier à son mérite et à sa compétence pour avoir des postes de responsabilité, et le fonctionnement arbitraire et incompréhensible du système Biya  qui encourage les pratiques irrationnelles. L’homosexualité utilisée dans les cercles du pouvoir depuis les années 1950 fait partie des pratiques mystiques pour accéder au pouvoir ou pour s’y maintenir.
Le tribalisme est une arme dangereuse que M. Biya manie pour conserver son pouvoir. C’est ainsi qu’il a toujours favorisé les camerounais originaires du Centre et du Sud dans les nominations et lors de la sélection  pour l’entée dans les grandes écoles comme l’ENAM, l’EMIA ; l’Ecole de Police. Le Ministre de la Défense, Le Chef d’Etat Major de l’Armée Camerounaise, le Délégué Général à la Sûreté Nationale sont tous des Bulus, ethnie du Président. M. Joseph Owona a déclaré que si cela ne dépendait que d’eux un Bamiléké n’arriverait jamais au pouvoir au Cameroun. Après avoir vainement essayé se susciter des hommes d’affaires Bétis avec notamment des crédits non remboursés et des exonérations fiscales de toutes sortes, ils ont fait venir des indo pakistanais pour concurrencer les camerounais non Bétis.
Les émeutes de 2008 ont donné le prétexte à André Mama Fouda, Ministre de la Santé, et Gilbert Tsimi Evouna, Délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé,  de signer une déclaration demandant en substance aux prédateurs venus d’ailleurs de quitter rapidement leur sol où ils sont désormais en insécurité. Ces « prédateurs » sont les camerounais non bétis qui habitent à Yaoundé. En 1992, suite aux élections perdues par M. Biya, les Bamilékés de certaines villes du Centre (Akonolinga notamment) avaient été agressés et chassés à l’instigation des pontes du régime originaires de ces régions. Leurs biens ont été pillées et leurs maisons incendiées. Les auteurs de ces actes et de ces déclarations, qui dans d’autres pays ont provoqué la guerre civile, n’ont jamais été inquiétés. Pire, un Ministre Bamiléké, célèbre pour ses mensonges et appelé pour cela « zéro mort » s’est permis de déclarer à la télé « ce sont mes frères, je les connais ; ils incendient eux-mêmes leurs maisons après avoir mis leurs effets en sécurité.» Comme quoi, certains camerounais sont prêts à vendre père et mère pour un poste au Gouvernement. Le pouvoir a toujours financé des milices ethniques pour le soutenir contre les autres camerounais. Ceux des camerounais Bétis ou Boulous qui ne soutiennent pas le pouvoir sont menacés, comme le sociologue et prêtre Jean-Marc Ela qui a dû s’exiler, et même assassinés comme le Père Engelbert Mveng. Et d’autre part les faucons du régime originaires du Centre et du Sud s’organisent pour rester au pouvoir après le départ de M. Biya, qu’ils ont du reste essayé de renverser. Celui-ci n’a d’ailleurs échappé au coup en préparation que grâce à la France qui l’avait averti. A quoi vont servir les fortes sommes détournées, si ce n’est à la constitution et à l’équipement des milices tribales en vue de la conservation du pouvoir ?
La corruption et les détournements de deniers publics sont des pratiques tolérées, voire encouragées au Cameroun. Ces pratiques font partie du fondement du système. Loïc le Floch-Prigent, ancien directeur de la Compagnie Elf a déclaré au cours de son procès en France qu’il a donné à M. Biya un pourcentage sur chaque baril de pétrole quand ils ont obtenu une concession. En 1992, M. Biya avait besoin de 45 millions de dollars pour sa campagne électorale, et d’après Alfred Sirven, ancien Directeur des Affaires Générales de Elf, Elf a accordé ce prêt, gagé sur la production future de notre pétrole. Le journal le Messager avait dénoncé la vente par anticipation de notre pétrole. Une partie de ces 45 millions de dollars a été détournée vers une société off shore située dans les îles Vierges. Selon les estimations, seulement 46% des recettes pétrolières ont été intégrés au budget entre 1977 et 2006. Le montant des recettes disparues entre 2000 et 2006 est estimé à 2,6 milliards de dollars. Le secteur de la foresterie est également concerné par la corruption et les montants en jeu donnent le tournis. Toujours la corruption ; selon la CONAC, 2,8 milliards d’euros de recettes publiques ont été détournés entre 1998 et 2004, et d’après un responsable en 2006, la corruption soustrayait jusqu’à 50% des recettes de l’Etat. 500 milliards, soit 5% du PIB finissent chaque année dans les poches d’individus. Des enquêtes du Contrôle Supérieur de l’Etat ont montré qu’au moins 1845 milliards F CFA avaient été volés entre 1998 et 2004. P.158.
Autrefois autosuffisant, le pays est devenu importateur de produits alimentaires pour 500 milliards par an.
A cause de cette mauvaise gouvernance, les taux de croissance (3,2% en 2010) ne suffisent pas pour rattraper le taux de croissance démographique (3,5%). Et pourtant la dette du Cameroun a fortement été réduite dans le cadre l’initiative de l’allègement de la dette multilatérale des PPTE ; cette dette est passée de 45% à 5% du PIB. Il n’est pas surprenant dans ces conditions que les camerounais continuent de souffrir. Les dépenses de santé représentent seulement 8% du budget au lieu de 15% adoptés à Abuja par l’Union africaine.
Au Cameroun, la vertu est devenue un vice. La rectitude morale, la conscience professionnelle et l’assiduité au travail sont regardés avec mépris.
Conscient de tous ces manquements, de ces défaillances et de son déficit de légitimité, le pouvoir n’autorise que les manifestations non culturelles de ses partisans ; toutes les autres qui n’ont pas pour but de soutenir M. Biya et de chanter ses louanges sont interdites. Le régime a profité de la guerre contre Boko Haram pour faire adopter une loi antiterroriste qui permet traiter les participants à des manifestations pacifiques hostiles au pouvoir, de terroriste. L’esprit de la répression demeure avec les dispositions de l’ordonnance de 1962 contre la subversion qui ont été reversées dans le code pénal aux articles 113, 154 al. 2 et 157 al. 1a. Ce ne sont pas les 253 partis enregistrés au Ministère de l’Administration et de la décentralisation, et une relative liberté d’expression qui font de notre pays une démocratie. Ceux qui veulent braver l’interdiction doivent faire face à une répression sauvage des forces de l’ordre, comme cela s’est vu en février 2008.
Ce pouvoir tient en place grâce au soutien jamais démenti de la France. Après avoir violé les termes du mandat, soutenu Ahidjo en l’aidant à massacrer ses opposants, la France a soutenu un tel régime prédateur qui dure indéfiniment. Les autres puissances occidentales, pourtant conscientes de ce qui se passe restent passifs. C’est à peine si de temps en temps elles expriment leurs réserves avec mille précautions et dans le langage diplomatique de surcroît. Une telle attitude n’est pas de nature à pousser le régime de Yaoundé à s’amender.

180915
Jean-Claude TCHASSE
PLEG Hors Echelle